Le petit chaperon rouge

Hervé Lénervé

Le titre parait suffisant

Bonjour,

Je suis venu par hasard, vieil innocent, sur votre site. J'ai  balancé d'emblée un requiem, pardon un recueil, d'une quarantaine de contes qui prenaient la poussière, depuis des lustres, dans mes tiroirs informatiques. C'était trop, surtout trop con, car je n'ai aucun retour, aucun écho, aucun feed back, etc. et j'en passe.

J'écris un peu bourré, excusez-moi pour l'élocution. Bref, j'ai décidé de les refourguer au compte-goutte, car nonobstant et Dieu (auquel je ne crois pas) me préserve de ma prétention, mais je les aime bien, quand même et les trouve pas si mal foutus, après tout. Donc je vais essayer de vous abreuver d'un conte/jour (unité de compte tours des véhicules romantiques). Comme je suis une grosse feignasse, cela me permettra de me consacrer à la paresse à plein temps. Si je n'étais pas aussi fainéant, je pourrais donner des cours de fainéantise.

J'aimerais bien les présenter avec de belles photos de couverture comme les vôtre, mais je ne sais pas si c'est autorisé par les droits de protections des reproductions. Je pourrais toujours les illustrer avec mes photos personnelles, mais je ne crois pas que mon cousin en maillot de bain à faire le con sur la plage se prête tellement à l'exercice, de plus, il n'est pas photogénique pour un rond.

 § 14

 

LE PETIT CHAPERON ROUGE

 

 

C'est une histoire, celle du petit chaperon rouge, revisitée, réactualisée, remise au goût du jour, quoique que personnellement j'ignore totalement qu'elle peut être la saveur gustative d'un jour. Le seul avantage à faire cela, étant que chacun connaissant l'intrigue, cela m'évite de trop développer. Bien qu'ici, la petite ne s'habille pas de rouge, mais comme vous et moi, enfin plutôt comme vous, si vous êtes une fille et jeune de surcroit. Quant au loup, il s'habille aussi comme vous, si vous êtes un garçon, mais surement pas comme moi, car j'ai passé l'âge de porter une capuche rabattue en permanence sur la tête, par tous temps et un improbable jogging qui n'a jamais connu de gymnases que dans ses rêves les plus désespérés, que voulez-vous, le loup est jeune aussi et nous sommes dans le Neuf-Trois. La gamine a également, comme dans l'histoire, une mère-grand, elle en a bien le droit, et sa grand-mère, elle l'Adore. Et oui ! Tout peut arriver dans un conte… c'est magique !

Donc, imaginez, une enfant bien dans sa peau, bien dans son temps, le nôtre aussi, même si on peut ne pas s'y sentir si à l'aise que cela, mais là, je ne parle plus que pour moi, car je ne vous connais pas assez, la preuve en est, que j'en suis même à douter de votre appartenance sexuelle et ne sait pas, du fait, quel rapport affectif vous pouvez entretenir avec votre époque. La petite est de l'ère internet, comme tous les jeunes d'aujourd'hui, elle reste connectée en permanence avec son réseau social, les enfants de douze ans, ont déjà un réseau plus fourni que celui d'un sénateur sénile en fin de sévices, chacun sa génération, nous, les vieux, on a beau essayé, on ne fait que semblant, on n'est pas tombé dans la marmite de la potion informatique.

Or un jour, c'était la nuit d'ailleurs, où il faisait déjà sombre par cette froide soirée d'hiver et  où la gamine se rendait chez sa grand-mère pour y goûter la brioche que l'ancêtre lui avait cuisinée avec beaucoup d'amour et un peu de farine, quand même, aussi. Ecouteurs sur les oreilles et oreilles pleines de hip-hop. Que faisait une gamine, court-vêtue dans le froid de la nuit, n'aurait-elle pas dû être bien au chaud à la maison ? Indéniablement, maintenant nous ne sommes pas ses parents et la gosse avait bien le droit de chercher des histoires, plutôt que de ne pas vivre, bien tranquille, dans une vie plate et lisse, une vie sans épis, sans épice, une vie sans histoire.

Elle croise, chemin faisant, un gus, mains dans les poches, tête dans la capuche, qui va quelque part sans donner l'air de savoir où pourrait bien être ce quelque part, bref il zone un peu. Avant que les deux corps ne se croisent, la gamine lui fait un franc sourire soleil, auquel il ne répond pas, puis les deux corps se croisent, normale, cela arrive quand deux corps sont mus par leurs vitesses respectives sur deux trajectoires diamétralement opposées, mais légèrement décalées cependant, autrement il y aurait collision. (Je vous saoule avec mes cours magistraux de physique ou élémentaire de billard, si vous êtes moins universitaire et plus adepte des tripots mal famés et bien enfumés). Pourtant, le mec s'arrête et revient en arrière (normal aussi, autrement il n'y aurait pas d'aventure et vous pourriez éteindre la lampe de chevet et vous abêtir avec la boite à cons.)

-         Hé ! t'aurais pas une clope ?

-         Désolé je ne fume pas, mentit-elle.

-         Pas grave ! Enfin, j'veux dire c'est mieux pour toi.

Et comme la belle gamine le regarde de ses beaux yeux de la couleur de l'onde, dans lesquels la houle des océans tangue avec toutes les voiles, tous les bateaux, toutes les mouettes à l'intérieur, à filer le mal de cœur à un vieux loup de mer. Bref des yeux vastes comme les flots à s'y noyer par plaisir, même si on est bon nageur, juste pour le fun. Ou encore de grands yeux qui se couvrent de neige quand on les gigote. Bon, ça va peut-être suffire pour la description d'une paire d'yeux tout aussi magnifique soit-elle.

-         Ouais ! C'est mieux pour ta santé, quoi !

-         J'avais compris, je ne suis pas si Lolita que ça !

-         Loli… quoi ?

-         Laisse tomber.

-         Tu vas où gamine ? Il est tard.

-         A une rave… Non j'déconne ! chez ma grand-daronne.

-         J'vais t'accompagnez, ça craint par ici, de plus j'ai rien à glander.

-         Cool !

-         C'est loin ?

-         Pourquoi t'es déjà fatigué ?

-         Non ! c'était juste pour savoir, quoi !

-         Viens, tu verras bien, mon loup.

C'est ainsi que le chaperon et le loup partent ensemble, pas bras dessus, pas bras dessous, mais presque et encore chemin faisant, ils se font aborder par une bande « d'encapuchés ».

-         T'écoute quoi, frangine ? Questionne le black de la bande.

-         Pourquoi ? T'es critique musical ? Lui répond espiègle notre chaperon provocatrice.

-         C'est un iPhone ? Continue le black sur sa lancée.

Et là, on devine que plus que le genre musical écouté, c'est l'émetteur de la « siquemu » qui l'intéresse davantage. Le loup se sent obligé d'intervenir, après tout il a promis d'escorter la gamine et de plus on n'est pas loup pour rien, on n'est pas loup en vain, on est loup que par faim.

-         Allez les gars, faites pas chier, on s'connait un peu !

-         Ma parole, sur le Coran, t'insulte le prophète ! On's connais ? Mon cul ! T'es qu'une sale tapette.

Cette fois c'est le rebeu de la bande qui est intervenue. Le loup voudrait se défendre, car ce n'est pas très sympa d'être insulté en public, maintenant comme, il faut bien l'avouer aussi, le grand méchant loup n'a jamais complètement assumé son homosexualité avérée, il se tait.

-         Tu sais c'qu'on en pense des pédés ici et c'qu'on leur fait ? On les encule !

-         Des promesses, toujours des promesses… Ça lui a échappé, au loup, par un automatisme de conneries.

-         Putain ! J'le crois pas ! Il nous cherche, l'autre enculé d'sa race.

Cette fois c'est le blanc de la bande qui parle, le conte ne dit pas s'il est feuge et oui, les bandes sont souvent cosmopolites. C'est une des obligations du quota multiracial des cités et s'il est vrai que l'ironie est une arme, il est parfois déconseillé de la dégainer.

A partir de là, la situation dégénère grave, les trois représentants du concept de la bande de banlieue, se jettent sur notre pauvre loup et se déchaînent, se défoulent, s'expriment un peu, quoi ! Pas un chacun son tour, mais les trois en même temps. Il faut bien faire un peu de sport et le sport collectif c'est plus productif pour la cohésion des groupes et c'est plus formateur pour développer un esprit civique. Bref, au bout d'un certain temps d'échanges sociaux, le loup, à terre, ne bouge plus d'un poil et devant cette passivité de créativité, la bande s'en détourne, pour se retourner vers le chaperon qui avait, tranquillement allumer une cigarette mettant ainsi à profit le temps interlude de cette lutte interlope.

-         Allez ! Ton iPhone, salope ! Encore, le black.

Décidément, il a l'air d'y tenir, le gus, au smartphone de la petite, cela doit être une névrose obsessionnelle, car tout petit déjà, sa propre mère disait de lui: « Mohamed, quand il a une idée dans la tête, il ne l'a pas dans l'cul. » Mais cela s'était avant, quand il n'était qu'enfant, et avant que le pied de la gamine heurte la tempe de Momo, avec une telle violence, qu'il est fort à parier, qu'il ne lui restât plus ne serait-ce qu'une seule idée en vitrine et si ce fut encore le cas, elle aurait été davantage, celle de trouver urgemment une aspirine. Puis tout alla très vite, dans une chorégraphie « d'Holiday on ice » les deux autres furent terrassés par la gamine ceinture noire de karaoké. Ainsi, tous les garçons de cette histoire se retrou…vèrent à terre, en train de ramper comme des vers de terre. Puis la bande légèrement défaite se reconstitua dans la même fuite fédératrice, ne laissant sur place que le chaperon et le loup.

Le chaperon s'accroupit sur les restes, non fumantes, du loup. (On ne peut pas utiliser tous les clichés, ce ne serait pas photographique.)

-         Qu'est-ce qu'ils t'ont mis, t'as morflé grave.

-         Merfle ! Vourquoi t'es pas interflenue, flu, comment tu te bats !

-         Je n'ai pas pour habitude de mettre mon  joli nez dans les affaires des autres. Par contre, je pense qu'ils t'ont pété le tien.

-         C'est blour mieux te blairer de loin, mon enblant.

-         Deux dents, itou.

-         C'est blour mieux te couvrir de bisous, mon enblant.

-         Mazette ! Comme dit ma grand-mère. T'es un sacré poète, toi ! On voit que tu sais parler aux filles.

Lui dit-elle d'un rire de gorge chantant, un rire intime qui requinque les éclopés. Puis, elle l'aida à se relever et ils partirent, clopin-clopant pour l'un, clopant une clope pour l'autre. Le petit chaperon, pas si rouge, ramena le grand loup, pas si méchant, chez lui à Bobigny, des tours haricots à gogo, à « tour-larigot », au neuvième étage.  La grand-mère allait attendre un peu, car la petite s'évertua ensuite à soigner les plaies du loup, en s'éreintant sur une des parties qui avait pourtant été miraculeusement épargnée par les coups de pieds et de poings homophobes.

Finalement, le loup fut content de retrouver un peu de sa virilité machiste, mise à mal, en croquant symboliquement le petit chaperon. Même si encore, vu le contexte, ce fut plutôt  le petit chaperon rouge qui se tapa le loup.

 

Moralité : Méfiez-vous des apparences, certes, mais méfiez-vous également des chaperons rouges, ils ne sont vraiment plus ce qu'ils étaient.

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