Choc des rencontres
Mathilde En Soir
Un jeune homme est assis à la terrasse d'un café parisien. Il semble nerveux et préoccupé. Une jeune femme toute de blanc vêtue le rejoint à sa table.
Inès : … Bonsoir ! C'est vous … ?
Camille : Bonsoir. Oui je crois.
Inès : Enchanté ! Je suis contente de vous rencontrer ! On peut se tutoyer ? Vu qu'on a à peu près le même âge …
Camille : Oui c'est mieux, Vanessa.
Inès : Pour commencer, ce n'est pas mon vrai nom Vanessa. Vanessa, c'est mon nom de scène…
Camille : La scène ? … Oui la scène !
Inès : Je n'aime pas trop ce pseudo, mais mon impresario m'a dit que ça faisait fantasmer. Alors je ne suis pas rentrée dans les détails et j'ai marché dans la combine !
Camille : Je n'aime pas non plus, ça fait faux …
Inès : Et vous ?
Camille : C'est Camille, ça a toujours été Camille.
Inès : C'est joli pour un homme. La scène ça va, la scène ça vient. Je veux vivre de ça. On se comprend là-dessus. J'aurais tellement voulu continuer ma carrière au théâtre. Mais je n'ai eu aucune offre. Pendant 3 ans.
Camille : Vous pouvez demander un verre de lait au serveur ?
Inès : Euh oui, mais vous ne voulez pas le demander ? Il y a un problème ?
Camille : Je ne peux pas.
Inès : Garçon ! Un verre de lait c'est ça ? Un verre de lait ! Moi je vais prendre un martini rouge ! Bref ça ne s'est pas passé comme je le voulais.
Camille : Qu'avez-vous … qu'as-tu fait ?
Inès : J'ai postulé au pôle emploi. Cinq jours plus tard, on m'a proposé de bosser comme intermittent dans un parc. Faire la petite sirène comme t'as pu le voir sur les photos. On est loin d'Adjani mais quand on a plus de thunes, on fait avec. Tu ne bois pas ?
Camille : Si, c'est juste que je suis un peu noué.
Inès : Tu ne bois jamais d'alcool ? (Le serveur apporte les deux verres) Ah merci ! Je suis sûre que t'es le genre à ne jamais rien demander à personne. Tu sais où sont les limites. Moi, les limites, je crois qu'elles ont été dépassées. Depuis longtemps. J'ai dépassé les limites du ridicule !
Camille : Je ne trouve pas ridicule de gagner sa vie.
Inès : Oui mais quand on a un rêve, normalement on fait tout pour le réaliser. Je dis ça mais j'ai tout donné et j'ai rien eu. A part un joli costume de Barbie taille adulte. Hey, on peut dire que je me suis mise la queue entre les jambes ! Référence à … Pardon c'est trop con ce que j'ai dit ! Je fais de l'humour et ça ne marche pas non plus.
Ils rient, puis se regardent fixement.
Inès : Tu ne me parles pas beaucoup de toi. T'es content d'être là ?
Camille : Oui, sinon …
Inès : Sinon tu ne serais pas venu ? Remarque, je peux comprendre. Je ne suis pas miss monde.
Camille : Je n'ai pas dit ça.
Inès : Et au fait, tu fais quoi dans le spectacle ?
Camille : Dans le spectacle ?
Inès : Bah oui, sur ta photo t'es en tenue de Buzz l'éclair, avec un casque et une combinaison ! Tu fais un robot ? Si tu veux, je peux te passer le numéro de mon impresario, au cas où il te trouve quelque chose ! T'es dans la galère n'est-ce pas ? Ce n'est pas honteux. C'est marrant, quand quelque chose ne nous concerne pas, on ne trouve jamais ça honteux. Par contre, tu devrais poster une photo de ton visage, ça aide dans le métier
Camille (sèchement) : Ca ne m'intéresse pas.
Inès : Ecoute, si tu n'as pas envie de parler ou de me voir pourquoi t'es venu ? Tu cherchais quoi sur le site de rencontre ? Tu t'ennuyais alors t'as regardé des profils, et t'as pensé « Tiens, une qui n'a pas fait normal sup » ! Si c'est juste pour se voir de cinq à sept, je préfère m'en aller !
Camille : Je ne suis pas intermittent. Ni comédien. Je ne travaille pas dans le spectacle.
Inès : Ah bon ? Mais c'est une photo de soirée ?
Camille : C'est tout ce qu'il y a de plus réaliste. Inès, je suis astronaute. J'ai été engagé à 26 ans, on m'a intégré dans un groupe et j'ai embarqué, pour une mission de reconnaissance. Après avoir quitté l'atmosphère, notre navette a percuté des débris de fusée. Il y a eu une explosion. On était six. J'étais le seul rescapé. Seul. J'étais tout seul. J'ai attendu qu'on vienne me chercher. J'ai appelé à l'aide. Rien. Personne. Personne ne viendrait me chercher. J'ai cru que j'allais mourir, que je ne serais plus qu'une poussière, un souffle qui parcourait les comètes à travers la voie lactée. Plus tard, une navette américaine m'a intercepté près des débris de la navette. Ils n'ont pas cru ce qu'ils voyaient. A bord, j'ai demandé quel jour on était. Ils m'ont dit qu'on était le 15 juillet 2013. Je suis parti en avril 2012. Ils m'ont ramené chez moi, ils ont prévenu ma hiérarchie. En rentrant j'étais le héros. On m'a acclamé. Tout le gouvernement est venu me voir. Des députés. Un général. Des spationautes. Le président de la République m'a serré la main. Il m'a reçu à l'Elysée. Il y a eu une cérémonie nationale, il y a 1 mois. Tu comprends ? Je suis resté un an dans l'espace.
Inès : ….. Camille …. Camille Hazenet c'est toi ? Ce n'est pas possible …. Toi ….
Camille : J'ai été transféré dans des dizaines de centres. Des centres hospitaliers. J'ai consulté plus de psychiatres qu'un fou en HP. J'avais perdu l'usage de mes jambes. On m'a transféré à Genève, puis à Vienne, puis à Washington. Je devais réapprendre à marcher, à manger, à boire, je ne buvais jamais beaucoup avant. Jamais d'alcool. Le lait régulait notre organisme. Les médias faisaient tout pour me voir, pour avoir une interview. Et voir tous ces visages. Tous ces visages qui voulaient m'entendre, me palper, me toucher. J'avais perdu la notion du langage, du dialogue. L'année à passer à errer seul dans les débris de la navette me rendirent asociale, paranoïaque, dépressif, hermétique à toute forme de vie. Puis, j'ai à nouveau contrôlé mon corps. L'explosion avait tué ce que j'appelais mes amis. Elle avait détruit la navette, mais aussi mon esprit.
Serveur : Vous désirez autre chose ?
Inès : Un verre de lait pour monsieur …
Camille : Ma famille a tout fait pour me protéger des journalistes, pour me protéger du monde. Je voulais réapprendre à aimer, à détester, à haïr, à désirer. La seule chose que j'ai trouvée, c'est le site. Le site de rencontres. Je voulais à nouveau côtoyer des femmes, comprendre une femme, lui parler ne serait-ce qu'un instant. Faire le fier, peut-être même faire le macho. Après, je serais devenu ami avec elle. J'aurais discuté de plus en plus avec elle, de plus en plus longtemps. Un instant. Je l'aurais désirée. Je l'aurais embrassée, je l'aurais touchée, caressée. J'aurais caressé ses cheveux, caressé son corps. On aurait fait l'amour. Elle m'aurait saoulée. Elle aurait voulu que ce soit sérieux, moi non. Elle m'aurait jetée. Puis, on se retrouverait, on rigolerait encore, et on recommencerait de plus belle. Je n'attends rien de toi, Inès. Mon discours n'est pas fait pour te retenir. Je voulais simplement rire encore.
Inès : Rire de moi ? Rire d'une pauvre fille, c'est sûr que c'est drôle quand on a besoin d'un défouloir, c'est même excitant quand elle tombe dans le panneau.
Camille : Je ne vais pas te mentir. Je ne veux pas avoir de relation, pour l'instant. Mais je veux recommencer à vivre. Je ne sais pas si ça marchera. Je ne sais pas si te parler était plus un défouloir qu'un désir. Je ne sais pas ce qu'il va advenir de nous. Mais j'aimerais qu'on continue à se voir. Ne serait-ce que pour t'entendre rire, pour que tu te moques de moi, pour me faire oublier. Me faire oublier ce silence.
Inès (tient sa main) : Si j'avais su qu'un jour, un mec comme toi allait débarquer dans ma vie. En quelques minutes, il a tout envoyé promener. Pourtant il n'éprouve rien pour moi. Il a tout fait pour que je le déteste. Il me touche, ce mec. On va continuer à se voir. Moi aussi, je déteste le silence.
Merci. Ah, bonne idée, j'ai préféré qu'elle s'adresse directement à lui,en parlant de ce mec. Je voulais qu'Iris prouve à Camille qu'il n'est pas si éloigné des hommes "terriens".
· Il y a plus de 10 ans ·Mathilde En Soir
Texte très intéressant. Mais pourquoi ne pas faire figurer la dernière intervention d'Iris en voix off. Cela m'a déconcerté.
· Il y a plus de 10 ans ·valjean