Le cauchemar d'Antoine - Chapitre 2

Alain Le Clerc

Le feu aux poudres.

 Un collègue de travail avait refilé à Antoine les coordonnées du thérapeute montréalais Martin Sénécal, un analyste doué et auteur du livre à succès ''Le rêve guidé comme outil de thérapie''. Antoine avait longuement hésité avant d'entrer en contact avec Sénécal, peu enclin à se livrer à un gourou ésotérique à la mode. Finalement, il avait accepté. Il était émotionnellement si fragile qu'il avait besoin de quelque chose pour le convaincre de tenir le coup. 

***

Décembre 2015. Montréal était enseveli sous des montagnes de neiges pesantes. La petite salle d'attente surchauffée était presque vide. Antoine attendait impatiemment sur sa chaise droite inconfortable. Le rendez-vous était prévu pour 16h. L'horloge poussiéreuse égrainait bruyamment les secondes. Des affiches encombraient les murs avec des messages d'espoir et des numéros de téléphone d'organismes d'aides :Suicide Montréal, Parent-Secours, Drogue secours. Une galerie d'art du désespoir humain. Avec le record de suicide chez les 25-45 ans au Canada, Montréal avait vu proliférer les cliniques et les relations d'Aides de tout acabit. 

- Antoine ?

Le vieux thérapeute aux vêtements griffés décocha un sourire convenu.. Ils se déplacèrent vers un bureau et s'écrasèrent sur deux fauteuils confortables qui se faisaient face. Le thérapeute signa les papiers protocolaires et fit craquer les coussins en s'enfonçant dans son fauteuil. . 

- Alors, si on parlait un peu de la raison qui t'amène ici ? 

Antoine toussota. Il trouvait ce Sénécal un peu trop direct et familier. 

- C'est euh.. Ma fille et euh.. Le sommeil ...

Sénécal respira lentement.

- Tu as de la difficulté à dormir depuis la mort de Geneviève, n'est-ce pas ? 

Il leva les yeux vers le thérapeute. Pendant quelques secondes, il se convint que Sénécal était devin. Les épaules d'Antoine s'alourdirent. La disparition de sa fille avait fait la manchette des journaux et des médias sociaux pendant plusieurs jours. Il était maintenant marqué au fer rouge comme étant : ''le père de la disparue''. 

- ..Je ne sais pas par où commencer. 

Antoine examina les diplômes affichés au mur. Le thérapeute fit gémir les coussins en se redressant sur le bout de son fauteuil. 

- Si tu me parlais de ton rêve -ou cauchemar- le plus récent. 

L'homme contempla ses souliers. Il raconta le cauchemar qui le hantait. Un vent froid siffla à travers les carreaux givrés. Sénécal se gratta le menton en observant son patient. 

- Tu as déjà tenté l'hypnothérapie ?

Antoine haussa les épaules. 

- Pourquoi pas ? 

- C'est une tempête là-dedans. Dis Antoine en se cognant le front. 

- Tu veux que l'on fasse un essai ? 

L'homme resta silencieux. Au fond de lui, un miasme d'émotions confuses semblait l'empêcher de prendre une décision réfléchie. 

- OK. Pourquoi pas. Dit-il à travers un brouillard d'émotions.


Sénécal décocha un sourire trop enthousiaste. 

- Nous allons d'abord faire un test de subjectivité. Nous ferons une véritable séance d'hypnose la prochaine fois, si tu le veux bien. 

Antoine regarda l'horloge. Il était 16h45. 

- Mais il ne reste que 15 minutes a la séan...

- Relaxe-toi. Tes paupières sont lourdes...

Antoine se retrouva seul dans le bureau de Sénécal. Les aiguilles de l'horloge tournèrent à toute vitesse. Derrière lui, quelque chose l'observait. Il essaya de se retourner, mais son corps était paralysé. Soudainement, le visage putréfié de Sénécal se planta tout droit devant ses yeux. Tous les pores de sa peau en décomposition transpiraient la haine et le mépris.

- Tu crois pouvoir te libérer de moi ? La voix était caverneuse, irréelle. 

Antoine se réveilla en sursaut. Le thérapeute se cala dans son fauteuil. Son visage avait repris sa forme normal. L'horloge indiquait 17h. 

- C'est incroyable ! J'ai rarement vu un patient aussi réactif à la suggestion ! 

Antoine se leva, encore groggy. Le thérapeute lui remit une carte indiquant la date du prochain rendez-vous. 

- Voilà. Vous avez bien travaillé. 

- Merci. Répondit le patient sans trop savoir pourquoi. 

- Mon plaisir ... Pour aujourd'hui c'est 125 dollars. Vous allez payer comptant ? Je prends aussi les cartes de débit et de crédit.

Signaler ce texte