Le nom
nyckie-alause
L'écorce était d'un gris profond. De la tonnelle le feuillage seul apparaissait car le tronc se confondait avec le gris du mur. Déjà, de cette distance l'arbre avait quelque chose de tout à fait mystérieux qui captait l'attention. Le fruit ? Nous, les enfants, nous n'avions pas le droit de le cueillir nous-même. D'un vert velouté, il se cramponnait à sa branche par une minuscule tige d'une solidité admirable. Comme celui du paradis, il fut pour moi l'arbre et donc le fruit de la transgression. Si les stores du salon étaient baissés, je ne pouvais me retenir de maraudage…
Mon larcin effectué, je faisais courir le fruit vert entre mes mains, d'une paume à l'autre, mesurant sa douceur, son poids le petit renflement de son attache que je grattais du bout de l'ongle. A ce stade, son odeur si particulière atteignait mon âme par vagues, à la mesure de ma culpabilité et, je l'avoue, de ma coupable satisfaction. Mon forfait ne pourrait être ignoré plus longtemps vue la prégnance du parfum qui teintait mes mains dérobeuses.
Quand on nous permettait enfin de ramasser ses fruits, l'arbre perdant ses premières feuilles, il suffisait de se baisser. Ces misérables fruits roulés sur le sol avaient perdu leur couleur douce et verte au profit d'un orangé terne qui se tavelait de tâches brunes. Le parfum qui s'en dégageait à présent était une odeur aigre et sûre qui présageait de leur disparition prochaine émoussant l'intérêt que j'avais éprouvé à leur égard.
Un octobre quand nous sommes venus, l'arbre avait disparu et ne m'est resté qu'un regret, une légère nostalgie, légère, jusqu'à l'oubli.
Puis il y eut ce bel après-midi d'octobre. Une lumière comme il n'y en a que dans le sud les lendemains de tramontane, l'air propre et frais, les allées du Jardin des Plantes balayées et lavées d'hier, les moirures de l'automne. Tout au fond du jardin, quand on approche de la serre, j'ai senti cette odeur si particulière comme une bouffée d'enfance. Et je l'ai vu. L'arbre. Il n'a pas la superbe de celui de mon enfance, son est port rabougri, ses branches sans tenue et sans retenue, rien de la présence magique de celui qui avait vécu dans le jardin de ma grand-mère. Mais l'odeur était là. Puis cette branche basse à ma portée, protégée, l'avais-je précisé, par des dizaines de vilaines épines, qui me tend quelques trois fruits de ce vert de velours.
L'interdit m'assaille comme une nostalgie. Je les cueille et, d'un geste fluide, les enfouis au fond de ma poche non sans avoir vérifié l'absence de témoin… Un petit panneau au pied de l'arbuste « poncirus trifoliata ». J'avoue que je me suis inclinée les mains jointes pour un remerciement. Enfin, je pouvais le nommer.
J'aime beaucoup votre plume à la fois descriptive et poétique. Ici on s'imagine très bien dans ce décor de votre arbre parfumé. Un parfum, c'est tenace, surtout celui de l'enfance qui nous rappelle dan les moindres détails ces petits coins importants qui restent au fond du cœur à tout jamais. Merci Nyckie.
· Il y a presque 6 ans ·Colette Bonnet Seigue
Une douce nostalgie (une fois n'est pas coutume) engendrée par Noël. Passe de bonnes fêtes
· Il y a presque 6 ans ·nyckie-alause
Merci à toi. Et toi de même.
· Il y a presque 6 ans ·Colette Bonnet Seigue
Quel texte magnifique et émouvant ! J'ai moi aussi ce genre de souvenir et je me suis identifiée à ta situation.
· Il y a presque 6 ans ·Merci pour les belles émotions suscitées par cette lecture et félicitations pour la qualité de ton écriture...
Sy Lou
Presque tout est vrai en plus
· Il y a presque 6 ans ·nyckie-alause
Je n'en doute pas, c'est tellement réaliste! Merci encore pour ce beau texte...
· Il y a presque 6 ans ·Sy Lou