Le parfum de l'encre

kaela

Le parfum de Süskind fut pour moi l’une de mes premières claques littéraires. Dès l’ouverture du livre toute la violence du roman s’est jetée sur moi telle une harpie enragée. Elle m’a dépossédé de mon âme le temps de sa lecture, et c’est toutes les pages qui s’en sont retrouvées incrustées de relents bestiaux mêlés à des arômes subtils de beauté.

Jamais je n’avais senti avec une force si puissante l'impact des mots. Le choix du champ lexical –tapi sournoisement derrière chaque passage- imprègne la lecture d’effluves entêtants laissant le lecteur haletant sous son emprise addictive.  Ainsi, on ressent très vite un terrible malaise aux premières lignes, et très vite s’incruste aussi l’envie de suivre cet envoutant récit.

Grenouille est un être à la fois nauséabond et troublant, sa vie est une succession de crimes et de châtiments tantôt subis, tantôt dispensés. Je n’ai pu m’empêcher d’aller au bout de sa brutale histoire. Pourtant, maintes fois je fus comme asphyxiée par l’ambiance épaisse et suffocante où évolue ce monstre. Maintes fois j’ai voulu fuir l’ombre menaçante de l’angoisse, mais jamais je n’ai pu refermer le livre définitivement avant sa fin. J’en ai gardé quelques douces séquelles ; après avoir lu les insoutenables dernières pages, tout ce qui m’entourait me semblait exhaler des odeurs ou suaves, ou fleuries, quand ce n’était pas pestilentielles, fétides, ou carrément putrides. Cela avec bien plus d’intensité qu’auparavant. Devenue nez pour un instant, le malaise s’est enfin dissipé pour laisser un voile de volupté et une envie de profiter de ces plaisirs olfactifs temporaires. Chaque fragance prenant soudain une importance, se justifiant dans l’équilibre des odeurs, savamment créées par la nature ou l’homme. Une bouffée d’air frais après ce moment intense et sombre que fut la lecture du Parfum.

La noirceur n’a rien enlevé au ravissement donc se délecte le lecteur lors de la découverte d’une œuvre, cette jubilation éprouvée tout au long dU chemin tracé par les lignes fluides d’une écriture à la fois accessible et fascinante. Pour ma part, il y a eu un "avant" et un "après" Parfum. Une sorte de rite qui venait de célébrer à l'encre noire -dont le parfum est resté collé à mon ame de lectrice- une étape importante dans le parcours initiatique littéraire qui est le mien. 

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