LE METRO

Nadia Esteba

> LE MIROIR

> Avoir envie de la force du vent sans attache et saliver dans la torpeur d’une bouche de métro ou ailleurs dans la musique martelée de piétinements humains. Une atmosphère spéciale nous attrape. C’est le métro, ses souterrains.. Des murs carrelés de blanc rappellent la dépersonnalisation d’un hôpital ou d’une prison où je cherche en vain, un lien avec l’invisible. Je cherche le vent dans les cheveux,le cherche dans ce village où il nous donne toujours rendez-vous; instable mais fidèle; son invisible substance énergisante, vivifiante nous donne la certitude d’être vivants. Je désire les parfums et les couleurs du ciel, l’indicible berceau pour des peurs que génèrent ces trop longs couloirs, labyrinthe serpentin lisse et sans repère. Bercée par le balancement, la chaleur de la rame et les odeurs de caoutchouc, un rythme me fait osciller entre la nuit aux rêves interrompus et le jour cru; des souvenirs veulent émerger sur une ligne de flottaison entre chien et loup celui du vent glacé d’un Novembre sauvage, entre songe confus mais lumineux et réalité trop évidente. Laisser filer la nuit aux rêves clairs et les pensées font la fête. Elles prennent toutes la poudre d’escampette. Elles vont à cadence folle du train qui hurle en freinant. Dans le miroir convexe de mon sac, glace de sorcière, en me poudrant le nez , je vois se mouvoir dans un film, les images animées de ma vie passée, celle où il me permet de revenir aussi souvent qu’il me plait. Là dans le flou magique de la glace, se côtoient comme dans un conte, jolis sabots de bois au pied d’un cep de vigne, le soleil virevoltant des roues de charrettes, chemins caillouteux, fleuris aux trésors de garrigue, iris sauvages, salsepareille, parfum de liberté sur les étangs. Je revois un instant cette liane en fleur blanches (clématite brûlante?) dont nous faisions des diadèmes: on se marierait…on serait des princesses. Les images fugitives se succèdent; une jeune fille, chapeau de paille à la main tente d’entrer par la grille entr’ouverte d’un parc, le numéro cent vingt (sang, vin) est inscrit sur le pilier de gauche; on la voit de dos en robe fleurie; puis ce sont des personnages qui passent en souriant, me montrent une enveloppe au timbre bizarre, postée d’un pays inconnu, en me disant écris, écris, tu dois répondre; enfin un regard bleu persistant comme une fleur de lin m’interpelle. De façon subliminale je ressens une bienveillance, un encouragement à poursuivre une route dont je devine les embûches. Par des nuits sans sommeil j’attends que paisse la lune; belle, parmi les plus belles dans sa clarté de brume. Elle arrive, à la nage, elle sait que nous l’avons appelée. Contre vents et marées, une présence constante dans le ciel. Quelque chose nous dépasse et nous rassure. Voilà le secret des forces qui me tiennent encore les pieds bien à plat, l’amour inconditionnel de ma grand-mère, les arrêts sur le bonheur à chaque station de la vie où je ne trébuche. Alors reviennent les effluves d’un monde végétal, où éclosent des roses trémières, d’où sortent, à peine nées, des cigales aux ailes vertes par de petits trous dans la terre. L’œuvre majeure de la planète n’est peut - être pas entièrement bafouée. Emouvante évocation, de la vie, jamais à cours d’imagination, trouvant toujours les ressources pour continuer à se perpétuer, prompte au pardon possible d’un blasphème. Alors pourquoi ne pas s’ouvrir sur ce qui peut tous nous réunir et évoquer les vignes, les féeries du ciel, les danses de l’eau , images fédératrices qui nous souderont, ensemble dans une même vision?

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