Le père noël, de la bière et du paté.

jeff-balek

Le père-noël regarde un filet de boîtes de conserve.
Enfin je dis le père-noël. Ce n’est évidemment pas le père-noël. C’est juste un type qui en a la trogne.
Un poivrot.
Et je me dis à cet instant qu’avec son gros pif violacé et son teint rougeaud, le père-noël lui-même a une tronche d’ivrogne.
Le père-noël en civil, jean crasseux, blouson adidas des années soixante-dix noué sur les hanches, tee-shirt vert tendu à craquer par quelques décennies de bières, pèse et soupèse ses dix boîtes de pâté.
Il se gratte barbe et cheveux blancs comme neige, évidemment, prend le filet, vient vers moi.
« Vous faites des emballages pour envoyer par la poste ?
- Non. Ca, j’ai pas.
- Dommage. C’est dommage, vous ratez une vente, là.
- Ouais
- Bah vous vous en foutez. Avec tout c’que vous vendez, c’est pas dix boîtes de plus ou de moins…
- Non. C’est pas dix boîtes de plus ou de moins qui vont changer grand-chose, c’est sûr.
- Vous vous en foutez, hein ?
J’acquiesce d’un vague « mmm », je baisse le nez et poursuis l’écriture d’une nouvelle sur la corrida qui me colore les idées en rouge et or, me chauffe les neurones au plein soleil d’Espagne.
- Vous vous foutez de mon fric hein ?
- j’m’en fous pas mais je vous dit que j’ai pas de boîte. J’ai pas de boîte, c’est tout.
- J’suis sûr que t’en as des boîtes mais que tu veux pas m’en filer !
Le père noël me pointe un index crasseux sous le nez.
Je me lève de mon tabouret de bar. Je ne suis pas très grand, mais j’ai sans doute l’air à l’instant d’un type qui ne craint pas grand-chose. L’idée de la corrida, sans doute.
Le père noël repose la boîte et repars en traînant ses tongs.
Je me rassoie et me replonge dans une vuelta d’anthologie.
- Et de la bière en boîte ? Vous en avez de la bière en boîte ?
Je ne détache pas le regard de ma page cette fois-ci. Mes doigts serrent mon bic à l’en broyer.
- Non qu’en bouteille. La bière c’est qu’en bouteille.
- Ouais, c’est plus cher la bière en bouteille. Bien plus cher que les boites.
Le père noël reste planté devant moi.
- tu t’fous bien de la gueule du monde hein avec tes bouteilles.
Sans me lever de mon tabouret, je fixe le père-noël et sa gueule d’ivrogne. Je ne vois plus que ses petits yeux clairs tout enfoncés et son nez piqué de pores monstrueusement dilatés. Sa couperose aussi. Sa couperose qui étend ses filaments bien au-delà de sa face, comme une méduse sanglante déploierait ses tentacules à l’univers entier. Le monde se colore en rouge.
- alors écoute mec, j’suis en pleine corrida là, alors t’as beau être le père noël ou son cousin, tu vas tout de suite arrêter de m’emmerder. Clair ?
Le père noël ne s’attendait visiblement pas à ça.
- Tu les prends ces foutues bières ou pas.
Il en prend deux, me les paye en balbutiant je ne sais trop quoi.
Je l’observe partir avec une pub pour la Martinique imprimée dans le dos de son tee-shirt.

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