Le Premier Jour De Ma Seconde Vie ( Fin de la première partie )

stockholmsyndrom

Une nouvelle fois seul.

Ça se finissait toujours comme ça.

Ça n'en finissait jamais d'en finir.

Mais j'allais pas finir comme ça.


J'aurai pu laisser crever la Fameuse Lily dans le froid de la nuit, mettre un point final bâclé à cette histoire, passer à autre chose, j'aurai pu m'en aller très loin sans jamais me retourner,  mais vous vous doutez bien chers lecteurs que c'est exactement ce que j'ai pas fait.

Pourquoi?

Peut être parce que je suis un homme, et comme tout homme normalement constitué je ne suis pas insensible aux promesses d'une chute de reins vertigineuse ou autres paires de jambes dorées et admirablement dessinées.

Peut-être parce que je ne suis pas aussi cruel que je voudrais le faire paraître parfois. 

Ou bien peut-être parce que m'étais senti libre et vivant les deux fois où j'avais croisé ce petit bout de femme, parce que j'avais décelé quelque chose d'étrange dans ses yeux, quelque chose qui m'attirait.

Je crois pas aux promesses mielleuses, aux jolies mots qui sonnent faux, aux pour toujours qui s'écrivent avec les volutes d'un tas de cendre, je crois pas aux sentiments que la plupart des gens étalent aux yeux du monde, je crois en la vérité authentique du regard, je crois avoir vu la vérité dans les yeux de Lily, je crois qu'en elle somnolait la flamme me donnant la furtive impression qu'il était encore possible de trouver foi en quelque chose. 

Je crois au fond que c'est pour ces trois bonnes raisons que j'ai décidé de poursuivre l'aventure, et puis quoi, ça aurai été dommage, vous venez à peine de faire connaissance avec la muse de ma plume, et j'ai encore beaucoup d'encre a faire couler, alors voilà ce que j'ai fait :


J'ai cherché la fameuse gourmette pendant une bonne heure sur les bords de route en rebroussant chemin, mais c'était cause perdue, il faisait nuit et la plaine était immense, je cherchais l'aiguille dans la motte de foin. 

Fou de colère et épuisé, j'ai levé les yeux vers les étoiles et j'ai pleuré, je me suis excusé auprès de ma mère et, résigné, j'ai stoppé les recherches. 

J'ai une fois de plus fait demi tour, pour ne pas revenir à Las Cruces, et inconsciemment peut-être pour pouvoir vivre moi aussi mon Pretty Woman.

J'ai filé sous la nuit, son voile et ses secrets, ses silences équivoques, j'ai maudit tout ça, j'ai maudit la vie, j'ai maudit le monde, j'ai maudit Lily.

J'étais loin de chez moi.

À me prendre pour une étoile filante, je me suis soudainement rendu compte que j'avais eu un jour un chez moi, c'est l'histoire universelle de la vie, les gens vous lâchent, les gens vous abandonnent, et j'avais fait exactement pareil avec les seules âmes qui tenaient encore à moi.

Je marchais seul, ce que j'avais voulu, seul et en apesanteur dans l'immensité du néant, l'estomac noué, rongé par l'oubli, j'avais tout perdu, jusqu'au dernier souvenir qui me liait encore avec ma vie antérieure. 


Les yeux humides, j'ai avancé dans les ténèbres.


Jusqu'à tomber sur mon auto-stoppeuse préférée.


Quand je me suis arrêté à côté d'elle, elle a transformé son levé de pouce en un doigt d'honneur french manucuré. 

J'ai insisté pour qu'elle monte à plusieurs reprises. En vain. 

Elle tremblait de froid, j'en avais mal au cœur. Je comprenais son état d'esprit, elle m'ignorait. J'étais peut-être un gros connard à ces yeux, mais je considérais mon coup de sang comme légitime et lui en ai fait part.

Elle a eu l'air de mettre un peu d'eau dans son vin puisqu'elle s'est juste après ça arrêtée en pleine marche.


Elle s'est tournée vers moi.


La lune illuminait son visage.


C'était la première fois que je le voyais aussi nettement depuis qu'on s'étaient revus.

Je crois qu'à ce moment là, ma conscience et tout ce qui gravitait autour s'est figé.

J'étais en mode avion, pétrifié devant la pureté de sa peau, de ses pommettes luisantes et sinueuses, son petit nez retroussé et ses minuscules lèvres charnues.

Les traits fins et les contours arrondis de ses joues, son menton, ses longs cils en arc de cercle pointant vers un infime petit bout d'une de ses innombrables mèches blondes là juste en dessous de sa capuche, tout chez elle était parfait.

Et ces yeux! ses grands yeux noirs, profonds, pourtant si lumineux et captivant, logés entre d'étroites gorges orbitales dans lesquelles je plongeait sans même me rendre compte, ses yeux étaient irréels, magnifiques et maléfiques, ils contrôlaient les aiguilles du temps, j'étais la pierre figée dans l'espace, je n'étais qu'un pauvre homme parmi les hommes et face à moi, j'avais Médusa.


Divine.


J'étais ordinairement maître de mes émotions. Il faut croire que j'avais devant moi quelque chose qui sortait de l'ordinaire, puisque la pudeur émotionnelle qui caractérisait habituellement mon visage semblait s'être effacée pour laisser place à la stupeur devant tant de beauté :

Étonnée par mon absence d'esprit flagrante, Lily a lâché un long soupir tout en fermant les yeux pour faire brièvement sautiller ses deux fins sourcils, comme pour me faire part de sa lassitude envers mon comportement. Son charme était fatal et innocent, à son image, et elle semblait ne pas avoir conscience de la force de sa beauté, du pouvoir que pouvait exercer son simple regard sur l'équilibre d'un homme.

Ça a eu au moins le mérite de me faire revenir sur terre, un peu gêné par l'aveu que je venais de lui faire contre mon gré.


Elle est montée dans la voiture et je me suis secoué la tête.


" Tiens. Ta putain de gourmette. "


Elle m'a tendu le présent en argent d'un geste vif.

Elle avait fait semblant de le jeter.

Je me suis dis que sous ses airs de fille cruelle se cachait peut être quelqu'un capable de comprendre les sentiments des gens.

Oui, j'en étais même sûr.


" De toute façon j'ai jamais pu la revendre, ça a beau être un prénom de pute, j'ai pas réussi à trouver une seule Carmen dans mon entourage. "


Carmen. Ma maman. Oui oui, elle aussi est enchantée.


J'ai pas voulu répondre a la provocation. Je me suis emparé de la gourmette et l'ai accrochée à mon poignet. J'étais enfin soulagé.


J'ai repris la route.


Plus un bruit dans l'habitacle, plus un regard, le bruit du moteur la lumière des phares au devant.


Au bout d'un moment, Lily s'est endormie.


J'ai posé les yeux sur elle et puis j'ai regardé l'horizon.


Le soleil était en train de montrer le bout de son nez.


Le soleil n'est pas rancunier, il revient toujours aux nouveaux jours. 


Ceux qui se suivent et se ressemblent. 






Mais ce jour nouveau n'était en rien comme les autres...















C'était le premier jour de ma seconde vie.


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