Le premier souffle

ttr-telling

Thème imposé : Cyberpunk Contrainte : "Je suis désolé(e)..." dit-il(elle) les mains pleines de sang.

Alors qu'à peine quelques secondes plus tôt, les hurlements et les encouragements tonnaient dans la petite pièce blanche et exiguë, c'est un silence mort qui accueilli ma venue...


Cela faisait plus de sept mois que j'étais trimballé en tous sens. Mes parents étaient si fiers de pouvoir enfin me montrer au monde. Ma mère, qui était pourtant plutôt du genre manuelle, avait abandonné ses jeans épais et ses t-shirt troués au profit de robes amples et confortables. Elle disait que depuis qu'elle avait ses nouvelles jambes, elle préférait le sentiment de liberté que lui procuraient robes et jupes, et qu'elle aimait sentir le vent lui caresser la peau. Mon père restait sceptique quant à ce dernier plaisir, mais il la préférait lui aussi ainsi, alors il se contentait de faire comme il faisait toujours : il lui souriait amoureusement.


Nous avions une vie plutôt enviée. Ma mère travaillait pour l'une des plus grosses corporations militaires, et mon père dans une filiale de la même corporation, mais dans le domaine pharmaceutique. Nous avions les moyens de nous offrir a peu près tout ce que nous désirions, des liens amicaux et familiaux stables, et une santé pratiquement sans failles. Pratiquement.


Mes parents ont mis presque six ans avant de réussir à m'avoir. Les plus grands spécialistes ont été incapables de trouver une solution adaptée. Ils avaient d'abord pensé que les prothèses de mes parents avaient pu créer un déséquilibre fonctionnel dans leurs capacités reproductives respectives. Ils ont alors reçu comme conseil de retirer leurs prothèses une à une, progressivement, jusqu'à ce que ma mère tombe enceinte. Ils sont allés jusqu'à les retirer en quasi totalité. Ils se sont alors retrouvés dépendants des cyborgs de maison pour absolument tout, pendant pratiquement 8 mois. Voyant que malgré cette amputation technologique progressive qui a duré plus de 4 ans, je ne venais toujours pas, ils ont alors commencé à sérieusement remettre en cause leur projet initial.


A vrai dire, bien que parfaitement insérés dans la société d'un point de vue professionnel, leur idée fixe de mettre au monde un enfant naturellement les faisaient passer pour des marginaux attendrissants auprès de leurs amis et de leur famille. Au bout de 5 ans sans résultat malgré la multiplication des intervenants, médecins, prêtres, hypnothérapeutes, rebouteux, et même technomanciens, ils faillirent abandonner et passer par les couveuses habituelles. Mais malgré l'insistance de leur entourage, qui louaient l'efficacité et la praticité des fermes, mes parents résistèrent jusqu'au bout, convaincus que la bonne fortune finirait par leur sourire. Et ils ont eu raison.


Un beau matin d'Octobre 2107, ma mère fut réveillée par un dysfonctionnement de son scanner oculaire. Une "alerte parasite" ne cessait de perturber son système. D'abord agacée, elle eu tout à coup un instant de vertige total. Elle n'osait pas y croire mais ne pouvait s'empêcher d'espérer pour autant. Elle se dépêcha d'envoyer une demande d'analyse sanguine au laboratoire de mon père. Quelques secondes plus tard, la validation de sa requête, accompagnée d'un pincement à l'avant bras dont la prothèse était reliée au terminal central, arriva. Moins d'une minute plus tard, elle allait apprendre que j'étais là, au chaud, prêt à passer les huit prochains mois en son sein.


Cela faisait plus de sept mois que j'étais trimballé en tous sens. Mes parents étaient si fiers de pouvoir enfin me montrer au monde, à travers le ventre arrondi de ma mère. Malheureusement, à l'orée du huitième mois, une nouvelle alerte perturba son scanner oculaire. Je devais sortir.

- "Allez Liv, encore un effort ! vous y êtes presque ! je vois sa tête !" Le maïeuticien était prêt à me récupérer, campé sur sur son tabouret à roulettes, face à ma mère qui hurlait sa douleur au visage de mon père qui lui tenait la main. Toujours aussi butée et socialement étrange, ma mère avait insisté pour ne pas recevoir de calmants durant l'accouchement.

- "Allez ma chérie, il sera bientôt là ! courage ! pense à la tête qu'ils feront tous lorsqu'on leur présentera Cyleo !" lui chuchotait mon père, qui tentait de retenir son excitation de devenir papa, son chagrin de voir ma mère souffrir, mais aussi sa peur de se retrouver avec une petite chose dans les bras.

Dans un ultime cri de défi, ma mère amorça sa dernière poussée, me déposant droit dans les bras du maïeuticien.

Mais alors qu'à peine quelques secondes plus tôt, les hurlements et les encouragements tonnaient dans la petite pièce blanche et exiguë, c'est un silence mort qui accueilli ma venue...

Le maïeuticien jeta un regard emprunt de compassion à mes parents, avant de reposer les yeux sur moi.

- "Je suis désolé..." dit-il en regardant un petit corps inerte, les mains pleines de sang.



TTR.

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