Le nez en l'air
vaureal
LE NEZ EN L’AIR
On dit souvent que les voyages forment la jeunesse. Je pense alors que j’ai de la chance de connaître cette éternelle adolescence car je n’ai jamais voyagé. A force de froncer mon regard pour mieux observer les avions qui sillonnent le ciel, des rides malicieuses se sont creusées de chaque côté de mes yeux. Mon visage est juvénile, la bouche toujours interrogative et le menton pointé vers l’avant. Mon principal bonheur est d’habiter près d’un aéroport, de préférer un avion plutôt qu’un autre comme l’on choisit le plus beau bouquet chez un fleuriste. Ils sont si nombreux que je n’ai aucune peine à en capturer un, même par mauvais temps, lorsque la pluie automnale tire son rideau. Le privilège de mes déplacements est que je n’ai pas besoin de prendre un billet pour monter dans l’avion. Toutes mes expéditions sont gratuites. Au gré de mes désirs je peux oser opter pour l’une des destinations sans me préoccuper du nombre de places disponibles. D’un regard, j’occupe la place qui me convient. Souvent, je prends celle du pilote pour jouer avec son tableau de bord, pirater ses instruments de vol, me réserver la plus belle promenade, celle de mon imagination. J’aime harponner dans le ciel les plus belles de mes illusions. Pour attraper mon envol, mon premier réflexe lorsque je sors de chez moi est de lever mon nez vers le ciel. Mon surnom « nez en l’air » vient sûrement de mes quotidiennes habitudes. Mes amis ont même oublié mon véritable prénom « Albert ». Ceux qui le connaissent encore s’amusent à jouer avec les lettres et m’appellent «Albert Néenlair »
Ma plus belle traversée était celle d’un soir d’été d’août lorsque tout mon voisinage était parti en vacances s’entasser sur les plages dans le midi de la France. Les aiguilleurs du ciel se sont mis en grève le premier jour de canicule et je sentais bien l’angoisse des vacanciers à l’aéroport avec leurs valises encore vides de souvenirs. J’étais, je l’avoue assez triste moi aussi car cette journée s’annonçait sans avion pour m’échapper ailleurs. Les oiseaux profitaient de cette journée de liberté pour occuper l’espace tout entier dans le berceau aérien. Ils chantaient leur bonheur de retrouver enfin une vie normale, déployaient largement leurs ailes, tournoyaient au-dessus des maisons, plongeaient à la verticale, se cabraient à peine arrivés au sol pour reprendre de l’altitude et frôlaient d’autres volatiles sans les percuter. Je reprenais conscience que ce balai de plumes était encore plus exercé dans le cirque du ciel que les voilures aériennes métalliques que j’admirais tous les jours. Pourtant, lorsque le crépuscule pointa son nez à l’horizon et que je relevais le mien, j’eus la possibilité d’observer le décollage d’un avion. Ses lumières clignotaient et j’avais l’impression que chaque éclat était un clin d’œil qu’il m’envoyait pour me saluer. Sa carlingue brillait sur la ligne d’horizon couleur rouge sang. Je n’eus aucun scrupule ni aucune difficulté à m’installer à la place du pilote. Je tirais fort vers moi sur le manche et l’avion se cabrait pour prendre la direction de la cime étoilée. Je prenais de l’assurance, j’étais le roi du ciel dans cette voûte céleste constellée d’astres. J’allais vers le sommet de l’impossible, je voulais voir, observer les moindres secrets du monde, avaler le souffle du temps, vieillir en une nuit pour le prix d’un voyage sans retour. Je fleuretais avec les nuages qui caressaient le bout de mon nez pour me dire bonjour. Les oiseaux penchaient une aile pour me saluer. Je souriais à la vie comme jamais je ne l’avais osé. J’étais heureux, libre. Je passais au-dessus de la plage méditerranéenne, regardais mes voisins dans leurs tenues du soir, accrochés à leur sac à main et je riais de mon heureuse richesse de survoler cette foule. J’étais riche de bonheur. Je relevais davantage le manche, accélérais ma vitesse pour aller encore plus haut et plus loin. La lune ronde et lumineuse roulait sur les étoiles filantes. J’étais ce petit prince de Saint Exupéry qui regardait tous les couchers de soleil de la planète en une seule nuit. J’allais loin, vers cet infini que personne n’avait pu encore atteindre. La vie a besoin de nouveaux rêves, d’autres regards pour être le meilleur explorateur du temps afin de connaître l’aubaine d’abandonner d’un coup son chemin tracé à l’avance.
À l’intérieur de la tour de contrôle, les aiguilleurs du ciel m’observaient depuis mon départ. Ils ont essayé de rentrer en contact avec moi. Ils me questionnaient sans relâche pour connaître ma destination mais je restais muet. On ne demande pas à un rêveur d’expliquer où il va car lui-même ne sait pas répondre. Je vis tout simplement le moment présent, m’envole comme cette nuit, m’échappe quelque part sans but précis car j’ai besoin de rêver. Il n’existe pas de voyages semblables sur le même chemin, un boulevard de songes pour tout le monde car le ciel est infini, libre de nous accueillir ensemble, si par hasard l’instinct vous pousse à lever le nez en l’air.
Merci beaucoup. Nous avons tous besoin de liberté. Pour tous ceux qui ne partent pas en vacances et qui pourtant ont le goût du voyage. Donner les images, offir un voyage.
· Il y a environ 11 ans ·vaureal
Bravo pour cette ode au rêve! Nous savons, nous poètes et écrivains, que l'univers le plus riche et le plus empli de liberté est celui de l'imagination!
· Il y a environ 11 ans ·eleanor-gabriel
Je trouve cette nouvelle délicieuse, plein de finesse!Le rêve d'un enfant qui s'envole au quotidien sur un chemin de ciel qui lui appartient!!!!C'est magnifique!Un grand CDC!!!!!!!!!!!!!
· Il y a environ 11 ans ·Colette Bonnet Seigue
http://www.aufeminin.com/ecrire-aufeminin/le-nez-en-l-air-n226492.html
· Il y a environ 11 ans ·Bonjour, Merci si vous appréciez cette nouvelle de voter sur le site "auféminin".
Merci et bonne lecture
vaureal