LE MARIAGE DE SHEITANA

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- LA ROBE DÉROBÉE -

Elle prit son élan après avoir tourné la tête, rabattant ses cheveux sur son épaule droite, comme une vague échouée clandestinement, qui glisse de ne pouvoir s'accrocher à aucun rocher. Cet angle de peau nue, fière et droite comme un « i » renversé, elle frappa du talon pour poser le point final. La vieille choquée de voir une future mariée aussi hautaine et méprisante… mais si fière, retint son souffle jusqu'à ce qu'elle claqua la porte. Une petite main la soutint lorsque le violent couac, telle une claque lui fit frôler l'ultime couïc, alors que de l'horloge pendait, comme suspendu, l'obscur « o'clock » que l'on espère jamais ne voir arriver !

Et pourtant, c'est bien cela qu'elle eût l'impression de voir arriver ! « Heureusement qu'elle est partie ! J'ai bien cru que la Mort venait me prendre ! C'est une folle ! On dirait une sorcière ! Donne-moi un verre d'eau ma douce ! » dit-elle en s'adressant à la petite main qui la tenait. La poignée de la porte qui venait de claquer se décocha violemment, alors que la porte s'ouvrait lentement, très lentement, les femmes ne cessèrent toutes de bouger, pas d'un pouce, pas un soupir pour faire gonfler leurs poitrines, pas un regard qui se pose. Figées, happées par le vide qui remplissait la pièce d'un horrible silence, la porte s'ouvrant laissait deviner un couloir sombre.

Debout, la main ouverte et posée sur la porte, la poussant lentement, le sourire satisfait dans un coin bien dessiné, le regard branché sur une onde ternie de vert luisant, la promise, les seins se gonflant d'une respiration profonde et intense, vissait la vieille du regard. Passant la pointe de sa langue sur sa lèvre supérieure, elle acheva son numéro en la torchant froidement – la vieille : « Ce n'est pas pour aujourd'hui, mamie, calme toi et essuie toi, tu baves ! Je te l'ai dit : le jour « J » ! Elle fit traîner un « Bye ! », remuant les doigts de la main gauche, qui, de l'auriculaire au pouce, virent se poser et fermer sa main, en un poing vainqueur.

Elle recula, sombrant dans l'ombre du couloir, et disparu. La vieille peau s'écroula, les jambes chancelantes, elle resta assise, prise de démence, où la peur et la rage dans un duel charnier, se faufilaient tant bien que mal, à toute vitesse dans ses veines bouchées par une vie d'excès en tout genre, forçant le passage obstrué que seul du Destop aurait pu déboucher… Tous ces Paris-Brest fourrés de crème, de beurre… toujours du beurre, encore plus, jamais assez. Elle s'était gavée comme une oie à n'en plus pouvoir, accompagnant ses gourmandises d'un Earl-Grey et d'un nuage de lait, dont elle essuyait la dernière goûte perlant sur la porcelaine rose et violette, de l'arrondi de son doigt dodu qu'elle tétait goulûment. Elle passait de délicieux moments à se lécher les babines, jouant son petit rituel de vieille fille poussiéreuse, consommant pour le Tea Time de délicieux gâteaux fourrés confectionnés par les grandes et belles mains de son merveilleux pâtissier.

Elle aurait bien eu besoin de sucre à ce moment précis, juste histoire de remonter la pente, de calmer les violents frissons de son hystérie… mais non. Elle eut droit à un gros câlin, on la coucha puis les pompiers, montant les marches quatre par quatre vinrent la secourir. L'un d'entre eux la souleva comme une plume, l'allongea sur le brancard et dû lui déchirer sa robe afin de poser les capteurs pour voir où en était son rythme cardiaque. La pauvre venait de vivre en 3 minutes tout ce qu'elle avait espéré en 50 ans d'attente… depuis la Sainte Catherine, elle avait attendu en savourant ses gâteaux fourrés, ces petits choux tout ronds, délicieusement recouverts de sucre, dont sa langue aventureuse venait libérer de ce nappage de crème anglaise, ainsi donc, les enfournait à pleine bouche, un après l'autre… l'attente avait été bien longue. Et, le regard fasciné par tant de fougue, de force, d'entrain, son cœur se mit à battre. L'inquiétude des pompiers qui étaient venus apaiser le mal qui la terrassait, les poussa à la préparer au cas où il faudrait – encore – la choquer. Ainsi, le pompier penché sur elle, son torse si proche de sa poitrine, saisit de ses puissantes mains le tissu de sa robe qu'il déchira, libérant ses seins sous son soutien-gorge qui se fondait admirablement bien avec sa peau... Soudain elle poussa un cri, un sourire intensément satisfait, un regard pétillant pénétrant celui de son incendiaire… Mamie avait joui, et d'émotion en perdit le nord. Le pompier inquiet de la voir bloquée la secoua par les épaules, mais elle restait sur son petit nuage, bien vivante cependant car l'on entendait un « ha » qui s'éternisait dès qu'il lui parlait. Il l'attrapa par les épaules, et parce qu'il était un peu con, lui colla une gifle pour la rappeler à l'ordre. « Emmenez-moi au pays des merveilles, mon bel incendiaire ! » Le pompier la regarda puis s'adressa à son responsable : «On est entrain de la perdre ! Il faut l'emmener ! » Puis la vieille reprit ses délires : « Ho oui ! Emmène-moi ! Viens, prend moi par la main et allons-nous perdre là où personne jamais n'est allé ! Viens cueillir ma petite fleur… Montons, chevauchons les contrées ignorées ! Montre-moi les cavernes aux merveilles… Haaa !... Zrrrr ! » La vieille plongea tête première dans ses délires, un sommeil bien mérité la calma ce qui permit à l'équipe de secouristes de la faire embarquer pour des soins intensifs, pour 3 jours. Ainsi, on lui fit passer quelques évaluations pour s'assurer que la psychiatrie n'était pas la solution à son problème… elle eût vite fait de remettre toutes les équipes en place. « Bande de cinglés ! J'ai eu une frayeur ! Je suis une dame d'un âge avancé, renseignez-vous sur ma vie, et vous verrez que je n'ai jamais fait de tort à personne ! » L'interne de service, qu'elle venait d'insulter lui répondit aussitôt : « Ha mais nous nous sommes déjà renseigné sur vous ! Soyez tranquille ! Nous avons fait le tour de la question ! Les places en psychiatrie sont bien trop chères, et vous n'êtes pas assez méritante ! Vous pourrez bientôt rentrer chez vous ! Au revoir Madame !» La vieille resta bouche bée… une fois de plus.

 

De ce temps, Sheitana se rendit chez une amie. Elle lui confia la fameuse boîte, lui expliquant que la robe n'avait pas de couleur, et que du coup, ayant fait la promesse de ne rien toucher à cette dernière, et tenant à tenir sa parole, elle lui demanda de la laisser sans couleur, mais au moins de modifier le bouquet, pour qu'il corresponde à son rouge à lèvres carmin. Cette couleur, elle l'avait faite venir d'Inde car elle voulait apporter une note osée et envoûtante, quelque chose qui résonnerait avec la musique qu'elle avait choisi pour faire son entrée dans cette église. Elle voulait rendre celui qui l'accompagnerait fier d'elle, la traversée de ce lieu serait une épreuve, tant pour l'un que pour l'autre ; mais de famille, jamais ils ne s'étaient avoués vaincus, et avaient l'intention de garder la tête haute et fièrement faire honneur à leur Nom. « Lucia, n'oublie pas que les talons de mes chaussures sont en ivoire ! Je tiens à ce que tu fasses de ton mieux pour que rien ne se voie… Nous, nous le savons ! C'est déjà assez suffisant ! Les autres cons n'y verront que du feu, alors soi digne de tes talents. » Lucia s'inclina et la remercia de sa confiance. Elle la regarda partir avec un immense respect et s'attela aussitôt à la tâche…

Quelques jours plus tard, Sheitana retourna voir Lucia qui était très émue. Et sans mot dire, elle entra dans la pièce, et vit, face à un immense miroir sa robe, posée sur un mannequin de métal. Ce dernier rendait hommage à la coupe mais aussi aux formes de Sheitana. Comme s'il avait était conçu avec pour modèle son corps de vestale. De la pointe de ses seins, au galbe de ses fesses, en passant par l'arrondi de son visage qui se penche telle la lune face au monde, la courbe de sa nuque d'où plongent les lignes qui dessinent ses épaules… l'arc boutant de sa taille dévoilant des hanches qui n'appellent que des mains pour être prises, ses jambes qui s'éternisent dans leur chute et ses chevilles qui se décèlent au-delà du coup de pied, lorsque sur la pointe elle se tient – toujours mieux que sur plante – et plantureuse se dévoile ainsi… Sheitana découvrait sa robe, telle qu'elle serait le Jour « J ». Un bouquet posé là, par-dessus le voile tombant en cascade sur le guéridon, avait été soigneusement posé, faisant écho aux couleurs qui surgissaient éclatantes, flamboyantes et félines…

Observant le talent de Lucia avec un profond respect qui faisait naître en elle une satisfaction calme et sereine. Lucia s'inclina, émue et fière. Sheitana se pencha vers elle, la main posée sous mon menton « Relève la tête, maintenant nous travaillons ensemble ! Mais n'oublie jamais que Je suis et que Tu suis !» Elle regarda une dernière fois la robe, puis après avoir cligné des yeux, s'en alla comme si rien ne s'était jamais passé et, avant de fermer doucement la porte  « C'est parfait ! J'adore ! C'est tellement parfait ! » dit Sheitana le regard vif et posé sur chacun des détails.

 

A suivre…

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