Le Cygne Noir (portrait d'une prostituée)

manou-croze

Essuyant le liquide translucide et blanchâtre au coin de ses lèvres, elle se démaquille. Elle retire ce fond de teint qui recouvre sa peau pâle, laissant voir son véritable visage. Il lui faut plusieurs minutes pour parvenir à enlever la totalité du mascara, du crayon, et de l'eye-liner qui assombrissent son regard en la rendant aussi fatal que désirable. Le rouge à lèvres couleur sang, bien qu'il ait légèrement débordé lors des ébats surjoués de la jeune femme, est assez tenace.


Après avoir terminé cette toilette indispensable, elle enlève son bustier, noir, évidemment, et faisant ressortir sa poitrine, puis échange sa lingerie fine contre des sous-vêtements plus classiques et confortables. Courbaturée, elle s'étire lentement, avant de se relever. Elle enfile un jogging gris et un pull doux qui lui rappelle son doudou d'enfance, qu'elle aimait serrer fort contre son cœur les soirs d'orage, pour se rassurer.


Elle est à nouveau cette étudiante banale et discrète, qu'on ne remarque pas dans les rues. Cette fille qui paraît à la fois sage et mystérieuse, gentille et timide. Pourtant, il y a près d'une heure, elle abritait encore entre ses reins cet étranger qui devait avoir près de la cinquantaine. C'était la première fois qu'elle voyait ce client, et avait donc décidé de lui faire passer un moment inoubliable. Alors que les vas-et-viens s'accéléraient, elle se courbait sensuellement et jouissait en suppliant son possesseur de poursuivre. Ce n'était qu'un jeu d'acteur, bien entendu, car ces ébats ne lui apportaient comme satisfaction que des morceaux de papier que l'on nomme ''argent''.


Sur le chemin de son appartement, dans le centre-ville, elle préfère marcher rapidement sans lever la tête, de peur de croiser un de ces clients. Arrivée chez elle, elle pose son sac dans l'entrée et s'arrête un instant devant une glace. Regardant l'image que lui renvoie ce miroir, elle porte la main à son visage, vérifiant qu'il s'agit bien d'elle. Pourquoi a-t-elle commencé tout ça, elle ne s'en souvient même plus vraiment. Ce dont elle a conscience, c'est qu'elle ne parvient plus à arrêter. Elle sait qu'elle ruine sa vie, qu'elle se détruit à petits feux, s'imposant de n'être qu'un objet, un jouet, pour ces hommes assoiffés de sexe, mais une envie inexplicable de recommencer a pris le dessus sur la raison. Une sensation de dégoût de soi se répand dans le corps de la fille de joie, qui s'effondre à terre, en larmes. Elle agrippe ses cheveux en les tirant violemment, puis les mord pour étouffer le cri de douleur qui s'échappe de sa bouche. Un jour, elle s'en sortira. Un jour, elle fuira cette existence misérable.

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