Le pouvoir des livres (chap 8)

Mari A



Après quelques jours passés ensembles, le professeur avait décidé de changer leur manière de travailler. Il avait pris l'habitude de ramener des livres à chaque séance et de faire petit à petit découvrir au garçon de nouveaux textes. Il avait même réussi à lui faire comprendre à quel point les mots pouvaient produire différents effets selon les phrases, et qu'ils pouvaient blesser même à travers les livres. Cette fois-ci, il voulait faire lui apprendre qu'il n'était pas seul dans son cas, que beaucoup d'enfants ne pouvaient pas voir et que l'entraide était possible. Le seul problème était de savoir si le garçon allait laisser une chance aux autres. Certes, il s'était ouvert au professeur mais après de nombreuses séances à tenter de le persuader. Cette fois-ci, le professeur avait décidé de ne rien dire et de le laisser se débrouiller seul avec l'invité qu'il allait lui présenter aujourd'hui.

Bien évidemment le garçon ne s'attendait pas à une surprise de cette taille et s'était préparé à découvrir un nouveau livre et à apprécier la nouvelle lecture qu'allait lui offrir le professeur. La déception le pris lorsqu'il se rendit compte que le professeur n'était pas la personne qui se tenait dans la même pièce que lui. A vrai dire, le garçon n'était même pas curieux de savoir de qui il s'agissait. Si le professeur ne venait pas et bien il ne travaillerait pas. Pourquoi devrait-il parler à un inconnu du jour au lendemain, quelqu'un qu'il ne voulait pas connaître et qu'il n'appréciait même pas. Cependant, l'inconnue n'allait pas lui laisser son mot à dire.

« Bonjour, je suis Hélène enchanté !  Le professeur m'a dit que tu aimerais sûrement rencontrer quelqu'un d'autre que lui aujourd'hui même si tu ne parles pas. Alors je me suis portée volontaire ! Pas que je n'ai pas d'amis mais que je me suis dit que tu devais te sentir seul sans avoir un gardien des secrets ! »

Le garçon reconnu la voix d'une fille bien trop enjouée à son goût, elle lui paraissait même bizarre. Pourquoi s'intéresser à quelqu'un d'un coup, ils ne s'étaient jamais rencontrés alors pourquoi voulait-elle faire ami-ami maintenant ? Comme à son habitude il garda le silence. Mais à son grand désespoir la jeune fille ne parue pas s'en soucier et continua son monologue.

« Je viens de Senlis, une petite ville dans le Nord mais tu ne dois pas connaître, il y a une splendide Cathédrale et même des vestiges de remparts c'est impressionnant !  Je suis venue ici quand j'ai dû me faire opérer pour mes yeux et depuis je ne suis pas retournée là-bas. C'est vrai que ma maison me manque mais j'ai pleins d'amis à qui je peux me confier alors ça va mieux. Tu sais, tu devrais en faire autant ça te ferait sûrement du bien ! »

« … »

« Tu aimes le chocolat ? Moi j'adore ça !! Une fois j'ai eu le début d'une crise de foie parce que j'avais voulu manger tous les chocolats qu'on m'avait offert avant que les autres enfants me les piquent. C'est tellement rare de pouvoir en manger ! Après si tu es gentil avec moi et qu'on devient super amis, je pourrais t'indiquer où se trouve ma cachette secrète et comme ça on ira en manger sans rien dire. Mais tu dois me promettre de garder ça secret ! Si jamais le professeur l'apprend… enfin il l'apprendra pas alors ce n'est rien ! Bon je dois partir pour l'instant mais on se reparlera demain ! Ça fait plaisir de te rencontrer. »

Le garçon était épuisé. Il n'aurait jamais pu imaginer que devoir écouter quelqu'un avec un débit de paroles aussi impressionnant était éreintant. Il n'avait absolument pas parlé mais ça n'avait pas empêcher la jeune fille de continuer et de se faire un monologue digne d'une pièce d'Edmond Rostand. Il aurait pu comparer son discours à la tirade des nez dans Cyrano que le professeur lui avait fait découvrir il y a quelques jours. A coup sûr, demain, elle reviendrait et il ferait tout pour faire comprendre au professeur qu'il ne voulait pas de cette nouvelle méthode.

Mais à son grand désespoir, le professeur ne lui rendit pas visite. Les jours s'enchainèrent et les seuls bruits que l'on pouvait entendre étaient ceux que la jeune fille produisait avec sa bouche et ses cordes vocales qui ne semblaient pas vouloir se fatiguer et s'arrêter. 

Signaler ce texte