Le mur

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Quand j'ai envie de pleurer, je file des coups de poing dans le mur.

 

Je frappe, encore et encore, ce putain de mur dégueulasse à la tapisserie craquelée, jusqu'à en avoir la main en sang. Ouai, ça, ça me fait vraiment du bien. Et puis, je glisse ma main sous l'eau froide. Ça fait un mal de chien, vous n'imaginez pas. C'est ça qui est délectable. Je laisse ma main cuire comme ça un bon moment, la tête en arrière, les dents serrées.

 

Ce matin, c'était tout ce dont j'avais besoin avant de claquer la porte et m'enfuir comme une méduse sous la pluie irisée par les lampadaires.

 

J'ai toujours tout gardé pour moi, depuis toute petite, comme un lourd secret. Personne ne doit s'apercevoir des failles qui me menacent ou m'atteignent. Personne ne doit se douter de cette fragilité que j'abrite, cette faiblesse que je n'assume pas.

En public, c'est impossible que je me laisse aller, il y a quelque chose qui se bloque, se verrouille, là, juste sous le creux du ventre. Les apparences… il faut se méfier des apparences. Il faut les maintenir, coûte que coûte, voilà comment je fonctionne. C'est en secret, en douce, seule dans mon petit deux pièces que je cogne le mur et ma main, ensuite, passe par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel - j'ai l'habitude.

 

Je suis donc sortie, et j'ai longuement marché sous la pluie. Des coulées d'eau qui glissent douloureusement contre la nuque. Frissons désagréables qui s'emparent de tout mon petit corps. J'aurais pu crever, là, sous les yeux des parapluies. Comme une conne. Comme une chienne.

 

Mon portable a sonné pas mal de fois.

Faut dire que j'avais un peu trop bu hier soir à la soirée de Tom, donc tout le monde était au courant maintenant... quelle idiote.

J'ai finalement décroché, j'ai envoyé balader et Sarah, et Camille, et Thomas. Tous. Je leur ai tous dit d'aller se faire foutre, et sans y mettre les formes.

Non, je ne voulais pas de leur pitié, je n'ai besoin de la pitié de personne, je suis plus forte que ça. J'ai donc continué de marcher un peu au hasard sous la pluie, la tête haute et le visage humide. Ça cache les larmes, que d'avoir le visage recouvert d'eau de pluie. On ne fait pas la différence. Alors j'avoue, oui, j'ai un peu pleuré, justement parce que personne n'aurait pu le deviner. Il fallait que ça sorte. Et c'est sorti, en flots indistincts, mais ça ne m'a pas fait autant de bien que de frapper le mur avec ma main.


Et puis, je me suis arrêtée à un café. Je crois que je suis restée pas mal de temps là, devant mon cappuccino devenu froid, incapable de grignoter le bout du petit spéculoos qui ornait la tasse. J'ai griffonné sur la note, du bout de mon stylo. Sorti un livre, tenté d'en lire quelques pages, puis mon carnet, ce petit carnet de papier recyclé que j'embarque partout avec moi pour noter mes idées. Sauf que voilà, là, tout de suite, j'en avais pas, d'idées. J'ai regardé la page jaunie, vierge et aguicheuse. Alors, j'ai dessiné un pendu. Oui. Avec sa potence. Comme dans le jeu.

Et puis je suis rentrée, penaude, dépitée, absente, sans même avoir trempé mes lèvres dans la lourde mousse chocolatée du cappuccino.

 

Mon PC était encore allumé. Il faut dire que j'oublie souvent de l'éteindre, et puis, son ronronnement m'apaise.


Je venais de recevoir un mail.

De lui.

 

Quel culot, quand même, j'ai pensé. Quel culot !


J'ai cliqué sur "supprimer", et je suis allée prendre une douche brûlante pour effacer tous les coups de cette journée trop froide. Sous la douche, je crois que j'ai pleuré encore un peu, comme tout à l'heure sous la pluie. Je suis restée longtemps sous le jet d'eau chaude, je me suis recroquevillée contre les shampoings et autres soins sur le sol, j'ai fait une pause, je crois que j'en avais besoin.

 

J'étais en train d'enrouler une serviette autour de mes cheveux lorsqu'on a frappé à la porte.

Lui.

Je l'aurais cogné. Je l'aurais frappé de toutes mes forces – comme le mur – et lui crier combien il m'avait fait mal. Déjà, m'envoyer un mail, quel culot ! Alors se pointer là, comme une fleur, tout sourire, tout mielleux devant mon appartement, j'aurais pu le tuer de mes propres mains.

Je crois qu'on a rien dit, ou alors je ne me rappelle plus très bien. Il ne s'est pas excusé, nous ne nous sommes pas remis ensemble, nous ne nous sommes rien pardonné.

Mais voilà, on a finalement baisé pendant une bonne partie de la soirée. Sans plus d'amour, sans plus de fidélité, sans plus d'avenir. Juste du sexe sale et violent, terriblement violent, oui, c'est comme ça qu'on a baisé : comme des bêtes.

 

Lorsqu'il est parti s'allonger dans mon lit, épuisé, moi, je me suis dirigée vers la cuisine avant de le rejoindre. Je savais qu'il ne resterait pas, qu'à son réveil, il partirait une seconde fois, que ce n'était qu'une simple partie de baise sans lendemains. Je savais l'amour mort, je savais notre rupture certes encore vive, mais surtout, définitive.

 

Je me suis fait un thé à la myrtille.

J'adore le thé à la myrtille.


Et puis, j'ai allumé le gaz avant de le rejoindre, le plus naturellement du monde, comme j'aurais pu réchauffer un café au micro-onde ou éteindre une plaque de cuisson. Ça m'a semblé ce qu'il y avait de plus logique à faire, à cet instant précis. C'était l'évidence, vous voyez.

 

 

Ne me demandez pas ce qui m'est passé par la tête.

Je crois que c'était alors - simplement - la seule option que j'ai trouvée pour éviter qu'à son réveil, il ne reparte voir sa pétasse.



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