Le jour où je suis devenue adulte

madame-c

Il y a des événements qui impactent toute une vie : j'avais alors 25 ans..

J'avais 25 ans et 2 mois lorsque la vie d'un autre s'est installée en moi pour la première fois. J'avais 25 ans 8 mois et 10 jours lorsque cette vie est sortie de moi. Exactement le même jour, j'étais confrontée à la violence de la mort de cette vie que mon ventre avait jusqu'alors abrité, protégé, avant de ne plus pouvoir.

C'est mon premier enfant, c'est ma fille.

Je me souviens parfaitement de ce jour de la seconde échographie. De ma fébrilité. De cette attente interminable de près d'1h30 dans la salle d'attente. De tous ces ventres rebondis autour de moi. De ce regard inquiet du médecin. De son silence.

Aucune parole échangée durant l'examen. Je me rhabille, prend place au bureau du médecin, lui fait face. Je sais déjà que quelque chose cloche.

Ses mots me disent qu'il n'a aucune certitude, qu'il a décelé un problème, que le bébé est vraiment petit par rapport au stade de la grossesse, qu'il préfère m'orienter vers un service spécialisé, qu'il faut faire vite.

Je me rappelle parfaitement ma confusion, ma tête qui tourne, ma volonté de garder espoir tout en devinant la gravité de la situation et les difficultés auxquelles je vais devoir faire face bientôt, très bientôt, tout de suite.

Ensuite le traitement d'urgence, l'espoir maintenu ; puis le verdict, implacable. Cette vie ne peut pas continuer en moi. Mon corps n'a pas les ressources suffisantes. L'heure du choix. L'impossible décision. La sensation de devenir vraiment adulte à ce moment précis.

La mise au monde. Cette déferlante d'amour. Ce corps sans vie, mais chaud, sur le mien. Cet adieu à mon 1er enfant. Cette tristesse infinie. Désespoir, incompréhension, vertige. En vouloir, s'en vouloir, vouloir comprendre, vouloir apprendre, vouloir se relever, vouloir continuer…pour elle, parce que c'est ce qu'on lui doit…cette vie nécessaire.

J'avais 25 ans 8 mois et 10 jours.

J'ai 36 ans 8 mois et 10 jours.

11ème 26 juin vécu depuis.

J'ai eu des hauts, des bas, 2 autres enfants merveilleux.

Et toujours cette présence impalpable, discrète mais bel et bien là, au creux de ma vie, au creux de tous mes espoirs dans les moments de doutes les plus vifs, au creux de ma quête.

Apprendre à vivre avec et sans, c'est ça le cheminement, ce qui rend fort et fragile à la fois, la singularité de nos vies.

  • Je suis très touchée par ce texte qui me rappelle...une cliente devenue amie (enfin je crois) dont je n'eus plus de nouvelles après un évènement identique à celui décrit dans ce texte. Elle s'appelait Corinne. Je pense souvent à elle.
    Merci d'avoir écrit ce texte.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Img 1518

    divina-bonitas

    • Merci pour votre commentaire. écrire était nécessaire, une thérapie et une façon de faire vivre cet enfant autrement qu'à travers mois !

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      madame-c

  • Oh... C'est juste... C'est horrible... L'indicible douleur ... Une force incroyable se dégage de tes mots, ça pousse à l'admiration...
    C'est... je ne sais pas quoi dire...

    Quel courage...

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    rafistoleuse

    • merci !

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      madame-c

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