Le Mot en Isme

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Avant 1989.

Ah ! Avant 1989. Il y avait ce fameux mot en «isme» qui faisait peur.

Vous savez ? Ce mot qui se cachait derrière ce rideau de fer. Ce mot qui changeait le bleu en rouge. Et on entendait tout le temps parler de lui à la télévision. On disait que ces soviets voulaient conquérir le monde. On disait que leur pouvoir totalitaire et tentaculaire voulait contrôler nos vies, nos loisirs, notre économie et nos valeurs idéologiques. Ce mot en «isme» opprimait les peuples, bafouait les principes démocratiques au nom des «pouvoirs de la classe ouvrière», qui dans ces pays rouges était minoritaire, rappelons le.

Ce mot en «isme», création d'un unique parti, d'une unique idée de domination, sous couvert d'apporter la paix, la joie, la prospérité et le bonheur, n'apportait que le malheur, la crainte, l'inégalité et la destruction dont la presque totalité du peuple était victime.

Oui, ainsi parlait le petit père des peuples. Ainsi les voyons nous, ces habitants, ces étrangers du pays du mot en «isme». Tant et si bien que dans leur canapé molletonné, les ménagères tremblaient de tout leur corps. Nos pères en salivaient de rage, le regard effrayé. Effrayé par la menace du péril rouge !

Nous craignons les pas des bottes russes sur les pavés gris de nos douces rues. Nous craignons de les voir dans les champs, chargeant tels des démons infernaux, les escouades des tonitruants chars soviétiques. Nous craignons que des têtes de missiles nucléaires bardées de faucilles et des marteaux jaunes sur fond vermeil viennent souffler nos frêles existences. Nous craignons la Stasi, le KGB, les plans quinquennaux et la moustache frissonnante du petit père Staline.

Et c'est bien pour cela que nous, fier peuple français, nous préférions l'or gratuit et rassurant de l'oncle Sam. Oh, que l'on aimait tant ces douces cigarettes blondes à la nicotine suave et odorante, contrairement aux fumées nauséabondes des industries métallurgiques de Kiev. Que l'on aimait ces beaux cowboys hollywoodiens et ces héros américains qui tiraient avec virilité quelques taffes de ces cigarettes MerdeBoro...

Et un jour, oh miracle ! Le mur ! Le mur de cette ville de Berlin était tombé ! Enfin. Le mot en «isme» était mort. En ce 9 novembre 1989. Le mur de Berlin était tombé. Nous n'aurions plus peur, les russes pouvaient découvrir les westerns, les cigarettes blondes, les chewing-gum et le chômage. Ainsi, les peuples du monde, débarrassés de ce mot en «isme», pourraient enfin être heureux !

Après 2008.

Après 2008, il y avait ce fameux mot en «isme» qui faisait peur.

Vous savez ? Ce mot qui se cachait derrière les équations de ses produits dérivés, de ses calculs d'investissement et des ses opérations spéculatives. Ce mot qui changeait le temps en argent. Et on entendait tout le temps parler de lui, à la télévision, sur les panneaux publicitaires, sur nos écrans de smart-phones et d'ordinateurs. On disait qu'il fallait que les systèmes bancaires et spéculatifs s'autorégulent, que le marché était juste, que la liberté d'entreprise était une bonne chose. Même si en vérité, personne ne disait que leur pouvoir totalitaire et tentaculaire voulait contrôler nos vies, nos loisirs, notre économie et nos valeurs idéologiques. Car oui, ce mot en «isme» opprimait les peuples, bafouait les principes démocratiques au nom des «pouvoirs du marché», dont les bénéficiaires réels étaient minoritaires dans nos pays, rappelons-le.

Ce mot en «isme», création d'une unique caste, d'une unique idée de domination, sous couvert d'apporter la paix, la joie, la prospérité et le bonheur, n'apportait que le malheur, la crainte, l'inégalité et la destruction dont la presque totalité du peuple était victime.

Oui, ainsi parlaient les gros bonnets de ces institutions monétaires. Ainsi parlaient-ils de progrès, de croissances, de marchés conquis, d'import-export, de profits, d'enrichissement à court terme et de rigueur à long terme. Tant et si bien que le jeune homme ou la jeune fille, le père ou le mère, dans le fond de leur sofa ikao, s'imaginaient leur avenir de promesses et le salut de leur enfants travailleurs, sérieux et rangés. Tant et si bien que le chômeur, le clochard et l'immigré clandestin s'imaginaient que ce mot en «isme» était le meilleur choix possible. Enfin, le seul choix possible, depuis 1989...

Mais, dans la majorité qui s'imaginait les jours radieux de ce monde du mot en «isme», malgré la crise, la rigueur, les licenciements et l'âpreté cruelle de la concurrence généralisée, des voix s'élevaient.

Des femmes et des hommes qui craignaient ce mot en «isme». Ce mot qui changeait les océans nourriciers et décharges putrides. Qui changeait l'air que l'on respire en particules fines et en nuages épais de gaz toxiques. Qui détruisaient nos démocraties, nos libertés, nos cultures propres au nom du globalisé, nos perspectives d'avenir et l'essence de nos vies.

Ces gens craignaient de recevoir une lettre fraîchement tamponnée indiquant sur un ton condescendant que l'on venait d'être licencié. Ils craignaient d'entendre les semelles claquantes des agents du fisc qui venaient saisir leur maison. Ils craignaient de voir dans leurs rues se multiplier les fourgons blindés des milices de CRS armés envoyés ici pour assurer l'ordre et la sécurité. Ils craignaient de voir leur bulletin de vote réduit à un simple bout de papier tant leur gouvernement semblaient à genoux face aux institutions toutes puissantes des milieux financiers. Oui, ils craignaient de ne plus avoir de travail, de ne plus pouvoir se soigner, de voir leurs enfants travailler plus durement qu'eux pour au final devenir plus pauvres qu'eux. Oui, ils craignaient les membres du G20, les lobbys boursiers, les spéculateurs affamés et les actionnaires voraces qui d'un claquement de doigt avaient le droit de briser les vies de ces peuples. Ces peuples du monde. Ce monde qu'ils possédaient déjà...

Mais si un mot en «isme» tombait à Berlin en 1989, tout le monde savait qu'un autre mot en «isme» tomberait à son tour, mais cette fois-ci, dans le cœur battant et pourri de Wallstreet.

Signé Manu.D - 15/04/2012

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