Le Discours d'un Roi
scarlett-montag
La première scène s'ouvre sur le Duc d'York. D'emblée l'ambiance est au solennel. Un premier discours pour Sa Majesté le Duc d'York. Trois fois rien. Un chemin de croix pour celui-ci. Car malgré les titres, le prestige, la lignée, Sa Majesté est affublé d'un défaut dont il ne sait se défaire. Sa Majesté bégaye. Sa Majesté déteste les mots, craint d'affronter le public, à travers cet instrument de torture qu'est le micro. Sa Majesté commence son allocution: rien à faire, il bute, trébuche, n'arrive pas à venir à bout de ces cinq minutes qui lui en paraissent cent.
On a peur pour lui. On a envie de l'encourager tout du long, comme le fait sa magistrale épouse, la Duchesse. Une vraie femme, de celles qui appuient leur homme dans l'ombre, qui représentent quasiment la Providence. On dit souvent "c'est la Providence qui t'envoie", là c'est La Providence qui est sur place, qui aide ce futur roi qui manque de confiance en lui. C'est elle qui va chercher, cet homme, cet hurluberlu sans diplôme, qui va sortir le Duc de sa torpeur, c'est lui qui le réconciliera avec sa fierté, sa confiance en lui, lui qui un peu fera de cet "handicapé de la parole" le Roi George VI.
Par un malheureux concours de circonstance et un coup de pouce du destin (car c'était écrit qu'il devait changer), le frère de George VI, Edouard VIII, lui cède sa couronne. Cela laisse le nouveau roi désemparé, car il se sent encore incapable de remplir ce rôle. Ce n'est pas l'avis de Lionel Logue, le "médecin utilisant des méthodes peu orthodoxes et controversé" qui voit en lui tout le potentiel nécessaire pour être à la tête du royaume. Il suffit juste qu'il trouve ... sa voix.
Lionel, ou plutôt Logue, lui fera passer une série d'exercices tous plus originaux les uns que les autres. Cela passe par la lecture à haute voix avec des écouteurs aux oreilles, au monologue entrecoupé par divers gros mots et autres injures, tels que "bordel de merde, bâtard, foutre foutre foutre" pour ne citer que ceux-là. Ses méthodes paient. Logue n'a aucun titre, ni diplôme, juste ses expériences vécues. Il se distingue par le fait qu'il a confiance au Roi et sait qu'il saura être meilleur souverain que son frère. Mieux qu'un médecin, il devient son ami.
Mais la guerre devient imminente. Hitler est prêt à passer aux choses sérieuses. Le Roi George VI visionne un film sur cet ennemi qui veut asseoir son pouvoir sur l'Europe et il est comme fasciné. Fasciné par cet orateur, impressionné par cet homme n'ayant aucune difficulté à faire passer un message, lui qui a du mal à avoir le dernier mot avec son frère. Il éprouve peut-être de la peur également, car il sait combien les mots peuvent contenir de la force,du poids, lui qui manque cruellement de tout ça, du pouvoir de la parole. Il doit réussir à se faire entendre. L'Angleterre doit l'écouter. Il doit être convaincant. A Logue il dit " je dois pouvoir me faire entendre", "pourquoi?", "PARCE QUE J'AI UNE VOIX!!".
Le jour J. Le discours devant toute l'Angleterre. Mais pas seulement. Les pays anglophones, tout les pays anglophones écoutent. Sont aux aguets. Ils connaissent les problèmes d'élocution du Roi. Tous retiennent leur souffle. Sa Majesté La Reine ouvre les portes "chéri, c'est à vous". Les minutes s'égrènent. Le temps de parole sera de neuf minutes. Tous les alliés du Roi sont là, comme un dernier soutien avant l'ultime épreuve: le Premier Ministre Baldwin, l'évêque de l'abbaye de Westminster, et même Winston Churchill, la figure charismatique de cette époque.
Sa Majesté le Roi George VI entre dans la petite pièce sobrement décorée, pas du tout au fait. Juste au milieu trône, comme pour le narguer, cet instrument de tout ses cauchemars: le micro, l'appareil, tout le dispositif. 20 secondes. Juste le temps pour lui de remercier Logue, l'homme fort de son équipe. 10...5....
On angoisse. On ne respire plus. Comme si nous étions revenus à cette époque. En temps de seconde guerre mondiale, à Londres, années trente. Nous sommes parmi le peuple. Nous écoutons. Et insidieusement, nous prions. Nous prions pour que tout se passe bien. Et c'est bête car c'est la fin du film, et tout film a normalement un happy end. En tout cas, là ça devrait être le cas. Mais on n'y peut rien. A ce moment là, on est anglais. Patriote.
Les neuf minutes sont passées. Sa Majesté a réussi l'exploit. Il semble qu'on a combattu avec lui, qu'on a fait l'homme orchestre avec Lionel Logue. Le Roi sort de sa salle, pardon ex salle de torture. Car il a réussi. Certes, il y a eu des failles, cela renforce le réalisme de la situation. Mais il a réussi non pas juste à lire le fameux discours, il a réussi à faire passer son message, c'était un cri, un appel au patriotisme anglais, pas juste une lecture de circonstance. Car lui qui s'est longtemps débattu avec les mots, ne sait que trop bien ce que signifie le fait de pouvoir s'en servir, à bon escient, y mettre toute sa volonté et y croire.
C'est un homme fier qui parade maintenant au bras de son épouse, embrasse ses deux filles Elisabeth et Margareth, et salue son nouvel ami, Lionel Logue. Il est maintenant fin prêt à saluer la foule venue pour l'acclamer. Et nous? On peut sortir de la salle de cinéma, ou pas. Car on a envie de rester, et de d'être témoin de l'évolution du Roi George VI. On s'est attaché à lui, à sa femme, à Logue. On voudrait parler au réalisateur, lui demander d'où vient l'idée de" faire une petite histoire dans la grande Histoire", et surtout on veut savoir comment le peuple anglais, si attaché à ses traditions, peut faire face aux blockbusters américains, en signant un film qui à priori ennuyerait plus d'un dès le départ, mais qui se révèle être juste un pur chef-d'oeuvre, ceci tout en restant "so british"? That is still the question.
Ben c'est un plaisir et un honneur pour moi de susciter l'envie de voir un film ne serait-ce qu'à une personne!!
· Il y a presque 14 ans ·scarlett-montag
dommage, je ne l'ai pas vu (situation géographique peu propice...) mais je me ferai une séance de rattrapage à mon prochain passage en terre cinématographique ! Merci à toi de m'avoir donné envie !!
· Il y a presque 14 ans ·mls
merci beaucoup!! je suis ravie que ce film aie remporté tout les suffrages car il est très fort, très beau mais surtout apporte de l'émotion et de la réflexion. Je n'en regarde pas souvent des comme ça, mais j'en suis toujours toute retournée à la fin. merci encore!!
· Il y a presque 14 ans ·scarlett-montag
J'ai repensé à ce texte en apprenant ce matin le franc succès de ce film aux Oscars (même si ce n'est pas forcément une référence) ! J'étais sûre d'avoir laissé un commentaire à l'époque de ma première lecture, mais ce n'était pas le cas ! En tout cas, je me souviens, et je le dis aujourd'hui, avoir bien apprécié ton regard !
· Il y a presque 14 ans ·mls