Le dernier coup...

cerise-david

Fait divers... pour certains, banal pour d'autres... incompréhensible pour moi...

Nous sommes au mois de juin, dans le sud de la France, elle descend les marches. Elle rayonne dans sa robe blanche, le soleil fait briller son diadème et ses cheveux d'ange. A son bras, l'homme qu'elle aime la soutient pour descendre, elle est si belle, si grande, sur ses talons immaculés. Elle sourit, elle pleure de joie. Elle me dit que c'est le plus beau jour de sa vie…

Nous somme au mois de septembre, le visage plein de malice, elle m'annonce que le test est positif. Dans 9 mois, elle sera mère. Elle a maigrie depuis son mariage, elle dit qu'elle fait attention à sa ligne, qu'elle veut rester belle pour l'homme qu'elle aime. Sur ces bras j'aperçois de belles traces bleues… je la questionne du regard. Elle me sourit et me dit qu'elle a trébuché, trop pressée d'annoncer la nouvelle à ses parents. Elle est si douce…

Nous sommes au mois de mars, son ventre est rond. Elle est épuisée mais heureuse… les nausées sont passées. Elle me laisse toucher son ventre, sous la peau tendue, la vie s'agite… Je vois des bleus sur ses cuisses lorsqu'elle se rhabille. Elle me dit que sa maladresse lui joue des tours, qu'elle se cogne aux murs, qu'elle a tant de choses à faire. Que l'homme qu'elle aime ne l'aide pas beaucoup à préparer la chambre du petit. Et qu'elle veut que tout soit parfait. Je lui dis de se reposer… et je la vois, prête et sereine.

Nous sommes au mois de juin, l'enfant chéri dans ses bras, nous sommes à l'hôpital… ses bras, ses jambes, son cou sont bleus… bleu comme c'est yeux tristes et fatigués. Bleu comme ses cernes… Elle me dit que l'homme qu'elle aime avait trop bu. Que le bébé pleurait trop fort, qu'elle n'a pas su le calmer. Son bébé dort paisible. Et son regard se perd dans le vide, quand je dis qu'il ne faut pas attendre, en parler… elle me demande de garder le secret, encore un peu... juste un petit peu. Elle le fera, elle me le promet. Elle a l'air décidé…

Nous sommes au mois d'aout, un appel dans la nuit. J'arrive devant la maison, les pompiers et la gendarmerie sont là. Un appel au secours, une bêtise, un cri de détresse… Une détonation fait trembler les vitres, puis le silence écrasant de la mort. Les cris d'un enfant… Quand on rentre, l'odeur du sang emplie nos narines. Elle est au sol, calme, son enfant dans les bras, elle le berce. Se balance doucement, un fusil à ses pieds… on avance vers elle, dans la cuisine le cadavre de l'homme qu'elle aime gît au sol, un trou dans le ventre. Son visage à elle saigne, ses lèvres et ses pommettes sont bleues, et ses yeux perlent doucement.

Tout se mélange… l'amour, la haine, la détresse et la colère. Dans son regard gris c'est l'ouragan… elle me regarde et me dis :

« C'est aujourd'hui, le plus beau jour de ma vie… »

 

La suite n'a pas vraiment d'importance, l'enfant grandira, sain et sauf. Elle aura sacrifié sa vie pour le protéger, pour se protéger. Elle lui aura rendu coup pour coup toutes les souffrances. Mais ce soir, je ne peux m'empêcher d'écrire, pour vous le dire. L'amour peut cacher bien des blessures, des injures, ce sentiment peut sauver des vies et la donner, il peut permettre de grandes choses, de grandes décisions… mais bien souvent, il nous paralyse, nous empêche d'avancer, nous empêchant de fuir. Il nous laisse sans air, sans recours face à la violence. Il nous bloque la route… et c'est dans ces moments, que l'amitié doit prendre le relais, qu'il doit être plus fort, plus violent, plus dissuasif, plus persuasif. C'est dans ces moments, qu'une main doit être tendue et empoignée fermement, quitte à porter plus qu'on ne pensait pouvoir le faire… C'est dans ces moments, qu'on doit faire taire le mensonge, ouvrir les yeux sur ce qui nous interpelle. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il est trop tard… pour elle, si belle. Mais je me dis que ce texte servira aux suivantes, que certaines trouveront la force de briser les chaînes du silence… de briser les idées noires qui les assaillent comme les coups.

Je revois son regard si tendre… elle était si belle, si forte, si fière. À toutes ces femmes qui dans le silence deviennent chaque jour l'ombre d'elles-mêmes… 

  • Façon indirect mais néanmoins belle d'aborder le délicat sujet des femmes battues. Tu dis les choses sans les dire et je pense que c'est ce qui les rend encore plus présentes.
    Beau texte, malgré le noir qu'il relate.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Vava wlw

    ella

    • J'ai vu les choses sans les voir... sans y croire.... j'ai compris sans doute trop tard...

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      cerise-david

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