Le feu au lac

petisaintleu

Je n'ai pas cru très longtemps au Père Noël. D'un point de vue pratique, mon papa m'avait divulgué son inexistence pour mettre un terme à des dépenses trop coûteuses. Mais je dois avouer que j'avais déjà quelques doutes.

En effet, je ne voyais pas pourquoi, même après qu'il soit rentré au Pôle Nord, ce salaud m'ait laissé dans le cagibi. Tout avait pourtant presque bien commencé. Cette année-là, la fête de fin d'année se déroula en deux parties. Mon papa n'était alors que responsable de bureau rattaché à une agence. Ce n'était donc pas lui qui avait pu organiser les agapes qu'elles deviendraient par la suite pour célébrer Bacchus.

Dans un premier temps, nous eûmes droit à la projection du Gendarme à New York. J'étais très fier de dire à mes copains de circonstance la signification de New en français. C'est ma tante Carmen qui me l'avait appris alors qu'elle me faisait lecture de Martine qui, elle aussi, s'était retrouvée en vadrouille dans Manhattan.

En sortant du cinéma, j'avais eu mon premier couac. La première honte de ma vie qui allait me pourchasser de longues années dans mes cauchemars, avant que Sylvie et Valérie ne prennent le relais. Courant sur le trottoir, encore tout excité des bouffonneries de Louis de Funès, j'avais saisi la main d'un monsieur, trop heureux de lui détailler les aventures du truculent maréchal des logis-chef Truchot. Quand j'entendis des rires fuser venant de derrière, je levai la tête pour découvrir qu'il ne s'agissait pas d'un employé de la prestigieuse institution mais d'un clochard, trop heureux d'avoir enfin de la compagnie.

Cela se traduirait de manière onirique par un train qui, alors que j'étais attaché sur la voie, était sur le point de me réduire en bouillie, avant qu'il ne reprenne sa place initiale; encore et encore et encore.

J'oubliais pour un temps la gêne occasionnée quand, dans la salle louée pour la circonstance, le Père Noël arriva avec ses joujoux par dizaines. Il faut croire que je n'étais pas encore un pestiféré. Il m'offrit le superbe camion de pompiers que j'avais coché dans le catalogue.

Malheureusement, en arrivant à la maison, sa vie fut d'aussi courte durée que le temps qu'il faut aux soldats du feu pour arriver sur le lieu du sinistre. La grande échelle disparut mais pas, contrairement à la chanson de Sacha Distel, les tuyaux. En deux minutes de temps, je l'avais réduite en cendres dans une tentative d'y faire grimper ma sœur.

Je ne sais pas si le pompier récalcitrant a droit au mitard. Ce fut mon cas, au pain sec et à l'eau, jusqu'au lendemain matin. J'eus alors tout le loisir pour méditer sur les dents pourries que m'avait affichées le vagabond.

Avec le recul, je trouve ces malheurs bien anodins. Quand je vais à San Pedro, le village d'origine de ma femme, je m'arrange toujours pour mettre dans mes valises des tablettes de chocolat. Quand je vois les enfants en enfilade, les yeux pleins de reconnaissance et laissant fondre le carré entre leurs doigts crasseux de peur que dans la bouche il ne soit trop vite englouti, je me dis que ce fainéant de Père Noël pourrait de temps à autre se bouger les fesses pour pousser plus souvent vers l'Equateur.

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