Le noir de la page blanche
Christophe Paris
L'heure du crime pour un psychopathe, celle des rimes pour Ade. Tout est prêt, le rituel bien en place. Un stylo, un carnet d'écriture et une lampe de bureau années 50 à la zaméricaîne. Tout est en prêt sauf une chose, son cerveau. Non pas qu'elle en soit démunie comme moult de ses congénères, mais ce soir ses deux hémisphères cherchent toujours le nord.
Une journée pourrie, un sale con de frotteur, et un recommandé des impôts lui ont gelé la machine à histoires. Elle se sent vide, ou plutôt remplie d'un noir aussi dense que celui de son stylo à balancer les mots.
Ade, est plantée devant son carnet avec l'envie de tout crier au monde sans pouvoir poser ne serait-ce qu'une lettre sur son doux papier.
Une femme à la main muette, qui mâche, triture, et de rage, balance son stylo sur le bureau. Mais rien ne vient, exceptée une migraine fulgurante qui sans prévenir, lui tombe dessus comme un orage d'été. Il est tard, elle pense étau. Celui qui lui presse la tête, cette céphalée aussi douloureuse qu'une torture. Elle a mal de ne pas écrire. Elle en a besoin pour tenir, avancer, mais cette nuit elle est en manque de mots. Un manque qui tourne à l'obsession.
Paracétamol.
Zéro résultat.
Allers et retours vers le frigo.
Même les yaourts aux fruits ne peuvent plus rien pour elle.
Elle s'assoie une fois de plus à son bureau le menton posé sur ses deux mains poings fermés. Son Moleskine est grand ouvert. Deux belles pages vierges de tout soupçon qui lui tendent les bras. En revanche, ceux d'Ade lui semblent aussi lourds que deux packs de Vittel, trop pesants pour saisir sa machine à verser du sang d'encre.
Putain de page blanche, j'te déteste ! Se chuchote-t-elle en se levant pour voir si quand même un dernier yaourt lui serait d'une grande aide. C'est à cet instant précis qu'elle se retourne sur un mur en se tapant le nez dessus.
Après la douleur, c'est la stupéfaction.
Un rempart de briques rouges vient d'apparaître dans la pièce. Une paroi ne permettant plus aucun accès au reste de l'appartement ni même à une fenêtre. Ne reste plus que que l'espace du bureau et de sa chaise. Ade est emprisonnée chez elle comme un hamster dans sa cage.
Sa première réaction est de crier une voyelle et son H aspiré, un aaaaah terrifié, suivi de plusieurs au secours à l'aide encore plus terrifiés mais sans résultat. Sa température corporelle monte pendant que des gouttes de sueur descendent en rivière son front plissé de canyons. Elle s'apprête à mourir dans la prochaine seconde lorsqu'une voix féminine venue d'ailleurs s'adresse à elle.
- Bon elle va se calmer la petite là !
La voix semble se situer juste derrière Ade qui sait qu'elle ne rêve pas. Elle en est certaine vu la douleur nasale qui persiste et un peu de sang au bord des narines. Elle se croit tout simplement devenue folle, comme ça, subrepticement.
La voix reprend.
- Alors donc...n'hésites pas à te retourner, c'est quand tu veux. Je ne suis pas le fruit de l'imaginaire de l'intérieur de toi même. Je suis juste sur ton bureau, et pour tout dire je me les gèle un peu. Si on pouvait abréger l'épisode timidité ça m'éviterait le rhume. Ah... et désolé pour ton joli nez...
Ade est pétrifiée de terreur, une vraie légende grecque. Il n'y a plus que ses doigts de pieds qui bougent. Des bouts de petits petons qui tels une chenille, la font pivoter à l'insu de son plein gré comme une colonne Morris. Elle a fermé ses yeux. Ses doigts de pieds se sont arrêtés… Elle se sent fébrile la guerrière, l'amazone de la vie, submergée par une situation qui la déborde.
Et ça elle déteste.
Action.
L'effrayée inspire une énorme bouffée d'air façon rasta qui tire sur sa dernière taffe. Ses paupières peinent à s'ouvrir comme si des milliers de lilliputiens se pendaient à ses cils pour les en empêcher. Ade dont les deux hémisphères sont toujours en quête du Pôle Nord a trouvé l'Ouest, totalement hagarde et silencieuse devant la scène qui se déroule sous son regard.
Sur le bureau faisant les cents pas, l'air un tantinet agacé, une mini chérubine de dix centimètres de haut à l'accent parisien bien corsé. Une mini chérubine, c'est comme un mini chérubin sans les petites couilles mais avec une forte conversation au niveau du torse. À poil avec des plumes dans le dos, tradition oblige, mais faite de papier et non de chair. Ce sont les deux pages blanches de tout à l'heure qui ont maintenant pris l'apparence d'une angelote.
Constatant la lobotomisation soudaine de son interlocutrice, Jacqueline, prénom de la cocotte en papier, débute une tentative de conversation avec un ton bien plus rassurant.
- Bon baby tu n'es pas victime d'un AVC, d'une méningite et tout et tout. Tu n'es ni morte ou folle, tu as simplement devant toi ze singularité of la création, ta Jacqueline ! En résumé un immense privilège. Je suis là pour toi et pour d'autres à de rares occasions. Alors fais toi plaisir, profite ! conclue la voix sur un ton enthousiaste.
Ade tient encore debout grâce à une bouche grande ouverte comme jamais qui gaine tous les autres muscles dont il ne sort qu'un “hein ?!” lunaire et éthéré.
- Oui pour toi, mais ferme la bouche tu commences à baver... Allez souple ma biquette, on s'détend aucune crainte à avoir, fait la chérubine qui marche comme Betty Boop, option déhanché avec main sur la ceinture en s'avançant vers elle.
L'auteure aussi figée qu'une banquise d'hiver commence son dégel intellectuel brisant la glace avec prudence. Objectif, ne pas contrarier la bidule ailée.
- J'ai peur, pardon adorable petite chose, mais j'ai peur de toi de moi, je voudrais que tu t'en ailles s'il te plaît aussi vite que tu es arrivée. Je voudrais que tu partes et que tout redevienne comme avant, me dire que tout cela n'était qu'un moment d'absence…
- Oui oui je comprends bien ma puce, mais là c'est impossible. Moi quand j'me déplace faut qu'ça bouge ! C'est déjà pas simple de se radiner en tenue d'Ève chez des inconnus tu peux me croire, alors un petit effort SVP. En plus ton cahier c'est zéro ligne imprimée ! Je fais vraiment pas habillée du coup pfff… Au moins chez Gaultier, quand je lui ai soufflé l'idée du pull à rayures c'est parce que son moleskine était pré-ligné. Il a tout de suite compris en voyant le résultat sur mon beau cops ailé, ça m'allait trop bien ! En tout cas vous avez un point commun, on dirait que vous avez vu la madone excepté que Jean-Paul, il a crié Madonna sous le coup de la surprise. Bon allez on va faire vite il est tard quand même. Ah j'te jure ces écrivains de la night…
- Mais qu'est-ce que vous me voulez ? répond Ade qui se demande même si effectivement elle parle à quelqu'un.
- Que du bien, je t'assure que du bien…
- Mais tu es quoi, un spectre ?
- Meuh non voyons, t'as déjà vu un spectre en papier couché 180 grammes ? Non je suis laspirit of ze la page blanche. Celle dont tout le monde parle sans jamais un mot gentil et qui en a assez de toujours se faire fustiger, quand je tombe sur quelqu'un qui m'insulte, parfois j'interviens si la personne en vaut la peine…
jacqueline ne monte pas au ciel mais haut dans les tours
- Oui ! J'interviens pour dire stop, no more, basta ! Non ! Je ne mérite pas tes insultes ! Désolé mais moi c'est tout le contraire ! S'emballe la Mistinguett. Si j'étais pas vierge, tu ferais quoi hein ? Hé ben tu lirais, on n'écrit pas au-dessus de mots me semble-t-il ?
Mouââ, je suis la mer sur laquelle dérivent tes histoires. Je suis le ciel où ton esprit flotte au-dessus des nuages de la vie…, déclame la petite chose, alors RESPECT !! Okay, capito ?
- Ade par trouille, vu que la génie se met à bouillir, accepte son destin en entamant un semblant de conversation avec la mini bavarde.
- Mais qu'est-ce que tu fais là, pourquoi moi, pourquoi me pourrir alors que je suis au fond, mais abyssal le fond.
- Alors… en ce qui concerne le ce que je fais là, c'est construire un mur, pourquoi toi ? Parce que tu as quelque chose qui m'plaît et j'aime ta façon d'écrire la vie. Pour terminer, je ne te pourrie pas la vie, je l'insuffle à ta plume comme une brise porte le parfum de la garrigue.
-Si tu es la pour m'aider, pourquoi construire un mur pour m'enfermer ?
- Ah mais c'est ton mur à toi ma douce, c'est juste que je le matérialise, point final.
- Comment ça mon mur ?
- J'ai matérialisé ton propre blocage Ade, celui qui t'enferme dans ta nuit sans une lueur d'espérance.
- Pourquoi tu fais ça ? C'est cruel.
- Pour que tu reprennes ta plume, que tu captes que tout cela n'est que chimère, et enfin pour estomper souffrances et colères.
- Mais je ne peux pas, je ne peux plus !
- Voilà ! C'est ça ! S'enthousiasme jacqueline.
- Quoi c'est ça ?!! S'énerve Ade.
- Faut que tu métamorphoses petite humaine grande par la taille.
- Ouiiii bien sûûûûr… un indice supplémentaire c'est possible ? Envoie Ade qui ne se pose plus de question sur la réalité de la scène mais cherche à comprendre la singularité de papier.
- Métamorphose tes blessures, sculpte-les, pétris-les surtout quand tu n'en a pas envie.
- Mais je n'y arrive plus ! Tout est morne, fade…Tu as bien vu tout à l'heure j'étais incapable de reprendre mon stylo après l'avoir jeté... répond Ade totalement accablée.
- Ce sont les mots qui apaisent et soignent l'esprit. Et puis je suis toujours derrière toi Ade, la main sur ton épaule. Tu crois que tout vient de toi ? trop facile ma biche ! Moi ta Jacqueline, je porte parfois ta main comme un alizé chuchote aux voiles d'un esquif. Tu ne t'es jamais dit en te relisant, « tiens j'avais pas fait gaffe en l'écrivant mais ça tourne bien ». Tu ne t'es jamais demandé pourquoi un sujet t'arrivait en plein neurone alors qu'il est à des kilomètres de ce que tu es ? La réponse c'est ma pomme et pas celle de Newton! Termine-t-elle en rap avec la danse qui va avec.
Ade se dit que ça fait bizarre quand même une chérubine rappeuse.
Break. Pause nécessaire pour redescendre sur terre.
Jacqueline dévisage sa victime.
- Moi la blanche page je suis tout sauf vide, n'oublie jamais. Il suffit de faire couler ton encre sur mon océan de cellulose pour que déferle un mot et des milliers d'autres. Alors bouge tes phalanges et évite de m'incriminer sans arrêt !
Ade répond avec un ton légèrement suppliant
- Jacqueline je comprends tout ça mais faut que ça s'arrête je suis là à discuter avec une étrangeté de la nature sans savoir si elle existe vraiment.
- Merci pour elle ça fait plaisir ! Répond l'intéressée sur un ton de pimbêche véxée.
- Le prend pas mal mais j'ai le cerveau proche de l'éruption, je suis éreinté sors de ma tête, vite, s'il te plaît.
- Aaah mais ça ne dépend que de toi et pour rappel je suis bien devant toi et pas dedans toi. Ce mur et ma jolie personne il n'y a que toi qui puisse nous faire disparaître.
- mais comment ?
- Je te laisse trouver. Je vais m'assoir un peu le temps que tu réfléchisses et je prends ta lingette à lunettes sur mes épaules parce que j'ai un peu frisquet.
La deux ailes dans le dos se pose sur la boîte de Ray-ban qui traîne sur le bureau.
- Mais, aide ton Ade ! Me laisse pas comme ça ! s'énerve L'écrivaine sur un ton de petite fille capricieuse.
- Nan !
- jacqueline…, sur un ton mielleux.
- Nan, nan et nan ! Tu vas très bien t'en sortir, et dès que tu as trouvé, hop je disparais.
- le mur aussi ?
- voui voui
La boîte crânienne d'Ade se transforme en bouilloire pour british en manque de thé, ça monte en température. Elle cherche fouille dans les limbes de son cerveau, mais rien ne vient.
Jacqueline fronce les yeux d'un air courroucé, elle commence à trouver le temps long. Ade la fixe alors cette petite chose maintenant debout et adossée au pied de lampe comme à celui d'un réverbère. Elle clos ses fenêtres sur la vie en serrant fort ses paupières. Elle pense à Hopper et ses lumières contrastées, aux années cinquante, au cinéma Hollywoodien et aussi à l'époque du muet. Ade retrouve la parole en s'adressant à elle-même.
- Ah mais ?! Muet, le silence, le vide, la panne créative… Ça y est j'ai trouvé ! j'ai un texte ! Je vais l'intituler la femme à la main muette, crie-t-elle en ouvrant les yeux pour demander son avis à miss jacqueline. Le mur a disparu, La petite chérubine aussi.
Elle s'est envolée, oui, mais avec un grand sourire. Ade était de retour.
Rentrer tard du taf et découvrir ton texte fait un bien fou. Franchement j’adore. J’ai été touchée par certains passages mais je sors de la lecture avec un grand sourire. Je ne sais pas si tu es devin pour avoir su déceler certaines émotions mais ce qui est sûr c’est que tu es humain, avec un grand H, de ceux qui ont du cœur, zénorme le cœur. Grand merci. Je crois que c’est au tour de Maud maintenant ;-) Énormes bises Christophe à très bientôt. (Faudra que j’aille voir si Jacqueline m’attend sous ma lampe ;-) )
· Il y a plus de 6 ans ·ade
T la bienvenue content que ça te plaise, j'ai bien aimé l 'écrire avec comme but que ce soit plaisant et facile à lire avec un peu de densité a doite à gauche mais que surtout tu y trouves du soutien, une sorte de bras autour, un on pense à toi. Bises.
· Il y a plus de 6 ans ·Christophe Paris
Un grand merci (pas de mots) pour le soutien d'autant qu'il est rare. Cela fait chaud au coeur. Contente que tu aies aimé l'écrire aussi. Bises
· Il y a plus de 6 ans ·ade
Elle en a de la chance ma soeurette Ade :-)
· Il y a plus de 6 ans ·Maud Garnier
T gentille maud tu es la suivante :) content que tu le trouves agréable a lire c était le but génial, toi bon génie maud
· Il y a plus de 6 ans ·Christophe Paris
Non non pas bon génie mais sincère simplement :-)
· Il y a plus de 6 ans ·Maud Garnier