Le jeu de Caïn et d'Anabel

Caïn Bates

"Retiens-moi si je sombre car tu es ma prisonnière. Si loin de notre monde, j'ai la tête à l'envers..."

           Vers l'âge de mes 12 ans, j'ai entamé une partie de "cap ou pas cap" avec ma petite sœur. Ce jeu est la parfaite transition entre les défis de gosses et le jeu de la bouteille, est parfait pour faire passer le temps et resserrer encore plus les liens entre les participants. Oui, il était clairement question de lien quand on a entamé cette partie, je voulais lui montrer ma dévotion sans failles à son égard. 
         Au tout début, elle seule proposait les défis: "Cap ou pas cap d'avaler un verre entier de Whisky cul sec?!" "Cap ou pas cap de te repérer toute la journée les yeux bandés?!" "Cap ou pas cap de finir ce paquet de Tagada en moins de 3 minutes?!"  Des défis assez simple à relever en somme mais, si je les refusais, elle se cachait dans un coin pour bouder.

   
          À l'approche mes 14 ans, ses défis étaient déjà devenus plus extrêmes depuis un certain temps: "Cap ou pas cap de battre ton record d'apnée?!" "Cap ou pas cap de laisser ta tête sous tout les oreillers une minute entière?!" "Cap ou pas cap de sauter du toit et d'atterrir dans l'eau?!". Inutile de dire que j'étais plutôt réticent et bien souvent, je refusais sans même y réfléchir une seconde. Puis, un jour, elle fut tellement contrariée qu'elle ne m'adressa plus du tout la parole, elle fuyait chacun de mes regards et ne prêtait plus aucune attention aux piques que lui lançais.
          Alors, un soir, je me suis assis face à elle et j'ai déplié le couteau qu'on m'avait offert. Je lui ai adressé mon regard le plus noir avant de lui lancer: "Cap ou pas cap de me sauver, seule?!" Sans attendre sa réponse, j'ai commencé à m'entailler le bras, profondément pour l'exhorter de jouer. Les larmes aux yeux, elle a sauté de son lit et s'est précipitée vers la commode pour y chopper un vieux t-shirt déchiré et l'a noué en dessous de mon coude sans quitter mon regard. Elle était paniquée et j'aimais presque ça. Je ne l'avais jamais vue pleurer pour moi mais là, elle avait peur, vraiment. Elle faisait les cent pas en tentant de joindre mon meilleur ami pour qu'il vienne, accompagné de son père infirmier. Elle ne voulait pas de problèmes et encore moins que ça retombe sur moi. Ils sont arrivés peu après, son père a enlevé le garrot à peine serré et a regardé mon bras, soulagé, il n'y avait pas grand mal. Il a désinfecté la plaie et l'a bandé en demandant ce qu'il s'était passé. Il était habitué à mon côté légèrement autodestructeur alors il a demandé à son fils de me surveiller.

 
           Les semaines passèrent et nous avions repris notre jeu. Le risque des défis était toujours le même, je voulais de l'adrénaline alors, taquin, je demandais à ma charmante sœur de serrer toujours plus fort, toujours plus longtemps. Elle pleurait mais m'obéissait tout de même jusqu'à ce qu'on me retrouve à moitié dans les vaps, une écharpe et de larges marques autour du cou. C'est là que je suis entré à l'hôpital. La chambre m'apportait de nouvelles opportunités, j'attendais simplement qu'elle vienne car elle savait que ça pouvait commencer à tout moment. Mais là, elle ne bougeait qu'au dernier moment, trainant toujours plus pour agir jusqu'au jour où elle ne bougea pas. Elle s'était assise sur la chaise à côté du lit et me regardait en me souriant: "Cap ou pas cap de t'en sortir sans moi?! Cap ou pas cap de survivre?!"
             Et... je n'en était pas capable. Un médecin accompagné d'une infirmière débarqua dans ma chambre et la voix d'Anabel résonnait vaguement dans ma tête. Je m'en suis sorti avec une obligation de participer au groupe de parole qui avait lieu chaque mardi et chaque vendredi dans la salle commune. Le médecin m'a prescrit des sédatifs pour un temps, pour s'assurer que ce jeu ne recommence pas. Il disait qu'Anabel ne pouvait pas me sauver, cela faisait des années qu'elle ne le pouvait plus. 

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