Le dernier (t)repas [Extrait 1]

sadnezz

Un enfant le bouscula, le sortant de sa posture contemplative. Ce n'était pas son fils; et Anaon n'était toujours pas là. La senestre vint tirer un peu son col. Il faisait chaud aujourd'hui ... Il ne put s'empêcher de penser à Chimera, comme un éclair fugace parasitant cette... Parfaite... Journée. Où était-elle , là. Maintenant. La peau du cou avait rougi, rouge comme les cheveux de Chimera. Judas toussa. Oppressé. Réflexe malheureux, il saisit une seconde coupe de vin pour apaiser le feu de sa gorge. Qu'est-ce que faisait Sabaude...? Et où était Rose? Etait-ce lui ou ce vin était imbuvable? Frayner s'assit.

Il leva la main pour houspiller une servante, le regard déjà austère, et le geste sec. Il cria quelque chose. Mais ce qui sortit de sa bouche, à défaut de son habituel ton rauque et autoritaire, fut un toussotement sanglant, éclaboussant sa belle chemise vierge... Judas porta la main à ses lèvres pour les dissimuler, contrarié.

Dieu... Jamais il ne réussirait à garder une chemise indemne pendant des ripailles...

La douleur hameçonna ses tripes, comme le meilleur tord boyau. La coupe tomba parterre dans un bruit métallique. Frayner se fit un collier de ses belles mains de chat, cherchant l'air qui venait à lui manquer. De fines mains tremblantes, pour faire une parure à un col devenu carmin. C'était une parfaite Journée.

Oh oui... Parfaite pour mourir. Il le lui avait dit. Il n'y a pas de hasards, que des rendez-vous.

Qui? Pourquoi? Maintenant, vraiment ? Ses yeux fous , changés par la suffocation semblèrent chercher quelque chose ou quelqu'un du regard. Judas savait qu'il mourrait seul. Mais jamais, non jamais, il n'avait pensé mourir seul ainsi, entouré. D'étrangers. D'inconnus. Comme le clou du spectacle. L'inattendue surprise. Déjà à la vue de l'ichor, quelques uns s'étaient arrêtés. Des conversations peu à peu, s'étaient suspendues, les unes après les autres, comme le vent soufflant dans l'encre de la nuit sur des candélabres, éclipsant leurs lueurs. Les enfants crièrent, et les chiens aboyèrent. Les ongles de Judas s'étaient enfoncés dans la pomme d'Adam, comme pour l'arracher. Et les beaux noirs, séducteurs, manipulateurs, les beaux yeux sombres avaient viré au rouge, sous la dentelle des vaisseaux sanguins éclatés.

D'entre les lèvres, toussotement devint immonde flot de mort, massacrant au rouge le tableau austère qu'offrait habituellement l'homme. Frayner avait perdu de sa superbe, Frayner avait perdu tout court face à l'invisible ennemi qui avait empoisonné son vin. Il ne fallut pas longtemps pour que le seigneur tombe de son assise, contorsionné d'agonie, offrant à ses invités le minable spectacle d'un homme qui meurt de s'être cru intouchable. Une maitresse éconduite? Un ami jaloux? Une amante rancunière...? La liste des raisons pour lesquelles quelqu'un, ou quelqu'une aurait voulu tuer Judas était infinie, et dans son dernier spasme étouffé, le sybarite crut à la réalité de ses hallucinations coupables où se mêlaient des enfants noyés, des servants décapités, des chambrières violées, une épouse assassinée... La mort emporta comme une vague ses remords, ses regrets, et l'infinie liste de ses rancunes. La mort n'attend jamais les absents. Comme un Judas, elle prend, elle vole, elle viole. Elle ne fait rien mais elle prend tout. Elle avait surpris son hôte, le visitant à l'improviste, comme il aimait se pointer chez les autres. Elle avait décidé d'être sa dernière amante, l'unique qui le possèderait vraiment. L'unique qui se le garderait pour elle. Fin du jeu.

On raconte que la mort nous déleste de 21 grammes... 21 grammes d'âme lorsqu'elle nous fauche. Pour Judas, la mort lui donnait son baiser au terme de 21 chapitres de vies tumultueux, de passions ardentes et de vengeances, de manigances et de conquêtes. Même ses chiens n'osèrent s'approcher du corps tordu et recroquevillé de Judas, araignée touchée par le feu, l'odeur amère du poison décelable à leurs fins museaux. Sur le sol, éparpillés, les cheveux fous lui firent une drôle d'auréole sombre... Offerts malgré lui, comme pour dire ....

Vas-y. Cette fois, tu peux les prendre. Apres tout, nous sommes nés pour mourir.

Tout finit dans un regard. Tout s'exprime dans un regard. Masculin et chaud, pourtant muet et froid, celui dans lequel on ne sait que lire. *

* Premier RP de Judas, chapitre 1 " I am beyond repentance "

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