Le grand père

Brigitte Fontaine

Le grand-père on peut dire qu’il a été heureux. Il a pris le bon côté des choses. Les dernières années, il les a passées à sculpter de la vigne sur les buffets et les chaises, à se balader avec les gosses, faire des bons petits plats aller voir le lever de la lune au-dessus des genêts. Jamais une réflexion désagréable, jamais un regard malveillant. Tu arrivais chez lui à n’importe quelle heure, il ouvrait une bouteille de bon vin, une boîte de foie gras, et allez donc. Qu’est-ce qu’on riait avec lui.

Si quelqu’un était agressif, il le regardait bien et je ne sais pas comment il s’y prenait, il le calmait. Il n’aimait vraiment pas la bagarre, mais vraiment pas. Il disait qu’il n’était pas là pour ça. En le voyant quelquefois on se demandait : et sa femme qu’est-ce qu’elle est devenue ? Ça c’était le mystère. Peut-être ça avait chauffé autrefois. Il n’en parlait jamais. On ne savait pas du tout ce qui s’était passé. Seulement une fois j’ai entendu son fils qui lui disait : « Tu ne trouves pas qu’elle t’a assez fait souffrir ? » Il a répondu : « Et moi mon petit gars, qu’est-ce que tu crois ? Qu’est-ce que tu crois ? » Il a dit ça deux fois.

Ça fait plus de deux ans que je ne l’ai pas vu. Je ne retourne plus là-bas. J’espère qu’il va bien.

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