Le jardin d'hiver

isabellemarie

Promenade dominicale au passé-composé.

Les yeux rivés vers le vaste édifice de verre et de métal, j'avance lentement et j'actionne la lourde poignée en métal polie qui ouvre l'impressionnante porte ouvragée en ferronnerie d'art, inspirée d'une flore luxuriante; motifs entrelacés de fleurs et de feuilles comme le préconisait le style au temps de l'Art nouveau.

J'entre et tout de suite, une sensation de douceur s'empare de moi. C'est un lieu privilégié, je le sais, le sable fin crisse sous mes pas. Je ne veux pas déranger la sérénité qui se dégage de l'endroit mais cette architecture est dédiée à la découverte.

La lumière irradiante donne tout son sens à la transparence du verre utilisé à bon escient. Elle intensifie les couleurs de la flore installée là; les palmiers le long de l'allée centrale sont accompagnés par une multitude de fougères arborescentes, d'aloès, de bananiers, d'araucarias et de camélias fleuris avec de-ci de-là d'envahissantes orchidées aux teintes chatoyantes.

Au plafond, les coupoles aux armatures métalliques sont remarquables, de véritables oeuvres d'art. C'est avec des yeux émerveillés que je découvre cet immense palais d'hiver.

Je progresse dans ma visite, des tables, chaises en fer forgés, peints en blanc disposés entre des palmiers, sont à la disposition des hôtes afin de reposer et de savourer l'ambiance du lieu après une longue marche dans le parc.

C'est un dimanche ensoleillé, les hautes portes-fenêtres sont grandes ouvertes. J'entends des éclats de voix, des rires, curieuse, je vais voir...

Ces bruits proviennent d'un accès à la galerie aux oiseaux; de splendides et imposantes volières permettent d'apprécier la vue des perroquets multicolores et des aras bleus qui se pavanent fièrement devant leurs admirateurs conquis. Plus loin, ce sont des oiseaux mandarins chahutant et ensuite des colombes dociles que je peux contempler assise sur un banc disposé devant les cages. Par les ouvertures donnant sur l'extérieur, j'aperçois les cygnes noirs en liberté sur une pièce d'eau tandis que des paons se font concurrence devant leurs congénères femelles.

Il doit y avoir, comme souvent, une fête à thèmes ce jour-là car tous les visiteurs que je croise, sont habillés à la mode 1900! Leurs déguisements sont parfaitement réussis, même les enfants jouent avec des jeux sortis du siècle passé.

Personne ne fait attention à moi avec mes jeans et mon chemisier fleuri.

Je délaisse les oiseaux pour aller vers la salle des fauves, annoncée par un écriteau en bois où sont dessinés et peints des félins. Ici l'odeur est acre, il fait plus chaud, quelques secondes, la peur me tétanise, j'essaie de me rassurer, je suis en sécurité. Les grilles sont épaisses mais tout de même, je suis seule, j'aimerai que d'autres curieux m'accompagnent.

Un rugissement me fait sursauter, le lion, bien loin de sa savane, à ma vue ou à mon odeur, s'est redressé de sa litière de paille sèche. Ses yeux mordorés me détaillent, puis dans un grognement exprimant son impuissance, il se rallonge nonchalamment, je ne suis pas digne de son intérêt semble t'il.

Je m'enhardis dans les allées, les panthères noires me lancent des éclairs de leurs yeux émeraude où brillent des éclats d'or. Le pelage luisant, les muscles fuselés, elles tournent inlassablement dans le territoire qui leur est dévolu, l'air prêt à bondir.

Inversement à nous, humains du monde moderne, je constate que les animaux sauvages ont gardé leur élégance naturelle. Ils sont simples dans l'expression de leur pure beauté et c'est cela, je crois qui me fascine. N'est-ce pas cette pureté que l'on retrouve chez certains peuples encore éloignés dans leur mode de vie de notre civilisation ? Avons-nous, au cours de notre constante marche en avant, perdu l'essentiel?

Je ne peux m'empêcher de songer à la vie, jadis, sauvage de ces félins emprisonnés là. On a sacrifié leur liberté pour nous éduquer, est-ce encore bien nécessaire à notre époque?

Je quitte la salle des fauves après avoir vu les pumas, les lynx et les chats sauvages, je suis désabusée...

Je rentre dans le palmarium, sur un écriteau est indiqué qu'il y aura un concert dans le quart d'heure suivant. Je m'installe parmi le brouhaha des spectateurs prenant place sur les sièges en velours, la salle est magnifique. Je devine l'excellence de l'acoustique, les musiciens se préparent; quintette, cors, harpes et puis les flûtes, hautbois et clarinettes. Le silence s'installe peu à peu, pendant que je remarque l'extrême élégance des spectateurs en costumes d'époque; distinction des hommes, coquetterie des femmes; bijoux sertis de pierres précieuses brillant dans la pénombre. Les premières notes: Debussy " le prélude à l'après-midi d'un faune" Ce genre musical a mes faveurs, on la nomme la musique impressionniste, elle inspire à la rêverie.

Les musiciens sont des magiciens, chaque note agit sur la gamme des émotions, tendres ou tragiques ou sensation de joie. Les vibrations explorent les recoins des êtres leur révélant encore et encore qu'ils sont vivants.

C'est magnifique d'avoir de tels endroits au coeur d'une si grande ville, celui-ci a été créé vers 1860. Je songe à tous ces gens s'y promenant, découvrant émerveillés, surpris, les éléphants, les singes, les félins, les ours bruns et les oiseaux exotiques. 

Sortie de la salle avant la fin du concert et que la foule ne se répande dans les allées, je retourne dans la galerie, des silhouettes se profilent, elles ne semblent pas pressées. Je ne connais pas les horaires, je n'aurai pas le temps de tout voir!

Une jeune fille assise sur un banc plus loin, semble attendre sagement, elle me regarde, me sourit. Elle est l'unique personne a avoir croisé mon regard depuis mon entrée dans l'édifice; peut-être parce que je ne fais pas partie de la fête?

Elle est vêtue d'une veste courte, cintrée et assortie à sa jupe, un chemisier en cotonnade, le tout dans les tons beiges. Sur ses cheveux châtains ramassés en chignon est posé un chapeau piqué d'une fleur en papier. C'est modeste mais mignon, elle a les yeux clairs, de beaux traits, elle se tient droite. je m'avance.

" Bonjour mademoiselle! Connaissez-vous l'heure de la fermeture aujourd'hui dimanche?"

" Hé bien dans deux heures je crois...J'ai entendu Monsieur le dire à sa fille tout à l'heure!"

" Merci! J'ai encore du temps!" je suis intriguée par sa réponse.

" Je peux m'asseoir à côté de vous?"

" Bien sûr!"

" Cela fait longtemps que vous vivez dans la capitale?"

" Deux ans déjà!" Ses yeux devenus tristes. " Je suis nourrice chez des gens gentils mais mes enfants me manquent.."

" Où sont-ils?"

" Chez mes parents, je suis veuve et j'ai dû m'exiler pour gagner de l'argent pour eux, je m'y résigne, vous savez! C'est provisoire!"

" Vous venez d'où?" je suis interloquée par son histoire.

" Je suis bretonne, je suis née dans une petite commune au bord de la mer!"

" Oh! Mais je connais très bien!"

Cela à l'air de lui faire plaisir, elle a retrouvé le sourire, elle m'interroge à son tour.

" Je me nomme Marie-Françoise! Vous êtes drôle dans vos habits! je n'en ai jamais vu des comme ça!"

" Je suis drôle.. Comment ça?"  Elle se met à rire.

" C'est vous qui êtes costumée..."


Dring...Dring...Dring! Pitié! J'ai une sirène dans les oreilles, je me frotte les yeux, je suis allongée dans mon canapé. Je comprends que je m'y suis endormie la veille au soir, je tiens encore une photo ancienne dans la main. Le temps d'un rêve qui m'a paru si réel, j'ai voyagé dans l'espace et dans le temps et entamé un dialogue avec l'une de mes ancêtres.

C'est un des mystères indéchiffrables de l'esprit, pour moi, c'est une grâce bienfaitrice me confortant dans  l'idée  que les liens du sang et ceux du coeur sont indéfectibles et éternels.




  • Je crois que je me suis laissée embarquée dans le rêve...

    · Il y a presque 8 ans ·
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    inwonderland

  • Quel joli rêve ! Un vrai plaisir grâce à votre écriture de déambuler dans ce magnifique jardin, d'y admirer les fleurs, les oiseaux, ces belles panthères noires si fascinantes ...mais je suis comme vous, je regrette qu'elles soient emprisonnées !
    Eh oui, c'est bien vous qui étiez costumée ...originale cette fin !

    · Il y a presque 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Et le concert ! J'imagine tous ces beaux messieurs, belles dames écoutant bien religieusement la musique ...

      · Il y a presque 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Je vous remercie pour vos sympathiques commentaires!

      · Il y a presque 8 ans ·
      114

      isabellemarie

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