Le dîner, effet de lampe

la-belette

Le petit chaperon qui passait par là.

«  Ta mère va bientôt arriver ».

Ils mangeaient de bon cœur dans la salle de restaurant, à l’arrière. Cette salle ne sert plus beaucoup depuis que la rocade existe, plus personne ne s’arrête ici. Sur la table, l’areca était plus vert depuis que je l’avais retiré de la serre. On a bu un coup de blanc, du muscadet et de l’eau à bulles, je n’avais pas grand chose à leur proposer. Ils étaient contents de se retrouver ces trois là, après tant d’émotion.

Sa mère ne devait pas être longue, je lui redis quand elle plongea ses grands yeux dans les miens.

« Un chocolat au lait ».

C’est la seule chose que j’ai entendu de cette femme pendant longtemps. Elle venait dans mon hôtel-café-restaurant tous les matins, prendre un chocolat au lait.

Saint Mathurin, c’est petit comme bourg, un café, une boulangerie, un boucher et un coiffeur. C’est un peu les quatre mousquetaires aux quatre angles de la place de l’église. S’agit pas de se mettre mal avec l’un de nous, sinon c’est prendre la voiture et les Rosiers à cinq kilomètres. Forcément dans ce petit pays, cela intrigue une femme seule, discrète et belle. Elle regardait par la fenêtre en dégustant son cacao et repartait à 11h30, pas un mot, quelques sourires.

J’appris par Freddy qu’elle avait loué la ferme du Paul depuis peu. C’est une fille de la ville, elle habite seule avec sa fille, une gamine comme elle, discrète et délicate. Les jours sont longs dans cette commune, rythmés par le passage des tracteurs. La route est plus souvent marron de boue que bleu goudron. Elle est arrivée en novembre, le jour des commémorations, la brume sur la Loire nous empêchait de voir à cinq mètres. On ne distingue plus ce qui est du fleuve ou de la terre. L’air est d’un blanc si laiteux que l’on pourrait le manger à la petite cuillère. C’est ce jour là que la voiture du Préfet a failli passer par dessus bord.

Qu’est-elle venue faire là ?

« Fais attention dans la forêt » lui répétais je souvent lorsqu’elle passait le mercredi matin, avec sa mère, chercher le journal et Mickey. La petite s’est liée d’amitié avec une grand-mère juste derrière la ferme. Il suffit de passer le petit bois et d’arriver à la clairière où se trouve la maison de Léonie. Elle faisait le trajet 5 ou 6 fois dans la semaine. Elle rentrait parfois la nuit. Cela fait causer les voisins, laisser une si petite fille, seule, traverser le bois. Mais la petite se réconforte auprès de Léonie, elles se chantent des chansons, vont voir poules et cochons. La maman est partie de Paris pour fuir son homme violent, il ne sait pas qu’elles sont là. C’est une amie qui lui a trouvé la maison, elle était déjà venue en vacances aux beaux jours de ce coté-là de la Loire et pour ses fiançailles. Il paraît que la journée avait été fabuleuse, pleine d’éclats de rire et de joies, embellie par sa belle robe blanche avec dentelles et cotillons mais depuis la vie s’est assombrit, « la gaité du midi a fait place au désespoir du soir » comme dit ma mamie.

« Porte-lui de la confiture de prune et du pain frais ».

La grand-mère était malade. La mère de la petite l’envoya lui porter quelques sucreries. Elle y rencontra un loup, nous dit-elle, qui la poussa sur un autre chemin. Elle arriva et ne reconnut pas Léonie dans son lit tellement la maison était sombre, elle mit cela sur le compte de l’épuisement de son amie. Elle posa une ou deux questions pour se rassurer mais elle se fit croquer par le loup comme la grand mère avant elle. Son cri, bref et soudain, alerta Jean-le-freluquet, le bucheron, qui passait par là. D’un coup de hache bien senti, il lui ouvrit le ventre et en ressortit les deux femmes qui avaient été avalées toutes crues. Les deux mêmes, qui devant moi ce soir, ripaillent et rigolent comme une bande de loups affamés.

« Prends une noix, mon enfant » lui dit Léonie, ta mère ne va plus tarder. Jean engloutissait son pain, il était 21h. On ne retrouva jamais sa mère.

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