Le grenier

Grégory Veilleur

Il est un endroit, aux heures les plus énigmatiques de mes nuits, qui me sauve aussitôt qu'il entiche mes sens. Sans l'effort de relever la tête, car déjà paisible, en position allongée, je l'aperçois haut dans le ciel, aussi certain qu'une demi-lune doit se trouver là, à la prophétie de prévisions astrales irréfutables.

Il est, après la veulerie de mes yeux, ce grenier discret, perché aussi haut qu'une lune, au delà d'innombrables étages qui n'existent qu'en ma tête. L'endroit est confiné, c'est un lieu secret qui ce soir vient s'arrimer doucement, avec le calme le plus olympien.

Le regard, qui fait tant de choses vivantes, demeure plus lent que moi, me laisse dans la confusion, avant de daigner s'éclaircir un peu. Je regagne à tâtons les murs d'un délicat lilas masqué parfois par de vieilles étagères et de lourds buffets.

Me voilà grimpé au grenier.

Au fond à droite, la basse table ronde, sombre et vernie, s'entoure des divans les plus confortables. Au dessus du vieux plancher éclaircit par le temps, s'écorne la beauté de quelques volubiles encens.

Lorsque j'y existe ... Ah ! Je suis toujours empli du plus fondamental des bonheurs. A nouveau je laisse aller à mes narines ces vapeurs de thé blanc, à nouveau j'ouïs la résonance typique des greniers exigus. Le bonheur salvateur de voir autant que je goûte, au soulagement de mes seize ans qui ne m'ont jamais quittés.

Lors qu'à tord, je ne prenais guère cette soupente qu'à la manière d'un débarras où j'en étais le déchet, et qu'à force d'aventures mentales, j'y revenais sous des traits vulgaires et déformés afin d'y entreposer mes alambics. Car je me prenais pour mes personnages et je jouais tant à leur ressembler, et ignorais par d'éternelles adolescences que vouloir ressembler aux autres -furent-ils mes créations- ne faisait que m'éloigner de moi. Je suis reconnaissant d'y parvenir ce soir en pleine franchise de mon être.

Et je lorgne attentivement les vestiges et les livres à l'intérieur de mon crâne. Je passe une main de fantôme sur les ouvrages poussiéreux et imparfaits. Le tressaillement rêche sur la pulpe de mes doigts me place en alerte. Je ressens en ces lieux le déplacement de mes gens. Leur vie et leur histoire. Leur souvenir qui passe, la théière qui chauffe sur la gazinière. Je constate leur dos s'amortir sur les divans en forme.

Ce que je pris pour ma terre était en vérité la leur.

Laissons libres nos personnages ! Car nos demi-lunes s'éclipseront ...

  • Un beau texte, original ! J'aime, entre autres, le passage : "Lorsque j'y existe..." J'aime surtout ce terme.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci beaucoup pour votre attention ! C'est vrai, c'était à mon sens la manière la plus intuitive de l'exprimer.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Img 0888

      Grégory Veilleur

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