Franz

Niels

Franz était plongé dans le noir. BOUM BOUM. II entendait son cœur. BOUM BOUM. Ou peut-être autre chose.

Il attendait calmement, dans cette antichambre de l'enfer. La chaleur suffocante et la profondeur du lieu suffisait à nommer cet endroit enfer. BOUM BOUM. Le bruit continuait. Ici, les êtres faits de chair perdaient le peu de dignité qu'ils avaient.

Mais était-ce si important ? Qu'était donc cette fameuse dignité ? L'Humain devait-il réellement être digne ? Franz l'ignorait. Et s'en foutait.

Pour lui, les êtres humains n'étaient que des animaux, un peu plus développé qu'un singe ou un chien. Merci à notre pouce.

C'était son tour, il montra son ticket au golgoth qui jouait les Cerbère, et la porte s'ouvrit. Ce BOUM BOUM, qui n'était définitivement pas le son de son cœur, se décupla. Il fit un pas vers la masse vivante, suante et gigotante qui apparaissait par intervalles réguliers dans ce flot de lumières multicolores. Cris et mains s'élevaient de la foule. Il détestait cet endroit.

Censés représenter le divertissement et le plaisir, ces clubs n'étaient que puanteur et machines à fric, symbole parfait de sa société en perdition. On y venait soi-disant pour danser. Mais quelles étaient ces danses où tout le corps n'était que gesticulations et regards perdus sur le carrelage glissant.

La plupart des mecs ressemblaient à des pantins désarticulés, les autres, sodomisés par des manches à balais.

La plupart des meufs dansaient telles les filles de joie de Babylone, affamées d'argent, de sexe, ou des deux. D'autres étaient juste là pour allumer, exciter les mâles mais rentreraient en fait seules ou avec leur légitime (allez savoir ce qui est le pire).

Le reste de la masse, Franz ne comprenait pas ce qu'ils faisaient là. Encore une fois, il s'en foutait.

Mais les jeunes s'y amusaient. Grâce encore et toujours à Sainte Alcool.

Quelle s'appelle Vodka, Bière, Whiskey ou Rhum, elle te faisait perdre la tête. T'amuser ou t'éclater. Dormir ou vomir. Mais jamais ne te laissait de marbre. Génération sans limites, à la recherche de fun et de l'oubli. Triste vie où la rigolade et le plaisir étaient bloqués au fond d'un verre.

Franz pensa à Milly. Cette petite intello aux fesses aussi rondes que ses lunettes, le visage fermé, ses lèvres pincées, toutes ses lèvres, ne rigolant qu'aux blagues de leurs professeurs.

« T'as un problème avec l'alcool Franz. Lui avait-elle dit un jour. Tu ne sais pas t'amuser sans boire! 

- Peut-être. Avait-il répondu, le regard vitreux et la bouche pâteuse. Mais moi, au moins, j'éprouve de la jouissance de temps en temps. Tu veux t'amuser avec moi?  Avait-il enchaîné en lui attrapant une fesse. »

Claque-air surpris-tournage de talons avait été sa seule réponse.

Mais aujourd'hui c'était différent. C'était la soirée de l'année. Celle qu'aucun mioche de cette foutue ville ne voulait rater. Même Milly la studieuse.

Et elle était là. Il la voyait.

Saoule dans un coin, un mec plongé dans son décolleté, tandis qu'elle explorait de sa main droite, sans doute pour la première fois, un slip masculin. Espérons pour elle que son Roméo d'un soir ne soit pas trop saoul et mou. Elle souriait. Elle avait l'air d'apprécier ce qu'elle découvrait.

Profite Milly, tu ne seras peut-être plus jamais aussi libre et heureuse,  pensa Franz.

Il s'accouda au bar et commanda un whisky (il avait toujours rêvé d'être un cow-boy, à défaut d'un chapeau et d'un colt, il buvait du sky).

Il commença à scruter le tombeau qui s'agitait au milieu de la piste. Il n'était là que pour une chose.

Comme tous les célibataires de ce bled, il voulait ramener chez lui de quoi baiser, ou mieux encore, tirer son coup ici et rentrer dormir seul, au calme. Il savait que pour arriver à ses fins, le plus rapide était de trouver une fille légèrement bourrée, de s'en approcher et de danser avec. Mais il détestait danser et buvait donc pour y arriver.

Il commanda un rhum (il avait toujours rêvé d'être un pirate, à défaut d'un bateau et d'un perroquet, il buvait du rhum).

Il devait boire vite pour accentuer l'effet, ses finances ne lui permettant pas de multiplier ses rêves. La vie nocturne était chère, déjà qu'il avait du payer dix euros pour que Cerbère le laisse passer, à ce prix là, Charon aurait été plus rentable.

Il repéra d'abord les « allumeuses ». C'était facile de les reconnaître.

Il avait remarqué que les meufs maquées se faisaient plus belles que les célibataires. Pas pour leurs copains (n'en croyez rien, naïfs hommes que vous êtes) elles voulaient être regardées, désirées, fantasmées. Que vous vous imaginiez les posséder, mais qu'au final, elles vous baisaient, quand vous rentriez seul, tard le soir, et que pensant à tous ces petits culs que jamais vous n'auriez, vous vous paluchiez, seul.

Il changea vite de cible et se concentra sur les « danseuses isolées ».

Il en vit une. Yeux fermés, cheveux en bataille, danse langoureuse, petite robe blanche moulante, pas de seins mais un cul à damner un saint.

De plus, pas d'hommes aux alentours ni de copines pour la défendre de sa drague lourde et minable. C'était parfait.

Elle dansait seule, ivre, avec ses pensées qui n'appartenaient qu'à elle.

Pour se donner du courage, il se commanda un dernier verre de vodka (pas qu'il ait toujours rêvé d'être un paysan communiste, il aimait juste les mélanges) le vida d'un trait et ,d'un pas assuré, se dirigea vers la jeune ondine.

Franz n'était pas un canon de beauté. Aussi il savait qu'il devait faire vite pour ne pas laisser le temps à sa proie de voir tous ses défauts physiques.

Il s'approcha, mine de rien, et utilisa la vieille technique apprise par son père, de bousculer la fille et de s'excuser.

Elle ne remarqua même pas la secousse. Il improvisa donc et se mit à danser, plutôt gesticuler, devant elle.

Les yeux fermés, la tête telle une girouette, elle planait. Cette conne ne me voit même pas, se dit-il.

L'effet de ses verres commençait à se faire sentir, et enhardis par ses rêves de far-West et de Caraïbes, il la saisit par la taille et accorda son rythme au sien.

Et là, Méduse apparut.

Ses grands yeux verts émeraudes s'ouvrirent pour le pétrifier et lui, le chasseur, devint l'espace d'une seconde, le chassé. Elle était jolie. Mignonne à croquer.

Après avoir repris ses esprits, Franz déblatéra son baratin habituel :

« Désolé j'ai pas pu m'empêcher de venir danser avec toi.

- Pas de problèmes, tu me payes un verre ?

- Ouais bien sûr, viens. »

Chaque chose avait un prix dans ce monde et il fallait s'y soumettre. Il l'entraina dans un coin sombre du bar.

Faudrait pas qu'elle voit trop ma gueule 

Elle prit une coupe de champagne.

Oh la pute.

Et lui, une bière, question finance.

Elle rigolait à ses vannes douteuses, souriait ; lui songeait plutôt qu'elle ne pigeait rien à cause de cette bouse auditive que le DJ passait et rigolait pour justifier sa saloperie de champagne.

Après cinq minutes de bavardages inutiles, elle déclara devoir aller aux toilettes, et prétextant un besoin imaginaire, il la suivit. Peur qu'elle parte gratter du champagne à un autre pigeon, et qu'il ait investit pour rien?

D'un coté, il y avait les toilettes dames: Disney Land, une heure de file à partir de ce point là.

De l'autre, les toilettes hommes: désert marécageux.

Elle ne voulait pas attendre, c'était une impatiente. Elle rentra donc chez les mecs. Elle scruta les trois cabines, choisit le moins dégueulasse et ferma la porte sans la verrouiller.

Franz prit ça pour une invitation et quand le bruit de pisse sur la porcelaine s'arrêta, il ouvrit la porte comme un con.

« Mauvais calcul, t'as oublié la chasse. »

Elle se leva, sans honte, réajusta sa robe, tira enfin la chasse, l'attrapa par la chemise et lui fourra sa petite langue rose dans son gros gosier d'ivrogne.

Une langue pareille, aussi douce, aussi agile, il n'en n'avait jamais senti des comme ça. Et n'en sentirait plus jamais.

Ils se touchèrent, se caressèrent. Il n'en pouvait plus, son slip était au bord de l'implosion, il se senti durcir et essaya d'arracher son string à elle.

« Pas touche minouche, je suis réglée. »

Il voulu crier son dégout au monde entier mais répondit juste un triste: « euh, ah ok.
- Fais pas ta tête de merlan frit, tu vas l'avoir ta pipe. »

Et là dans ce marécage de défection humain, elle s'accroupit et suça Franz comme une déesse. Ce qu'elle était d'ailleurs.

Il en était convaincu maintenant, il l'aimait. Plus il voyait sa bouche aller et revenir le long de son membre, plus il était amoureux. Il se voyait entamer une relation sérieuse avec elle, et mon Dieu que c'était bon, il gémissait comme un gosse tandis qu'elle l'avalait goulument. Il se voyait la présenter à son père. Il se voyait voyager avec elle. Il n'en pouvait déjà plus. Il se voyait main dans la main dans un parc, couple idyllique, il allait craquer.

« Tu peux te lâcher, ça me dérange pas. »

La phrase attendue de tout hommes. Cette phrase le fit jouir, sans prévenir. Une semaine sans branlette, direction sa bouche à elle. Aucune somation, une balle à bout portant en pleine gorge.

Elle se releva, et le regarda avec ses yeux kaki, du foutre au coin des lèvres. La magie avait disparu. Il ne dit rien, rangea son engin, et sans rien dire, sorti, dégouté.

« Espèce de connard, tu pourrais au moins... entendit-il avant de franchir la porte. »

Il était de retour en enfer.

Il se dirigea vers la sortie, sans détours, triste et léger. Tout ça pour ça.

Pour rien.

Aveuglé par sa bite. L'homme n'est qu'hormones et pulsions. Je pense donc je baise. Point barre.

Franz passa Cerbère. Les larmes aux yeux, il monta les escaliers.

L'air libre, enfin.

Et tandis qu'il marchait, il pleurait à chaudes larmes et, regardant les étoiles, se dirigea vers le néant.

  • C'est vivant et triste. Il pourrait trouver un perroquet et un bateau pour une nouvelle aventure… Bravo

    · Il y a presque 10 ans ·
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    nyckie-alause

  • J'aime beaucoup ta description de la boite de nuit (je pense qu'on a la meme opinion sur ce lieu de "perdition"), j'ai beaucoup aimé aussi les "Il commanda un whisky" etc et surtout la vodka ("pas qu'il ait toujours rêvé d'être un paysan communiste, il aimait juste les mélanges") qui m'a fait rire!

    Et puis la fin, tellement vrai au final! bien joué

    · Il y a presque 10 ans ·
    318986 10151296736193829 1321128920 n

    jasy-santo

    • Le whiskey et le rhum était tellement simple à associer avec cow-boy et pirate que je savais pas trop quoi dire pour la vodka. C'est venu tout, je t'avoue que je me suis fait rire aussi! Merci en tout cas!

      · Il y a presque 10 ans ·
      Nielsordenador copie

      Niels

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