Le demi-tour

Fanny Chouette

Raconter une danse, c'est faire tanguer les mots. Ici, les virgules se laissent aller à une scottish, au rythme si régulier que l'esprit joue avec les secondes élastiques.

Avance-toi. Un, deux, toi. Lentement. Laisse-toi entendre, fais-toi écouter le son des talons qui claquent au sol. C'est déjà une pulsation. C'est infime, c'est important.
Encore un peu. Un, deux, trois. Avance.
Seuls tes battements de cils sont témoins de l'atmosphère qui s'installe. Et le rythme, lui, est déjà bien ancré. C'est à nous.
Soulève doucement le pied, et surtout laisse-le t'emmener. Sur la droite ? Demande-lui d'hésiter un peu, le mouvement en filigrane. Encore une fois. Voilà, tu ne le devineras que plus tard mais tu y es déjà, tu as compris. Un, deux, trois, quatre.
Dans ta tête, le ballet des chiffres qui murmurent, rassurants. Tu tiens la cadence, ça balance. C'est agréable de ne plus penser. C'est lent juste ce qu'il faut, tes pas font le reste. Ta main à ma taille, la main serre la tienne. Regarde-moi, un, deux, trois. Allez, ferme les yeux, tu y es. Cette sensation de t'envoler un peu sans quitter le sol vraiment.
Partout autour, de nouveaux êtres à quatre jambes, autant de bras et plus d'esprits tanguent joliment. Quitte le monde, ferme les yeux. Tourne un peu, c'est bien. Serre ma main, conduis-moi. Le rythme entre nous, comme ça. Un seul mot d'ordre : ne rien dire. Là, tu l'entends ? C'est la musique qui tient le discours, et les corps lui répondent. Un chahut silencieux. C'est presque trop fort pour le sentir tout à fait. A chaque pas un peu plus léger, ça fait du bien de lâcher prise. Pourvu que ça dure.
Un, deux, tangue. Un, deux, danse. Un, deux, trois, quatre. Le compte est bon. Les secondes s'amusent,  tu oublies les chiffres, déjà. C'est tout simple. A quoi tu peux bien penser, là maintenant ? Chut, profite.
C'est l'histoire des notes. Que disent-elles ? Un demi-tour et tu verras. Elles te demandent. Elles veulent voir. Connaître les pas qui parlent pour toi.
Depuis combien de temps sommes-nous là, alors que jamais le rythme ne change, aucune accélération notoire. Cette constance délicieuse. Et pourtant tu trouves ça presque plus intense. C'est ailleurs. Tes mollets s'échauffent un peu, c'est normal ça fait partie de la danse. Ton esprit joue les trotteuses, et lui aussi, tangue un peu. Un instant qui tire sur le suivant, et ton pied gauche précède le prochain. C'est ta main droite qui me le demande. Un demi-tour, puis deux. Ça repart.
Les gens autour, tu les as oubliés depuis longtemps. Tu vois que c'est facile, ne jamais dire jamais. Deux sans trois. Deux, trois, quatre.
Une croisière paisible, les corps miment tour à tour une vague qui s'en fout, qui un souffle, timide, qui les emmènent. Le temps d'une seconde, tu as envie de t'arrêter. Ouvrir les yeux, immobile, au coeur de ce mouvement qui doucement t'emporte à nouveau. Ta main retrouve enfin ma taille, ferme les yeux, on s'en va une dernière fois.
Nonchalant et absent. Tu souris et m'emmène. Tu te moques des directions, demi-tour. Allez, plus que trois. La musique est belle. C'est quand déjà, la prochaine fois ?

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