Le pou n’est pas chou

Hervé Lénervé

J’avais un copain qui était moche comme un pou. Remarquez que je n’ai rien de particulier contre les poux, tout le monde a le droit de vivre, ailleurs que sur mon chef.

Il était moche certes, mais à sa décharge il était très con aussi. De plus, ce n'était pas vraiment mon pote, mais juste une relation que je fréquentais par obligation, car mon fils était dans la même classe que le sien qui était ami du mien.

Or, moi-même qui ne suis pas un Apollon, aux côtés de ce parangon de l'horrible, je passais pour un éphèbe.

Donc, il me semblait être le plénipotentiaire mandaté par la laideur. Mais cela était avant que je rencontre sa femme qu'il avait dû épouser pour faire-valoir.

Je n'aime pas être méchant, mais là, c'est de la légitime défense. Une véritable sorcière en chair et en verrues. Elle était institutrice et les enfants de sa classe étaient tous atteints de terreurs nocturnes. De toute façon, peu importe, elle n'est pas le sujet de mes propos ou si peu, donc revenons à mon pseudo pote.

Quand je dis qu'il était très con, il faut étayer un peu par le détail.

Premièrement, il était présomptueux. Dieu sait qu'il n'aurait pas eu de quoi l'être, mais c'était ainsi.

La première fois que je l'ai rencontré, c'était à une réunion publique de l'école où il s'était présenté, pour prendre la parole sur un détail insignifiant, en tant que chef d'Entreprise. Je sus (mais pas des aisselles) plus tard que son Entreprise ne comptait, en tout et pour tout, qu'un seul effectif, lui, comme auto-entrepreneur. Le P.D.G. se transformait en peintre en bâtiment. Remarquez que je n'ai rien de particulier contre l'artisanat.

Une autre fois, il me dit : « viens avec moi à mon atelier, je vais te passer un fond de peinture pour ton plafond. » c'était gentil de sa part, pour moi et pour sa cave qui s'élevait, pour ainsi dire, au-dessus de sa condition de sous-sol. Remarquez que je n'ai rien de personnel contre les caves et les naïfs.

Donc le personnage maniait l'hyperbole.

Son outrecuidance explique qu'il était un dragueur impénitent. Il draguait tout ce qui bougeait, au point où je restais immobile pour lui parler. Heureusement pour moi, il était exclusivement hétéro. Remarquez que je n'ai rien de personnel contre les joyeux. Cependant, pour lui, cette addiction prenait parfois des proportions gênantes pour l'entourage.

Je m'étais inscrit à une sortie d'école pour accompagner les enfants de la classe de nos deux gosses respectifs (je précise « respectifs » pour qu'il n'y ait pas de confusion par une lecture rapide) et mon malheur fut que sur les quatre autres parents accompagnants, il en fut aussi. Comme il me connaissait un peu, il me colla d'emblée pour ne plus me lâcher par la suite. L'institutrice était une jeune et jolie instit. Vous devinez la suite. La pauvre était assez timide, elle passa l'après-midi à rougir de son harcèlement à la pelleteuse. A un moment, elle vint me voir pour me dire.

-         Comme vous êtes son ami…

-         Si peu !

-         … Vous ne pourriez pas lui demander qu'il n'insiste pas.

-         Je vais faire de mon mieux, mais je ne vous promets rien, je suis un homme marié.

Elle rigola un peu, la pauvre.

Quand mon pseudo-copain vint me raconter qu'il espérait conclure rapidement avec la petite. Je lui dis.

-         Elle est venue me parler, n'insiste pas, c'est une gouine.

-         M'en fous, personne n'est parfait, je l'ai accrochée, je n'ai plus qu'à la ferrer.

Au moins, il n'avait rien de particulier contre les brouteuses de gazon.

Un autre jour, les parents qui s'étaient un peu investies dans la classe organisèrent un repas dans un resto pour clôturer la fin de l'année scolaire. Ainsi, nous étions plusieurs couples de parents, plus la toujours jeune et toujours aussi jolie instit. Or, quand nous prîmes place autour de la grande table réservée, la place attribuée à mon dragueur ne semblait pas lui convenir et pour cause, il était assis à côté de sa femme, on le comprend, mais en plus et surtout, trop loin de l'instit. Les efforts qu'il déploya pour chambouler la tablée étaient tellement manifestes et trahissaient tant ses intentions que cela en devenait vexant pour son épouse et embarrassant pour les autres. Ceci dit personne ne bougea et il fit la gueule pendant tout le diner. 

 

Bon, mais je papote, je papote et le temps tourne. Je suppose que vous avez mieux à faire que d'écouter mes vieilles anecdotes. Allez, je vous laisse, de toute façon, j'ai perdu de vue ce mec et son laid'ron. Remarquez que je n'ai rien de particu… vous savez bien.

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