Le peintre de la Dore
Jean Claude Blanc
Le peintre de la Dore
Au début du printemps, au bord du ruisseau
Posait son chevalet en face du coteau
Moi qu''étais pas bien grand mais je trouvais très beau
De scruter ses manières, tapi dans les roseaux
Alignait ses pinceaux avec minutie
Puis sortait de sa housse la toile immaculée
Raturée de croquis à renfort de fusain
Le décor planté, prenait de la hauteur
Préalables fiévreux, chaque jour répétés
Rituels millimétrés avec cérémonie
De soupeser les courbes, les nuances de vert
S'empressait dans l'instant d'en noter l'harmonie
Jamais ne me lassais de suivre ses mimiques
Son regard bleu fixé sur les montagnes altières
Dans la chaleur montante l'air se chargeait de brume
Sensations de bonheur, poésie des couleurs
La beauté se cultive, s'imagine, se fantasme
Se déraisonne aussi pour mieux se consommer
La bordée de jouissance qu'au final on en tire
Ravive les étreintes de notre adolescence
L'artiste est l'instrument de ses propres chimères
Tirant sur sa bouffarde, tous ses sens en éveil
Ses yeux bleus alternant du spectacle à sa planche
C'est de la confusion, que surgit le chef d'oeuvre
Il passait ses congés d'agent des PTT
Dans une pension de famille au coeur du Livradois
Au beau milieu de juin la nature est en fête
L'occasion d'y quérir sa part de lumière
Je m'enhardis enfin à m'approcher de lui
Silencieux et curieux, avide de savoir
Ce qui poussait cet homme à décliner l'azur
C'est là que je compris, le sens de mes rêves
Mon imagination toujours débordante
M'amenait à endosser la tenue de l'artiste
A brandir mes trophées une fois achevés
Emballer mes parents, mes copains du village
Mon peintre de la Dore ne connut le succès
Qu'auprès de ses amis, ses parents généreux
Des tableaux qui s'ennuient le long des vestibules
L'auteur quant à lui on l'a vite oublié
Révélation soudaine, à durée éphémère
C'est le sort qui attend les obscurs créateurs
Certains traversent le temps, pas toujours les meilleurs
Pérenniser son art, pas donné à tout le monde
On ambitionne au moins un peu de gratitude
De la part de ceux qui captent le message
Pour ce qui est du talent, une notion bien abstraite
Ce qui compte aujourd'hui, c'est soulever les foules
Reste le paysage, les couleurs délicates
Ces nuances de vert qu'on ne peut reproduire
Ce « La » du musicien qui n'est jamais parfait
Qu'on s'échine cependant d'amalgamer les gammes
Tout est dans l'émotion, nous répétait l'instit
L'idéale vérité, perfection scientifique
On peut s'en rapprocher, sans jamais la saisir
C'est aussi bien ainsi, sans arrêt progresser
Pour savourer une œuvre, nous faut la soupeser
Connaitre sa genèse, son soudain cri primal
Souffrir dans son corps, pour dépouiller son cœur
Bien plus tard sera dit que c'était du génie
De nos jours on s'applique à tout banaliser
Plus de places aux idées, tout est bien formaté
Tout est dans le déni, même des états d'âme
On cache comme on peut son émotivité
De peur de déranger, se ridiculiser
JC Blanc mars 2022
« Ne recherchez pas la connaissance pour elle-même, tout ce qui ne procède pas directement de l'émotion, en poésie, est de valeur nulle » (Michel Houellebecq
:-) .. vu la citation de Houellebecq, en ce qui concerne les postures de l'art dit contemporain ( enfin, celui qu'on officialise comme étant " la voie ", c'est exactement l'inverse : tout dans le concept, rien dans l'émotion. Ceux qui se s'inscrivent pas dans cette mouvance obligée seront automatiquement ringardisés, dé-contemporainaisés (!) -- qu'on se le dise !
· Il y a plus de 2 ans ·rechab