Le Croque-Mitaine

Julie Vautier

Poème autour de la légende du croque-mitaine.

Le vent soufflera fort et le croque-mitaine

Traînera ses godasses et ses habits du soir

Sur la neige nouvelle. Il ira, monstre noir,

Enlever les enfants dans la nuit inhumaine.

 

J'attendrai près de l'âtre et sans dire un seul mot.

Son visage sans yeux me dévisagera

En silence. Il viendra, toujours plus près de moi.

Le plancher craquera sous ses vieux godillots.

 

J'entendrai son écho et les relents de chair

Précèderont alors le corps sans vie, sans âme,

Du croque-mitaine. Il a causé bien des drames

Le chapardeur d'enfants, l'enfourneur légendaire.

 

Je te connais, méchant, je te croise parfois,

Au détour d'un chemin, sur les pavés des rêves.

Je connais les terreurs et l'amour que tu crèves,

Jaloux. Tu es si seul dans ta tombe là-bas.

 

Mais silence ! J'entends venir par les rues blanches,

Amenant dans sa hotte un effroi incessant,

Une ombre sans visage, un cœur baigné de sang,

Deux orbites sans fond, des parents sans revanche.

 

Un jour, croque-mitaine, les torches brûleront.

Des bras armés de fourches attendront, là, dans l'ombre,

Au cimetière. A l'aube, ils violeront ta tombe,

Briseront ton marbre et profaneront ton nom.

 

Ils graveront sans honte à l'aide d'une pierre

Le nom des chérubins que tes vieux doigts sans ongles

Tirèrent du sommeil par une nuit trop longue

Et que tes cheveux gris, sans pitié, étouffèrent.

 

Aie peur, croque-mitaine, et écoute-les rire,

Ecoute-les courir, courir à ton tombeau.

Ils te trouveront et t'écorcheront la peau

A vif. Ta fin viendra et je l'entends venir.

 

Pour l'heure, je t'attends, lueur dans les ténèbres.

Je ne suis plus enfant mais les enfants sont morts

Dans tes bras décharnés. Crois-moi, tu aurais tort

De ne pas m'emmener dans ton antre funèbre.

 

Je saurai te montrer un esprit plus morbide

Que tous ces orphelins que tes dents ont broyés.

J'ai plus de désespoir, de monstruosité,

L'âme plus désolée et le cœur bien plus vide.

 

J'ai la noirceur des gouffres et les plus sombres eaux

Ont noyé mes espoirs. Les plus tristes forêts

Se sont enracinées en moi et je connais

L'amour et ses échecs, ses calvaires et ses maux.

 

Tu vois, croque-mitaine, en t'invoquant ce soir,

C'est la mort que je prie de venir en ces lieux.

C'est la mort que j'implore et attends près du feu.

C'est la mort que j'appelle et son chevalier noir.

 

Sois son intermédiaire et offre-moi tes mains.

Cette nuit sera belle. Elle sera parfaite.

Je suivrai ta lanterne à travers la tempête

Invaincue. Je suivrai jusqu'au bout le chemin.

 

Le vent a soufflé fort et toi, croque-mitaine,

Tu traînes tes godasses et tes habits usés

Sur la neige jaunie. Près de la cheminée,

Ne restent qu'un drap noir et des larmes humaines.

  • Un chef d'oeuvre à la noirceur incandescente ! Pardon pour ce commentaire technique mais votre ponctuation et vos enjambements sont un délice à la lecture. Bravo !

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Profil

    Julien Darowski

    • Que de gentils commentaires de votre part !
      J'ai une affection particulière pour ce texte et je suis ravie de constater qu'il peut plaire à d'autres que moi. Merci beaucoup à vous !

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Julie vautier profil

      Julie Vautier

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