Le garçon qui aimait les histoires

littlerebel

Parce qu'on a toutes rêvé de lui. Parce qu'on a toutes voulu qu'il n'existe pas que dans les légendes. Un texte à mi-chemin entre les films et le livre.

J'ai enfin réussi à faire taire mon cerveau. Je pense trop, j'ai mille idées à la seconde et après j'arrive plus à m'endormir. Je suis dans cet état de semi-somnolence qui précède le sommeil. Je repousse les draps au fond du lit. Un air frais vient me caresser le visage, en été j'aime bien laisser ma fenêtre ouverte. Je m'abandonne dans les bras de Morphée. Tout à coup un bruit me tire de cette douce torpeur. Un livre est tombé. J'ouvre un œil et je scrute le plancher sous mon étagère. Rien. Bizarre, je suis pourtant sûre d'avoir entendu quelque chose tomber dans ma chambre. Trop fatiguée pour me poser plus de questions, je laisse ma tête retomber lourdement sur mon oreiller et je ferme les yeux. Un « chut ! » un peu bruyant me tire une nouvelle fois de ma somnolence. Cette fois c'est certain, il y a quelqu'un dans ma chambre. Sûrement ma petite sœur encore venue m'emprunter des livres en cachette qui parle au chat qui fait trop de bruit. J'attrape un coussin à côté de moi et je le lance sur la source du bruit.
- Hé !
C'est une voix de garçon. Je n'ai pas de frère. Je me redresse en sursaut et me rue sur l'interrupteur. Un garçon est dans ma chambre, près de ma commode. Des tas de questions se bousculent dans ma tête : Qui c'est ? Pourquoi il est là ? Agresseur ? Violeur ? Non, il est trop jeune, 14ans maximum, à peu près mon âge quoi. Les questions forment une bouillie dans ma tête et aucun son ne sort. Je suis trop stupéfaite pour prononcer un mot. Le garçon, lui, ne semble pas gêné plus que ça de la situation. Il a l'air de trouver parfaitement normal le fait de rentrer chez les gens la nuit par la fenêtre. Non mais qu'est-ce que je raconte, ma chambre est au 3ème étage de ma villa, il n'a pas pu rentrer par la fenêtre. Par où est-il passé ?? Il m'adresse un sourire et se finit par se présenter.
- Salut ! Moi c'est Peter !
- Et moi Carla.
Après ce balbutiement, je reprend mes esprits.
- Dis donc Peter, tu pourrais me dire ce que tu fiches dans ma chambre, à … (coup d'œil rapide à mon réveil sur ma table de nuit) minuit ??
- Je viens lire tes histoires !
- Mes histoires ??
- Oui, celles que tu écris dans ce cahier.
Il pointe du doigt mon cahier par terre. C'était donc ça qui est tombé. Mon cahier là où j'aime bien griffonner quelques textes.
- Comment tu sais ça ? Et puis d'abord, on se connaît ?
- Je viens souvent ici, je t'ai déjà vue écrire tard le soir.
Pardon ?? Ce garçon m'espionne ?
- Ça fait combien de fois que tu es venu dans ma chambre pendant que je dors ?
- Oh je ne sais plus, plusieurs fois déjà.
Quel curieux personnage … Je prends le temps de l'observer avant de dire autre chose. Il est torse nu, il porte juste un pantalon kaki très rapiécé, qui semble avoir été cousu par un aveugle ayant la Parkinson. Il est pieds nus. Il a des yeux foncés et un regard malicieux. Il me sourit une nouvelle fois. Oh mon Dieu. Il a le plus charmeur des sourires que j'ai pu voir. Ses cheveux sont d'un joli blond châtain, tout décoiffés. Mais je dois dire que cela ajoute à son charme. On dirait un clochard, un orphelin.
- Dis-moi Peter, tu habites où ? Il se déplace jusqu'à la fenêtre et pointe vaguement du doigt les toits des maisons lointaines.
- La deuxième à droite et puis tout droit.
Ces mots me semblent légèrement familier mais je n'arrive pas à me rappeler où je les ai entendus ...
- Tes parents te laissent sortir la nuit ??
- Je n'ai pas de parents.
Tout s'explique …
- Et donc tu aimes mes histoires …
- Oui ! Je les racontes aux garçons avec qui je vis.
- Ah parce qu'il y en a d'autres comme toi ...
- Non, personne ne me ressemble, je suis un garçon unique et extraordinaire !
Et ben dis donc, il a un peu les chevilles gonflées celui là ! Je comprends pourquoi il se balade pieds nus !
- Et comment tu es rentré dans ma chambre ?
- Par la fenêtre !
Il avait dit ça d'un air tellement ahuri, comme si ma question semblait des plus incongrues. Et tout d'un coup ce fut le déclic. Un garçon pieds nus qui aime les histoires, orphelin qui vit avec d'autres garçons, une entrée par la fenêtre … J'ose lui poser une dernière question pour vérifier mes hypothèses …
- Est-ce que la fée Clochette est venue avec toi ?
- Bien sûr ! Elle a dû se perdre dans ton armoire. Tu la connais ??
- Et comment que je la connais ! Je te connais bien aussi Peter Pan ! Bien mieux que tu ne le crois !
- Dans ce cas, viens avec moi Carla, tu pourras raconter d'autres histoires aux Garçons Perdus !
- D'accord ! Mais hors de question de jouer les mamans à rester enfermée dans la cabane souterraine. Je veux me battre avec vous et affronter les pirates !
- C'est d'accord ! Une fille vaut mieux que 20 garçons tu sais.
Il avait dit ça d'une façon tellement craquante … D'une voix à laquelle aucune femme n'avait jamais pu résister.
- Peter, avant de partir … est-ce que tu sais ce que c'est un baiser ?
Il sortit un gland d'une de ses poches et me le tendit. Évidemment j'aurais dû m'en douter … Aller, un petit effort de mémoire …
- Merci, je peux te donner un dé à coudre alors ? demandai-je en rougissant.
Il s'approcha de moi, j'allais poser mes lèvres contre les siennes lorsque Clochette, surgie de nulle part, s'interposa entre nous, sa poussière me piquant les yeux. L'éternelle jalouse est de retour …
- Oh ben tient, voilà Clochette ! dit-il en riant. Clochette sois polie et dit bonjour à Carla, elle va venir avec nous pour nous raconter des histoires ! Au fait, tu sais voler ?
- Je connais la formule : de la confiance, de la foi, et de la poussière de fée !
- J'étais sûr que tu connaissais quelques trucs, les garçons ne voulaient pas me croire !
Il attrapa Clochette qui essayait de s'enfuir et me souffla un nuage de poussière pailletée dans la figure. Je sentis mes pieds décoller du sol, je volais ! Je riais de plaisir, Peter Pan me saisit la main et m'entraîna vers la fenêtre. On se posa sur le rebord et je pris le temps de jeter un dernier regard à ma chambre, avant d'admirer la deuxième étoile à droite qui brillait de mille feux. Il planta son regard de tombeur dans le mien et me chuchota :
- Oublie les. Oublie les tous. Viens avec moi et tu n'aura plus jamais à te faire du souci pour ton avenir.

Je pris mon appui sur le rebord de la fenêtre et je m'élançai dans l'air frais de la nuit.

Une sonnerie stridente retentit soudain. La fée Clochette disparu, Peter Pan aussi, le soleil pointait à l'horizon. J'étais dans mon lit, ma lampe de chevet était allumée. Un objet dur me gênait dans le dos. Je le tirais de là pour voir ce que c'était. Hier soir, je m'étais encore endormie en lisant Peter Pan, de J.M.Barrie.

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