Le grand froid

Aujourd'hui, la reine des abeilles est morte.
Aujourd'hui, il n'y aura pas de fête, pas de joie, pas de miel.

Le grand froid est arrivé, en plein mois de mai, un vent glacé qui rentre jusque dans vos os et ne laisse place à aucune espérance, aucun rayon, aucune envie. Le vent soudain a tout tué. La magie de la Nature s'est brutalement arrêtée. Qui aurait cru que l'hiver pourrait surgir ainsi ? N'a-t-il pas honte de s'inviter à une fête pour tout y détruire ?

Il s'est immiscé dans les plaines, insinué dans les terriers,  a glacé le cœur de tous les habitants de la forêt puis, assoiffé de mort, pas encore rassasié, il a ondulé jusqu'à cette magnifique ruche où tous bourdonnaient de plaisir, produisant un nectar de vie, vivant pleinement ce joli printemps.

Alors,  il a pris la plus belle et la plus grosse des abeilles, à la fois mère de tous et ouvrière de rien, si nécessaire et si paresseuse. Il l'a soulevée de ses doigts glacés, de ses doigts de mort et l'a embrassée, elle qui palpitait de vie.

Étrangement, elle n'a pas eu l'air apeurée : on aurait dit qu'elle savait déjà qu'il viendrait la chercher.
Pire, on aurait dit qu'elle l'attendait.

Elle était peut-être lasse de la ronde infernale des jours, de la succession interminable des saisons, de ce miel qu'il fallait sans cesse renouveler. C'est pourquoi ses enfants et amis l'ont vue avec horreur se livrer sans résistance au méchant blizzard qui l'emportait dans un monde sans vie.
Alors que son petit corps s'engourdissait, qu'elle ne sentait plus ses ailes frétiller, sa robe jaune se poudrer, son petit coeur aimer, elle sourit à son bourreau, comme s'il la délivrait, comme si elle avait toujours su que c'est ainsi qu'elle sortirait de scène, sans regret et sans haine.

A présent, il règne un calme terrible sur la plaine et dans toute la forêt. Un calme inaccoutumé. Un de ces calmes qui font frissonner. Et penser à la mort.

Oui, aujourd'hui, la reine des abeilles, la plus belle des amoureuses, est morte.