Le parc de Baïa

judy-may

Le parc de Baïa. Cette parenthèse de fraîcheur et de pureté ne méritait même pas l’appellation de parc. C'était un minuscule trou de verdure agrémenté de quelques bancs, au milieu des peupliers.

Des petites allée de terres battues délimitaient les parterres et les chemins où les passants circulaient. Les bordures du terrain grillagé cachait nombre de buisson d'airelles où les enfants jouaient autrefois, avant que la municipalité décide de tout rasé. Maintenant, ce qu'on appelait auparavant le cœur de Tusside n'était plus que quelques plantes sous les barreaux, sans vie, sans âme. Comme un triste et morne cimetière, le parc de Baïa allait bientôt être détruit pour faire place à quelques bureaux et une rue commerçante. Nous ne verrons plus les enfants courir, les oiseaux chanter et les amoureux s'embrasser dans le parc de Baïa.

Ce parc, je l'ai vu naître, j'y ai vécu, et je vais bientôt le voir mourir. C'est bien dommage. Je m'y était attaché, à ce parc. Pour sa vie, pour sa fraîcheur si particulière qui lui allait si bien. Les travaux ont commencé, je ne vais pas tarder à devoir partir. Mais où vais-je aller ?

Je suis celui qui n'a pas de nom, et aucune famille. Spectateur anonyme qui observe les gens, les passants. Je me plaisait à les voir vivre, tous, moi qui ne peut rien faire comme eux. Je faisait parti du décor, je voyait les enfants jouer, aller à l'école, puis à l'université et venir eux-même avec leurs enfants. J'ai vécu si longtemps...

Demain, les monstres viendront. Pour moi, c'est la fin de mon monde et d'une fantastique parenthèse. Cette parenthèse, cette bulle dans laquelle repose toute ma vie, de mon enfance à aujourd'hui. Et je mourrais avec lui. Personne ne s'en rendra compte, personne ne s'en souciera, je suis si vieux...

Quand j'y pense, tous ses gens qui passaient, il y en avait de toutes sortes ! Des cadres, pressés, qui n'avaient pas le temps, des vieilles bourgeoises aigries, sous leur ombrelle. Des couples charmant, qui se cachaient dans les buissons pour s'embrasser. Oui, des gens de toutes sortes.

Mais c'est fini maintenant, tout est fini. Cette histoire, ces instants de passage et de mémoires vont doucement s'évaporer dans les airs.

Après tout, qui se soucierait de ce parc, si vieux. Il n'y a plus un arbre qui pousse droit, il n'y a plus une fleur qui n'éclot, et il n'y à plus une lampe qui s'éclaire. Les fleur ont flétris, les arbres ont perdu de leur ramure, et moi j'ai vieilli. Plus personne ne se soucie de moi.

Je me rappelle comme si c'était hier de l'ouverture de ce parc. Il était beau, un rayon d'espoir pour une ville rurale qui peinait à se développer. Le maire, devant les citoyens, à coupé le ruban rouge en disant : « L'avenir sera aussi resplendissant que ce magnifique saule! »

Ce saule pleureur, je m'en rappelle bien. Il venait de très loin, cet arbre, de Chine je crois. Il était très vieux aussi, bien plus vieux que moi, mais il était effectivement très beau, majestueux. Ses longues ramures, faisait comme un rideau de verdure, j'y faisais de douces siestes à l'abri de ses branches, autrefois. Puis, lors d'une tempête, il finit par se déraciner. Malheureusement, la ville n'en fit pas autant. Très vite, Tusside s’agrandit, développant sa couronne urbaine au-delà des champs et des rivières, avalant des fleuves, et en devint vite monstrueuse.

Aujourd'hui, ce parc, plus personne n’a le droit d'y aller, mais moi, je m'en contre-fiche. Les lois, les règles, elles passent bien au-dessus des gens comme moi. Nous ne sommes pas reconnus envers la société, nous allons où nous le voulons, quand nous le voulons. D'ailleurs, je dis nous, mais je suis bien seul à le faire, mes congénères, je ne les ais pas vraiment connus.

Finalement, je vais mourir avec le parc de Baïa, seul dans le noir, sans n'avoir jamais connu mes frères, sans jamais avoir connus l'amour ou l'aventure. Je vais partir très loin d'ici, par delà les montagnes, par delà la mer et le désert. Je vais partir par delà les univers, seul avec mon destin. Je vais retourner sous mon saule pleureur, faire une petite sieste à l'abri des rayons de soleil, et contempler les hommes se détruire tous seuls, face à leur destin, avec un sentiment de béatitude. Je ne connaîtrais pas l'amour, mais je connaîtrais la paix, le calme et la douceur. Quand j'aurais besoin de me dégourdir les pattes, je me balancerai de vagues en vagues, au gré des flots, en me roulant dans l'herbe, et je partirai vers l'horizon. Quand j'aurai peur, je me réfugierais à l'intérieur de ma bulle, au cœur de mon monde, seul avec moi-même, pour penser un peu. Quand je m’ennuierai, je jouerai avec les étoiles, un soir de pleine lune. Je m'avancerai dans les tréfonds des ténèbres pour explorer un peu mon imaginaire. Je m'envolerai au dessus des nuages, pour partir par-dessus les montagnes, libre de courir au gré du vent, de m'amuser en chantant...

Soudain, une douleur s'empara brusquement de mon corps tout entier, j'en frissonnas. Je revins à la réalité, j’étais allongé sur un banc de ce parc, la lune souriait au-dessus de ma tête.

Mon heure était proche, et je ne pouvais sûrement rien faire pour y échapper. C'est certain désormais, je vais mourir dans le parc de Baïa, mais pas ici, sur ce banc.

D'une patte tremblante, je m'appuya sur le banc pour me redresser, et d'un pas chancelant, je me dirigea vers le fond du parc. Je repassait devant les buissons arraché, les monstres, les peupliers, la clôtures, les chemins de terre battues... Avant d'arriver. Un carré de verdure vide, là où reposait le saule pleureur d'autrefois.

Je voulais mourir là, entre ses racines, comme je le faisait avant. La douleur lancinante en moi ne disparaissait pas, elle s'invitait dans chaque parcelle de mon corps, doucement, langoureusement. J'avais envie de m'arracher la fourrure pour ne plus sentir ça. De fatigue, je m’écroula au milieu de l'herbe, le nez dans les pâquerettes. Un instant, je cru voir les racines de mon saule pleureur, tandis que je faisait mes adieux au parc de Baïa.

Les machines roulaient, crachant poussière et cailloux, avant de retourner la terre dans un bruit monstrueux. La ville de Tusside avait décidée de détruire ce parc, trop coûteux à l'entretien et peu intéressant pour l'avenir de la ville, comme un autre parc régional avait ouvert ses portes à quelques rues de là. Les ouvriers en combinaison orange s'affairait autour du chantier. L'un d'eux, en repérage, appela son collègue :

« Henri ! Viens voir ! Y a un chat crevé sous le grand saule ! 

Son ami arriva, affolé, quand il vit le chat, ça le rassura, ce n'était qu'un chat.

-Dis-moi, il y avait un saule pleureur ici, avant ?

-Bah, laisse, il à quand même pas put pousser en une nuit ! »

Signaler ce texte