Le frisson

nelopee

Un journal intime ressuscité? [2015]

Par où commencer? « Raconter sa vie » n'a jamais été une chose aisée pour moi. Je ne laisse pas grand-chose filtrer dans mes conversations car je n'en ressens souvent ni l'envie, ni le besoin. Lorsque je me décide à raconter une histoire plus personnelle, je bute sur les mots et tout me paraît alors dénaturé une fois qu'ils sortent de ma bouche. Par écrit cela se montre plus facile, mais je suis tentée soit de romancer la situation par des envolées lyriques hors de propos, soit d'aligner les phrases dans un style chirurgical qui affaiblit les sentiments se cachant derrière. J'ai l'impression de cacher la vérité. Je ne veux pas mentir sur mon vécu mais je m'y sens bizarrement parfois obligée, pourtant pas par honte, pas par goût non plus... Ce ne sont pas de gros mensonges après tout, seulement des omissions opportunes, de petits remplacements que personne ne peut capter à part moi. Cela ne fait aucun mal, mais cela enlève toute authenticité. Un comble puisque je ne peux pas supporter un récit qui sonne faux.

Aujourd'hui, j'ai cette envie de transmettre aux gens un peu de ce que je gardais uniquement dans ma tête, de ce que j'ai vu et vécu. Ce sont les discussions avec ma meilleure amie qui m'ont fait réaliser certaines choses que je n'aurais sûrement jamais remarqué seule. Puis il y a ces films qui montrent des bandes de jeunes vivant des aventures plus ou moins ordinaires et trashs. Il y a la série Skins, puis le film Palo Alto de Gia Coppola, un de mes films préférés, qui m'a le plus inspirée. Moins pour son contenu que pour ce qu'il représente, pour les échos qui résonnent avec ma propre vie. J'aurais aimé avoir le talent de la réalisatrice pour pouvoir filmer moi aussi ces instants dont je suis témoin et les assembler dans un métrage documentaire indé qui finirait par percer - pourquoi pas - dans les milieux underground.

Seulement j'ai toujours été plus ou moins douée uniquement pour une chose: l'écriture. Je suis loin de me jeter des fleurs, c'est juste quelque chose qui me passionne depuis que j'ai écrit mes premières histoires à sept ans et commencé dans la foulée un journal intime. Non, je ne partagerais jamais mes journaux intimes irréguliers qui servent plus de défouloir que de support artistique. Je n'ai jamais compris comment les filles faisaient pour garder des cahiers parfaitement tenus avec une écriture calibrée, de jolis dessins sur chaque page, des collages, des photos... Les miens avaient une écriture qui partait dans tous les sens et des pages froissées, raturées, réécrites sauvagement...

On nous fait croire que les années lycées sont les meilleures de notre vie. On nous gave de teen-movies à la sauce hollywoodienne avec de belles bandes d'adolescents vivant de grandes aventures dramatiquement passionnelles. Bien sûr que cela m'a fait rêver aussi. Mais par rapport à ces promesses, cette période n'était finalement que déceptions. Un long chemin pavé d'ennui à regarder les autres vivre leur vie, mais à exister à côté de la sienne. Alors oui j'ai rencontré des amis, de vraies bonnes personnes. J'ai eu de beaux moments. Mais j'avais toujours l'impression de manquer quelque chose d'important. Je croyais à l'époque que c'était l'amour, un petit ami qui prendrait soin de moi. Ah, la naïveté.

A présent, je sais que c'était le frisson. Sans frisson, pas d'appréciation du moment présent, ni de stimulation qui nous pousse à avancer.

Au moins, cet ennui adolescent m'a permis de me concentrer sur mes études et cela m'a réussi. J'ai obtenu le concours d'une école reconnue et mon bac avec mention. Un mal pour des biens. Il y a tellement d'exemples de personnes qui ont préféré l'excitation de leurs expériences au train de leurs responsabilités. Moi, je faisais ça mécaniquement, comme la petite fille travailleuse que j'avais toujours été. J'avais besoin de me prouver des choses, je devais réussir au moins dans un domaine. Et c'est ce qu'il me restait. Avec le recul, je suis contente d'avoir fait les choses dans cet ordre. Je connais maintenant le frisson qui s'est tant fait attendre mais j'ai derrière moi une situation stable, même si mon avenir professionnel reste toujours à définir… Je me considère quand même comme privilégiée.

Mon entrée dans cette école a énormément joué : l'indépendance, les vagues de têtes inconnues vers qui se tourner, la nouveauté absolument partout. C'est ce dont j'avais besoin. Mais ce n'est pas de ça dont je veux parler. C'est un bon sujet, mais ce serait occulter le changement qui s'opéraient « à la maison » aussi : de nouvelles têtes qui entraient dans notre vie, ce que je croyais peu probable après le lycée - en tout cas me concernant. Je n'avais pas besoin de nouveauté ici, j'en avais déjà assez dans mon autre ville, ma ville d'études. Mais il faut croire que je me suis laissée prendre au jeu.

J'avais déjà entendu parler d'eux car, pendant la dernière année de lycée, mes amies se sont rapprochées de cette bande. Une par une. « La » bande, uniquement composée de garçons. Des skateurs. Alors que nous, nous étions juste des filles - dans la moyenne, peut-être un peu paumées mais indépendantes. Moi, comme d'habitude, j'étais la dernière. La boucle était bouclée. J'en ai entendu des histoires avant de mettre des visages sur les noms. C'était des soirées qui finissaient mal, des histoires de cul, beaucoup de soucis existentiels, mais beaucoup d'excitation aussi. Des discussions à n'en plus finir. « Pourquoi me prendre la tête avec ça? », je pensais pour me rassurer. J'en voyais quelques-uns de loin à la sortie du lycée, et c'était peu dire qu'ils étaient intimidants. C'était des garçons avec du charme qui avaient l'air assez je-m'en-foutiste. Lorsque je les ai approché pour la première fois dans un réel contexte j'étais encore pleine de préjugés sur eux, ce n'était pas le coup de foudre. Je ne voulais pas leur parler plus que ça.

L'intérêt, la curiosité a fini par être plus fort que tout. Ce fut lors du nouvel an 2015 que je les ai apprivoisés à proprement parler. Il y avait J. et ses béquilles, D. et sa bouteille de whisky, Y. et ses photos, E. et ses discussions philosophiques, M. et sa funk, Z. et ses danses, T. et ses blagues pourries, A. et sa nonchalance, L. et ses vrombissements de moteur… Puis l'ambiance. Les meilleurs sons hip-hop et trap qui défilaient et faisaient battre mon cœur de contentement, mes meilleures amies qui dansaient à mes côtés. De la joie, de l'amour, du fun.

Pour la première fois, je l'ai senti en pleine face. Le frisson. Saisissement nerveux, ébranlement psychique dont la cause est une émotion plus ou moins vive. [Sur le mode du plaisir] Le frisson du désir; un frisson d'allégresse, d'espoir; un frisson délicieux. Mais aussi, et surtout, ce qui nous caractérise le mieux lorsque l'on se retrouve tous ensemble à bouger sur la bonne musique : Courant d'émotion qui gagne un groupe de personnes, une foule. Un frisson de fête, un frisson d'enthousiasme courant dans l'auditoire.

Tout s'est enchaîné de manière déconcertante. Quand je passais les week-ends chez ma mère et que j'avais l'opportunité de sortir, c'était toujours avec eux. Au début je ne faisais que suivre mes amies. Ce n'est qu'à partir de l'été que j'ai commencé à me sentir réellement intégrée. Je les connaissais bien mieux, et vice-versa. C'était assez facile finalement, ils étaient ouverts et leurs délires me plaisaient. Je pense qu'ils m'ont facilement adopté aussi grâce aux filles. Je ne sais pas, on n'en a jamais vraiment parlé. Mais je les ai considéré rapidement comme de vrais « potes d'aventure ». J'appréhendais chaque soirée avec excitation, car je ne savais jamais vraiment comment celle-ci allait se dérouler. Personne ne le savait d'ailleurs. Les plans étaient fait à l'arrache, la seule chose de sûre, c'était que tout le monde était prêt à sortir chaque week-end.  

(...)

Il y a eu des soirées oubliables et des soirées véritablement mémorables. Et c'est pour celles-là que je vivais, pour m'échapper de la routine inévitable. 

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