Le premier cercle (Version originale de l'exo 14)

Daniel Macaud

Et merde, encore un, mais que faisait donc le Choeur ? Liatail regarda tomber le corps par la fenêtre oeil-de-boeuf de son petit appartement circulaire en soupirant. Décidément, quelque chose ne tournait pas rond en ce moment ! Liatail releva ses petites lunettes rondes et reprit la lecture de son disque journal. Quel stupidité de mettre fin ainsi à son cycle vital avant la date prévue ! Pourquoi aller contre la volonté du Choeur ? Pourquoi n’intervenait-il pas d’ailleurs ?

Les citoyens de la ville machine avaient une certaine tendance à dérailler depuis quelques cycles. En bon fonctionnaire, Liatail ne devait pas se poser de question, et continuer sa tâche. Tâche pour laquelle il avait été formé, et dont il s’acquittait à la perfection. Il jeta un oeil au cadran de la pendule. Déjà l’heure ? L’aiguille des temps venait de faire un tour complet, il était temps de repartir à la tâche. Il se prépara comme d’habitude, avec une régularité de métronome, avec les mêmes gestes, répétés depuis des cycles.

Liatail sortit de son petit appartement et descendit les escaliers à spirales de l’immeuble communautaire du cinquième cercle dans lequel il habitait depuis des années. Dehors, son auto-cycle attendait sagement le moment de reconduire son propriétaire à son bureau du quatrième cercle, pour que celui-ci s’acquitte de sa tâche. Liatail monta, tourna la clé de contact, et fit le tour du rond-point, avant de sortir de la place circulaire, en direction du quatrième cercle, qui se trouvait un peu plus haut dans la ville machine.

Autour de lui, les engrenages géants de la ville donnaient leur tempo aux citoyens de la ville machine. Leur régularité était éternelle, aussi éternelle que la ville elle-même. Liatail avait toujours connu ces engrenages majestueux, tournant sans arrêt, avec ce cliquetis régulier et rassurant. Il aimait cela. Il participait à cela. C’était lui qui était chargé de diffuser les circulaires de régulation des transports et des rondes de surveillances des mécaniques ancestrales de la ville machine. Justement, les lignes arrondies du bâtiment se dessinaient sur l’horizon courbe de la petite colline qui abritait le quatrième cercle et ses administrations.

La ville machine était organisée en cercles concentriques, chacun ayant une fonction bien spécifique, participant ainsi à l’équilibre global de la société et de ses citoyens, qui vivaient ainsi depuis des cycles entiers. Le cinquième cercle était réservé aux habitations de repos cyclique, le quatrième cercle concentrait les administrations, le troisième cercle abritait quant à lui les  bâtiments d’élevage, de formations et d’éducations des citoyens. Le second cercle était dédié à la reproduction et à l’alimentation des citoyens, et le premier cercle cachait en son sein, tout en haut de la montagne sur laquelle reposait la ville machine, le Choeur. Le centre névralgique, le coeur, l’Âme de la ville était là, décidant du cycle de vie de tous. Chaque citoyen était un petit engrenage, une petite partie d’un grand tout. Liatail était fier d’être un petit morceau de ce grand Tout.

Arrivé à son bureau, une nouvelle circulaire l’attendait. Il ouvrit des yeux ronds de surprise et appela son chef. Celui-ci confirma ce qu’il savait déjà : cette circulaire s’appliquait au premier cercle !

Liatail n’était pas peu fier de la confiance qui lui était accordée. Il redescendit les escaliers en spiral du bâtiment et remonta dans son auto-cycle, tourna le contact, fit le tour du rond-point et quitta la place circulaire en direction du premier cercle.

Alors qu’il montait la route en colimaçon en direction du centre de la ville machine, les engrenages disparurent soudain de sa vue. Cela le choqua et il stoppa net pour observer les alentours : plus un bruit, plus un engrenage, rien que du vide. Cela était perturbant. Peu rassuré, Liatail remonta dans son auto-cycle et reprit la route.

Le trajet devenait étouffant, inquiétant. Quelque chose ne tournait pas rond ! Liatail le sentait, son coeur cognait dans sa poitrine de façon asymétrique, et de plus en plus vite. Ça allait de moins en moins bien... Soudain il pila net, son sang ne fit qu’un tour ! Un ANGLE ! Par tous les engrenages sacrés, un angle !!!!!! Il n’en avait jamais vu. De peur que son auto-cycle ne puisse tourner le long de cette infamie, il termina le chemin à pied, et arriva devant une immense porte... Toute anguleuse ! Mais bon sang, que se passait-il ici ? Il entra. A l’intérieur, sur le sol, des carreaux carrés ! Au mur, des fenêtres rectangulaires ! Et au centre, majestueux, lumineux, le Choeur ! Une petite boule bleue, qui tournait autour d’une grosse boule jaune, décrivant une magnifique... Ellipse ! Grand Rouage ! Le premier cercle lui-même ne tournait pas rond ! C’en fut trop pour Liatail qui chercha à fuir, dans n’importe quelle direction, et ne vit pas le vide, avant de basculer.

Tailiat regarda tomber le corps par la fenêtre oeil-de-boeuf de son petit appartement circulaire en soupirant. Et merde, encore un, mais que faisait donc le Choeur ?

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