le pays du Rien
Lucie Labat
Il était une fois une Luciole et un Loup, qui s'étaient trouvés au bord d'un ruisseau, un soir de pleine lune.
Sir Loup se désaltérait dans l'onde fraîche du ruisseau alpin quand arriva une bande entière de lucioles, plus scintillantes les unes que les autres. Elles s'esclaffaient et chahutaient bruyamment, troublant ainsi la tranquillité du Lousky, qui avait besoin de repos. En effet, toute la journée il avait parcouru la forêt à la recherche d'une proie bien dodue à se mettre sous la dent, sans résultat. La gourmandise de Sir Loup le perdrait. En effet, la mélancolie le gagnait chaque fois que ses efforts étaient vains, ce qui en ces temps de crise économique, arrivaient de plus en plus fréquemment.
Ainsi, le Loup, courtois et trop gentil, n'eut d'autre choix que de supporter les piailleries des « Lucioles en folie », comme on les appelait dans la forêt, dont la réputation laissait à désirer. Elles étaient jugées trop rebelles pour être prises au sérieux. Elles ne vivaient que pour la fête, tandis que messire Loup lui, se battait chaque jour pour manger. Ce dernier, curieux comme un enfant, commença à s'intéresser à cette bande de lucioles. Elles l'intriguaient bien plus qu'il n'aurait pu l'avouer… Il y avait une telle insouciance et une telle joie de vivre au sein du groupe, qu'il s'exerça à en percer les secrets. Ses yeux papillonnèrent, de luciole en luciole… Toutes avaient un éclat particulier, unique. Des forces de la nature hautes en couleur. Contrairement à une croyance populaire très présente chez les humains dont l'œil n'était pas assez précis, les lucioles étaient de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, et avaient le pouvoir d'accommoder la carnation de leur robe avec leur humeur du moment. Il était d'ailleurs de notoriété publique que si Maman Luciole prenait une teinte « sirène de pompier », mieux valait ne pas être dans les parages quand elle reprendrait une tonalité plus clémente. Leurs robes en oriflammes affichaient leurs joies… leurs peines… Mais leurs regards, étaient de ceux qui vivent dans l'instant présent.
Lousky, tel était son nom, s'apprêtait à plonger sa tête dans l'eau claire pour échapper quelques instants au désagrément causé par les lucioles quand ses yeux se posèrent sur l'une d'entre elles. Elle n'était pas comme les autres, tonitruantes et très agaçantes… Sa robe bleu clair traduisait un esprit troublé et pensif. Elle tourna la tête et, forcée de constater l'attention que lui portait l'animal, rosi tendrement. Le Loup, charmé, détourna les yeux.
Le temps passa et la nuit tomba sur la clairière. Les lucioles en folie s'en allèrent comme elles étaient arrivées, dans un souffle chaud et lumineux. La pénombre recouvrit alors la forêt, et alors que notre ami baillait, sous ses yeux ébahis sorti des fourrés une lueur. C'était la luciole rose, qui s'approcha doucement.
« Que faites-vous donc ici ? » s'exclama le loup. « N'êtes-vous point pressée de rejoindre vos amies ? »
« Quelles amies… » Répondit la Luciole. Après un court silence timide, et ne s'embarrassant pas le moins du monde du vouvoiement du loup elle reprit.
« Je suis restée parce que j'ai vu que tu me regardais tout à l'heure… Tu m'as changée des autres animaux, qui nous jugent sans même nous regarder, tu es différent. J'aimerais bien devenir ton amie. » Avoua-t-elle, non sans un peu de peine. « Comment t'appelles-tu ? Je me prénomme Luciole. » Annonça-elle fièrement.
« Une luciole nommée Luciole, comme c'est original… » Songea Lousky. « Je m'appelle Lousky. » dit-il. « J'ai hérité de ce nom car je ressemble à la fois à un loup et à un husky. Ma communauté m'a rejeté à cause de cette différence physique, voilà pourquoi je vis seul désormais. » affirma-t-il avec aplomb. Luciole, elle, ne put s'empêcher d'éclater de rire. Lousky !! Avait-on déjà vu prénom si original ?
Lousky vexé et ne sachant comment réagir, plongea tout à coup la tête sous l'eau. Comment cette luciole en apparence si gentille osait-elle se moquer de lui ?? N'était-elle pas consciente qu'il pouvait la gober à tout instant ? Et à entendre les gargouillis de son ventre, ce n'était pas l'envie qui lui manquait ! Luciole, confuse, plongea à son tour. Elle ne pouvait pas déjà avoir perdu son nouvel ami alors même qu'ils commençaient tout juste à s'amuser !
Une lutte sans merci s'engagea dans le cœur de nos héros. Tous deux retinrent leur respiration, c'était à qui céderait le premier. Lousky, qui commençait à manquer d'air ne pouvait s'empêcher de contempler Luciole. Une grande détermination se lisait dans ses yeux. Elle goûtait ce moment, intensément. Son envie de redevenir amie avec le loup était si forte que sa tenue était devenue fluorescente, transformant chaque particule aquatique en une multitude d'éclats scintillants. Dans l'eau, elle brûlait.
C'est alors que se produisit une chose incroyable. Une clarté éblouissante jaillit du fond des eaux et emporta les deux compères en un gigantesque tourbillon. Un tourbillon delamortkitue. Les tourbillons delamortkitue n'étaient pas des tourbillons comme les autres, ils n'emportaient que ceux dont le courage et la détermination étaient tels, qu'ils auraient droit à tout ce que leur cœur désirait. La légende racontait qu'ils transportaient alors les heureux élus dans un monde fantastique où tout leur était possible. Cependant, jamais personne n'avait osé imaginer un tel bonheur ! Et pourtant…
La Luciole et le Loup furent crachés par le tourbillon delamortkitue et atterrirent sur… Rien ! Il n'y avait rien. Leurs corps reposaient sur une matière indiscernable, leur donnant la sensation de flotter. Il n'y avait pas de murs, l'espace était ouvert et incolore. L'endroit n'avait ni odeur, ni musique, ni quoi que ce soit que l'on puisse toucher, voir, sentir ou entendre. Le vide, le rien, le non-lieu. D'ailleurs il ne figurait sur aucune carte, et privés de toutes sensations, rien d'indiquait aux deux animaux qu'il était réel.
Le loup, habitué à la terre ferme se mit à paniquer. Il n'avait pas l'habitude d'être submergé par les émotions. Et voilà qu'il se retrouvait dans un lieu pour le moins étrange et qui selon lui ressemblait plus à l'au-delà qu'à un monde fantastique ! Quelle mouche l'avait piqué pour qu'il retienne sa respiration si obstinément ? L'idée de passer le reste de l'éternité dans ce non-lieu avec de surcroît une luciole moqueuse pour seul compagnie ne l'enchantait guère à vrai dire.
La luciole, elle, n'avait aucun doute. Elle savait reconnaître un tourbillon delamortkitue quand elle en voyait un, sa mère lui racontait souvent cette légende. Elle saisit cette occasion comme la chance de se faire pardonner de son nouvel ami, même s'il ne savait pas encore qu'ils étaient amis. Comme le phare qui guide les bateaux dans la nuit noire, elle guida Lousky dans le pays du rien.
« Je suis désolée de m'être moquée de toi » s'excusa-t-elle. « Tu sais, moi non plus je ne suis pas vraiment la bienvenue dans la bande des lucioles… C'est pour ça qu'on devrait bien s'entendre toi et moi, nous sommes tous les deux différents. Nous ne sommes ni plus ni moins que les autres, nous sommes juste à part. » Le Loup la regarda, intéressé. Il n'avait jamais vu les choses sous cette angle, pour lui différent signifiait « moins bon ». En une seconde il venait de passer du statut d'asocial à celui d'héros incompris, et ce n'était pas pour lui déplaire… La luciole, voyant qu'elle gagnait du terrain poursuivit « Ma mère me racontait souvent l'histoire de cet endroit, si bien que je le connais comme ma poche. Si tu le veux bien, je t'accompagnerai. Nous sommes dans le pays du Rien cher Lousky. ». Devant l'air interloqué du Loup elle s'expliqua. « Ce lieu magique n'est accessible qu'à une poignée de personne seulement. C'est un endroit où tout ce que tu désires est possible, il suffit d'y penser très fort. Tout ce que nous désirons est à nous. ». Elle n'avait pas fini sa phrase que le ventre de Sir Loup se mit à gargouiller… Le manque de gibier dans ce pays maudit était, pour le survivant qu'il était, sa première préoccupation.
Tout à coup, un énorme poulet tikka tout chaud atterrit dans sa gueule. Son plat préféré ! Rien ne valait les succulentes saveurs que procurait la dégustation d'un poulet tikka. Ses mois de disette s'en trouvaient récompensés au-delà de toutes ses espérances ! C'était magique.
La luciole elle, pendant ce temps, observait avec ravissement le régal du loup. Très amusée que la première chose à laquelle il ait pensé soit de la nourriture, elle souriait gaiement.
Ce fut un après-midi de folie pour les deux compagnons. En faisant apparaître tout ce qu'ils voulaient devant eux ils apprirent à se connaître et à s'apprécier. Ils partagèrent leur goût, découvrirent l'éventail de possibilités qui s'offrait à eux. Ainsi, Lousky démontra qu'il savait fort bien se servir d'un crayon, et que ces longues heures de solitude lui avaient permis de développer ses talents artistiques. Il n'était pas seulement dessinateur, il fit venir dans le pays du Rien une étrange boîte à musique qu'il avait trouvée et dont il connaissait les secrets. Les mélodies qui s'échappaient de l'instrument étaient si belles, que plus d'une fois Luciole se mit à tournoyer gaiement sur elle-même, inondant la pièce de sa brillance. Lousky apprit alors à Luciole comment tournoyer plus vite et sur une surface qui réfléchissait encore plus la lumière : la glace. En effet, le loup, féru de pêche à la ligne, avait élaboré une technique pour attraper le poisson même quand l'eau était gelée en surface, ce qui l'amenait à se déplacer sur le gel très souvent. Sur la glace, il faisait preuve de toute la grâce, et de toute la prestance dont un canidé était capable, ce qui n'était pas le cas de la luciole, qui se complaisait en cascades, et en éclats de rire. Ensemble, ils partagèrent les joies du chant, de la danse, et du patinage. Luciole faisait souvent la lecture à Lousky, qui ne savait pas lire. Elle aimait les belles phrases incompréhensibles des poésies, qu'elle faisait semblant de comprendre pour épater son ami, qui n'y entendait guère plus. Ensemble, ils trouvèrent un refuge dans le pays du Rien. En une journée à peine, ils étaient devenus inséparables. Un étrange lien les unissait, comme si le destin avait voulu qu'un soir, Lousky rencontre Luciole. Ils se connaissaient d'instinct.
Parfois, quand ils ne se suffisaient plus, ils faisaient venir une luciole, une coccinelle ou deux, ou un parent, éloigné, très éloigné… Lousky invitait souvent son amie d'enfance. C'était une chienne prénommée Tatam, qu'il adorait. Ils passaient des après-midi entiers à jouer tous les trois, même si Luciole était un tout petit peu jalouse de Tatam parfois.
C'est alors qu'ils prirent conscience qu'ils ne pouvaient rester éternellement. Le monde extérieur, aussi réel soit-il, leur manquait. Ici tout était à leur disposition, ce qui commençait à sérieusement ennuyer un chasseur tel que le loup… Quel plaisir y avait-il à déguster un poulet tikka si on avait échappé à la joie de le cuisiner soi-même ? La luciole, quant à elle, regrettait les bavardages incessants de ses écervelées de copines… Ils avaient le mal du pays. Le paradis, aussi merveilleux soit-il, n'était pas leur chez soi. Bien sûr, Sir loup pouvait faire apparaître sa forêt, son lac gelé ou sa boîte à musique, mais l'essence de ces choses demeurait absente. C'est ainsi qu'ils décidèrent, non sans un petit pincement au cœur, de rentrer retrouver leur terre natale.
Cependant, ayant intériorisé en eux le pouvoir de ce non-lieu, ils pouvaient désirer retourner dans le Pays du Rien, et en un claquement de doigts, se retrouver ensemble, dans cet endroit rien qu'à eux, pour toujours et à jamais leur.
Sympathique...Merci.
· Il y a environ 8 ans ·voda
mais de rien :)
· Il y a environ 8 ans ·Lucie Labat
"Quel plaisir y avait-il à déguster un poulet tikka si on avait échappé à la joie de le cuisiner soi-même ?"
· Il y a environ 8 ans ·je ne vous le fais pas dire. y'a pas que d'la joie, dans le pays du rien.
la promesse d'un retour au pays du rien est dynamisante, cependant, et universellement partagée.
le tout est de ne pas y rester.
Hi Wen
ravie de voir que je suis comprise ^^
· Il y a environ 8 ans ·Lucie Labat