Deux corps fragiles
lenmey
J'ai 26 ans, il en a 45. Homme marié puis divorcé. Homme brisé puis rafistolé. Sa fille de 8 ans est l'unique fil conducteur qui lui permet de reconnaître l'existence de sa vie antérieure. Derrière ses petits airs d'homme fier et fort, on devine de profondes cicatrices, symboles d'une plaie béante sur laquelle il refuse de s'apitoyer. « On traîne tous nos valises ! » se plaît-il à dire à qui veut bien l'entendre. C'est un homme. Un homme qui porte le poids de son passé. Un homme qui refuse de s'en délester. Cet homme-là, cette carapace, je l'ai dans la peau.
Une aventure d'un soir nous a conduite à nous aimer durant une année. Une année d'essoufflement afin de l'aider à mettre en mots les maux qui dévorent ses entrailles et rongent ses coronaires. Las, tous les deux. Epuisés par ces montagnes russes. Rongés par ce mélange d'affection et d'aversion, nous avons décidé de nous séparer. De traîner nos valises dans d'autres contrées, en espérant secrètement que personne n'essaie d'en trouver la clé.
C'est pourquoi je suis un peu surprise ce lundi matin, en voyant son visage s'afficher sur l'écran de mon téléphone portable. Il m'appelle. David et ses émotions réprimées m'appellent.
Rendez-vous pris. Ce soir. Dans ce petit vietnamien du XIème arrondissement que l'on affectionne tant.
Nous sommes là, assis l'un en face de l'autre, un peu troublés. Le balai des serveurs et le va-et-vient des clients ne parviennent pas à nous distraire. Les mots nous manquent alors ce sont à nos doigts de s'effleurer au-dessus d'une nappe en papier d'un blanc immaculé. Ses pieds cherchent les miens. Ils les trouvent et remontent doucement le long de ma jambe. David est là, en face de moi. Et mon corps se délite, une nouvelle fois. Il se passe quelque chose. On le sent au plus profond de notre chair. Cette attirance irrésistible, cette soif de l'autre reviennent soudain. Incommensurable, inétanchable. J'ai besoin de le goûter, tout de suite, maintenant. Tandis que sa jambe monte un peu plus haut encore pour effleurer mon entrejambe, je suis parcourue d'un tremblement.
David règle nos consommations, bafouille quelques excuses au serveur pour les plats que nous n'aurons jamais l'occasion de goûter et m'entraîne dans la rue Rulliez. Après une course effrénée, nous parvenons au pied de son immeuble. Tout en tapant le code d'entrée, David glisse ses doigts sous ma veste. Mon corps frissonne, mes jambes flanchent, je manque de défaillir mais me rattrape à son bras. « Prends-moi, prends-moi », je lui murmure à l'oreille. Adossé à la cage d'escalier, il s'approche dangereusement de mes lèvres et les effleure avant de s'en éloigner précipitamment. Il joue avec moi, me torture tandis que le désir me brûle. Lorsque sa langue s'engouffre enfin dans ma bouche, une vague de chaleur monte en moi et dévore mes entrailles. Plus rien n'existe. Les voisins, les klaxons qui résonnent au loin. Oubliés. Il n'y a plus que nos deux corps, impatients de se retrouver et de s'emboîter.
Un second cœur se manifeste sous ma robe. Le sang afflue, et mon sexe déjà humide se fait suppliant. David m'entraine dans son appartement et embrasse frénétiquement mon cou, mon front, mes lèvres. Il glisse sa main sous ma robe et fait glisser ma culotte sur mes chevilles tremblantes tandis que je presse son corps contre le mien et le supplie d'aller plus vite. Son odeur me donne le vertige et le contact de sa peau tiède me fait suffoquer. Alors qu'il continue de me déshabiller, je sens son sexe durcir à travers son jean. Je lui arrache à mon tour ses vêtements et le serre un peu plus fort contre moi. D'une main intrépide, il caresse mon sexe humide. « Tu es à moi, tu es à moi, abandonnes-toi» me souffle-t-il. Je le rejette soudain et le pousse violemment contre le mur. Il me conseille de m'abandonner pour ne pas avoir à se livrer. Il a réveillé ma frustration, mon besoin viscéral de trouver ce petit caillou, ce petit grain de vulnérabilité bien camouflé sous sa chair au goût de miel.
- « Je ne te comprends pas Saphia ! » me lance-t-il à la figure.
- « Tu ne me comprends pas ? Mais enfin, David, tu réalises que quand je touche ta peau, quand j'embrasse ton épaule, quand je caresse ton dos, j'ai envie de te griffer, de te frapper. De t'enlever cette putain d'enveloppe qui te sert de masque. Que j'ai envie de te faire mal. Parce que je baise avec un corps qui n'a aucune brèche à m'offrir. Aucune fente dans laquelle je pourrais m'introduire. »
Des larmes commencent à rouler sur mes joues tandis que David s'agite et s'empare de mes poignets, bien trop frêles pour espérer l'emporter. Il me retient. C'est une première. Me retenir, jamais il n'avait osé. Il me fait mal, tord mes avant-bras puis me dévisage.
- « Ca te plaît, hein, de faire souffrir les autres ? Je déteste quand tu es comme ça ! »
- « Mais comme quoi, hein, David ? Comme toi ? Indescriptible, insondable ? Insaisissable ? Mais il n'y a pas d'entre-deux bon sang. L'amour, c'est se laisser emporter, c'est se regarder tel qu'on est, c'est prendre le risque de couler ! »
- « Mais qu'est-ce que je peux faire de plus, hein ? Tu sais comme c'est dur ? Je me suis juré de ne plus jamais ramper, de ne plus jamais me faire piétiner ! Qu'est-ce que je peux faire de plus hein ? Tu sais comme c'est dur ? »
David répète ces phrases machinalement tandis que des larmes viennent perler aux coins de ses yeux. Il les répète tandis que je l'observe et commence à caresser mes seins tendus de désir.
- « Ce que tu peux faire ? Faire ce que tu es train de faire. Réagir ! Te dévoiler. Te laisser aller chéri ! »
Mes seins pointent encore un peu plus. Je le regarde et me délecte de cette nudité, nouvelle, cruelle mais si authentique. Il ne m'a jamais semblé aussi vulnérable et pourtant il n'en est que plus désirable. Je suis envahie d'une fièvre indescriptible et son sexe plus dur que jamais me laisse penser qu'il l'est aussi. Ce désir douloureusement enivrant me force à m'étendre sur le sol. Son corps m'appelle mais je n'ose pas m'approcher. Nous avons besoin de nous apprivoiser. En position fœtale, je pétris mes hanches et mes seins avant de descendre langoureusement vers mon sexe prêt à s'ouvrir. D'une main tremblante, je caresse mes lèvres gonflées de désir et m'approche de David pour les lui offrir. Assis contre le mur du salon, les jambes ouvertes, il se délecte de mon précieux liquide. Sa langue explore chaque partie de mon sexe et mon corps se délite. Je frissonne. J'ai envie qu'il me prenne, j'ai besoin de le sentir partout en moi. Tandis que je m'accroche à sa nuque trempée de sueur, David fait glisser sa main le long de son entrejambe. Il caresse doucement sa tige innervée de désir. Sa main monte langoureusement le long de son sexe avant de venir se cacher dans une toison épaisse. Des gouttes de sueur perlent sur son torse et il se laisse doucement glisser sur le sol. J'ai envie de le goûter, de le sentir couler dans mes veines, éclabousser ma peau et m'inonder de plaisir. J'ai envie de me fondre en lui, d'être son sexe, ses jolies fesses, ses doigts de maître. Mais je m'étends à mon tour et, tout en l'observant, mon corps m'intime de l'imiter. Je glisse alors deux doigts de part et d'autre de mon sexe et multiplie les caresses pour apaiser son impatience.
Des bruits résonnent au loin mais nous ne pouvons que les occulter. Nous n'entendons plus que les battements de nos cœurs respectifs, prêts à rompre. Nous ne sentons plus que le sang qui afflue et tambourine au creux de nos tempes. Nos corps fiévreux poursuivent leurs danses solitaires. La respiration de David se fait plus rapide. Il suffoque tandis que mon corps hoquette et se trouve parcouru de tremblements. Lorsque nos yeux se rencontrent, je ne peux contenir la décharge électrique qui monte en moi, scinde mon corps en deux et tord chacun de mes membres. Des larmes roulent sur mes joues tandis que David se recroqueville et vient étouffer un gémissement dans la chaleur de mon cou.
Ce soir, nous n'avons rien dissimulé. Ce soir nous étions nus et vulnérables. Et, pour la première fois nous nous sommes aimés pour de vrai, respectés pour de bon et abandonnés sans conditions.