Le chalet près du lac

Isabelle Morin

Souvenir

Je suis retournée au chalet dans la forêt, tu te rappelles, celui où tu aimais te retrouver.  Je n'ai jamais compris ce que tu lui trouvais  à  ce vieux camp en bois rond mal chauffé.  Tu disais toujours que cet endroit te permettait, de refaire le plein d'énergie.   Tu pouvais rester des heures à contempler  cette chaîne de montagnes qui s'élevait devant ce magnifique lac.  Moi ce qui m'intéressait, c'était la pêche, les poissons, le calme et le silence. Seule dans ma chaloupe je me laissais bercer par les petits remous du lac.  Parfois je ne pêchais pas, mais je te regardais de ma chaloupe.  Je te voyais plein  d'émerveillement à la vue de ce spectacle qui s'ouvrait devant toi, comme si tu voyais tout ceci pour la première fois.  Le soir après le souper nous allions prendre le thé sur le quai. Nous regardions le soleil se coucher entre les montagnes ce qui donnait au lac une couleur orangée.  Parfois nous parlions, mais généralement nous nous laissions submerger par ce que la nature nous offrait.

Lorsque le soleil disparaissait, nous allions faire un feu.  Nous nous installions toujours face au lac car bien souvent c'est là que la lune venait nous dire bonne nuit. Avant de rentrer nous regardions, par beau temps, les étoiles.  Tu trouvais toujours une histoire à raconter,  parfois elle n'avait pas de sens, mais j'aimais entendre le son de ta voix mélangé aux gazouillements que nous entendions certains  soirs.  Tu disais toujours que la journée du lendemain allait être belle lorsque le ciel était clair.   Nous rentrions main dans la main nous coucher, tu me répétais encore et encore combien tu aimais ce chalet, la chaleur de son foyer,  l'odeur du bois et ce vieux plancher qui craquait sous nos pas.  La chambre  n'était meublée que d'un simple lit double et d'une petite table de chevet.  Pendant que je dormais, tu lisais éclairé à la chandelle car il n'y avait pas d'électricité.  À mon  réveil tu étais déjà levé,  l'odeur de café fait sur ce vieux poêle à bois me permettait d'oublier le mal de dos que ce vieux lit me procurait.  Après le petit déjeuner nous allions toujours prendre une marche dans la forêt.  Tu voulais voir la vue du haut de la montagne.    Tout au long du chemin tu me ventais les mérites de la vie en pleine nature.  Nous nous arrêtions souvent sur la petite plate forme  qui nous permettait d'avoir une vue sur le lac et le chalet.  D'ici tu avais l'impression d'être sur un nuage. Sur le lac, se reflétaient les montagnes qui l'entouraient.  Nous y voyions aussi la légère fumée qui s'échappait de la cheminée du chalet.  Lorsque nous arrivions tout en haut nous pouvions voir, par journée de beau temps, à  des kilomètres à la ronde mais aucun signe de civilisation. Il y avait  bien sûr, la petite route qui nous permettait d'arriver jusqu'au chalet. Cette route sinueuse   qui ne semblait ne plus avoir de fin.

Pendant le retour nous parlions de nos projets d'avenir. J'aimais bien chez toi, cet optimisme  face à la vie.   La descente nous donnait encore une fois une vue magnifique sur le lac.  Le soleil commençait à se coucher, ce qui donnait au lac des couleurs auxquelles toi seul arrivais à trouver un nom.  Le soir,  nous  mangions sur le balcon  le poisson que j'avais pêché la veille.  Nous parlions de la merveilleuse fin de semaine que  nous avions passée ensemble.  Le lendemain, tu avais un petit regret de quitter cet endroit mais  nous devions retourner  à la civilisation et à la  vie trépidante de  la société d'aujourd'hui.

Mais tout cela est déjà loin.  Je suis ici et toi tu n'es plus là.  Cette vie rapide et axée sur la performance t'a enlevé à moi.  Je suis venue ici pour te retrouver, je voulais sentir ta présence une dernière fois avant de vendre ce chalet.  Dès mon arrivée j'ai cru entendre ta voix me dire, qu'il n'y avait pas de meilleur endroit au monde où vivre.   Je sortie de l'auto et une légère brise provenant du grand chêne, tu sais celui au pied du quel tu aimais t'asseoir pour lire un bon livre.  Pendant une cour instant j'y cru sentir ton parfum.   Je montais les trois marches du balcon.  La dernière marche, celle que je t'avais promis de réparer, craquait encore plus fort sous mon poids.  Mais ne t'inquiète pas je vais la réparer avant de partir.   Lorsque j'ai ouvert la porte, comme à son habitude, elle a émit un son strident,  s'il y avait des petits animaux à l'intérieur, ce bruit les a fait fuir à coup sûr.  Dans la pénombre, pour la première fois j'ai sentis, l'odeur du bois que tu aimais tant.   J'ai allumé le foyer et pris cette vieille chaise berçante, que je n'avais jamais le droit de prendre.  C'était ta chaise.  Je m'y suis installée et j'ai pris le temps d'écouter ce que ce vieux chalet voulait bien me dire.   J'ai entendu le vent  siffler entre le mur et les fenêtres mal isolés.  J'avais l'impression qu'il me sifflait une berceuse, comme pour me dire que tout irait bien.  J''ai aussi entendu les branches des arbres passer sur le toit, comme une accolade pour me réconforter de ta perte. 

Je suis sortie, j'avais amené la chaloupe, je voulais une dernière fois me laisser bercer par ce lac qui fut témoin et complice de notre bonheur.  Lorsque j'ai été sur le lac, j'ai été émerveillée par sa grandeur, jamais il ne m'avait paru aussi grand.  L'eau était d'une pureté étonnante, je pouvais voir très profondément les poissons passer sous ma chaloupe. J'avais amené mes accessoires de pêche.  Mais je ne pêchais pas je me laissais bercer couchée au fond de la chaloupe, je regardais les nuages passer. Perdue dans mes pensés je n'ai  pas vu le temps passer.  Donc  après quelques heures je reviens vers le quai.  Ta présence manquait au paysage.   L'automne commençait à s'installer, les montagnes opéraient un changement de couleur les arbres passaient pour certain du vert au jaune, d'autres préféraient le rouge.   J'avais l'impression de regarder une toile que seul  un grand peintre pouvait faire.   Du quai je regardais le chalet,   lorsque nous l'avions acheté il était en piteux état.   Le toit était à refaire et il y avait quelques fenêtres de brisées.  Maintenant, malgré cette mauvaise isolation il a fière allure.  Tu avais choisi les

 vieilles fenêtres d'une maison abandonnée, tu savais si bien  travailler le bois.   Le toit avait été refait en vieille tôle de grange que ton cousin avait récupérée.  Le chalet n'avait pas de balcon, mais nous en avons profité pour lui en faire un.  Tu te rappelles tout le plaisir que nous avons eu.    C'était notre petit coin de paradis.   Lorsque je me suis  couchée, j'ai laissé les chandelles allumées pour me rappeler ta présence.  Au matin, je n'ai pas eu mal au dos,  je sais maintenant que tu prenais le bon côté de ce lit,  petite coquine.   J'ai dû me faire un café.  L'odeur  me procurait un sentiment de bien-être auquel je ne m'attendais pas.  J'étais prête à prendre une dernière fois cette marche jusqu'au sommet.  Les feuilles tombées au chemin m'ont  procuré un enchantement sans pareil.  Tu aurais été contente de voir cela.    Lorsque je suis arrivée à la plate forme, le spectacle était magnifique,  pour une rare fois, je voyais ce que tu voyais, j'arrivais à m'émerveiller à cette vue.  Pourtant j'aurais dû être triste.  Tu n'étais plus là.  Mais ce que j'ai ressenti était un grand sentiment de paix.  Comme si de venir ici m'avait permis de comprendre que tu seras toujours là avec moi.  Je ne suis pas allée jusqu'au bout, j'ai préféré garder intact le souvenir de notre dernière promenade jusqu'au sommet.  En redescendant, le lac avec le miroitement  des montagnes m'a paru encore plus beau et  m'a enfin permis d'accepter ton départ.  Je ne resterais pas une autre nuit.  Je réparerais la marche, fermerais le tout et repartis sur cette petite route sinueuse.  J'ai regardé une dernière fois dans le rétroviseur.  Ce chalet sera maintenant témoin d'autres histoires d'amour.  Mais ta présence sera toujours là. J'en suis certaine.

 

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