Le prix de la liberté

b-a-trice

Un bruit étrange réveilla Aliénor. La jeune foal était arrivée au haras depuis seulement dix jours, et chaque chuintement lui faisait tendre l'oreille, inquiète et aux abois. Agée d'à peine sept mois, tout juste sevrée, elle s'acclimatait mal à ce nouvel environnement. Le confinement et la solitude lui pesaient, et les bruits alentours, inconnus, l'angoissaient terriblement. Pourtant, en tant que fille d'un pur-sang anglais ayant remporté de prestigieux titres internationaux, Aliénor avait été destinée à cette vie-là bien avant sa naissance. Sa robe de couleur baie et son pedigree impressionnant avaient immédiatement séduit Francis. L'homme avait été un grand amateur de chevaux dans sa jeunesse, et sa récente fortune lui permettait désormais d'en acquérir autant qu'il le souhaitait. Deux ans auparavant, Francis était encore un homme ordinaire. Marié et père de deux garçons, il habitait un cossu petit appartement parisien. Francis était alors banquier, et son salaire, sans être mirobolant, le mettait, lui et sa famille, à l'abri du besoin. Puis un placement financier inespéré avait fait de lui un homme riche, et il avait changé de vie. Il résidait désormais à Vincennes, dans une superbe propriété avec vue sur le bois et était, selon ses propres dires "le seul milliardaire qui quitte Paris pour partir vivre en banlieue".

Le craquement se répéta, c'était un bruit de pas. Sans doute un de ces humains. Depuis qu'elle était arrivée, il y en avait toujours un pour venir l'admirer, la mesurer, la palper. Aliénor n'aimait pas leur contact, professionnel et froid. Les pas se rapprochaient. Apeurée, la jeune pouliche commença à mordre doucement ses pattes avant, pour se donner du courage. Dans un éclair de lune elle reconnu alors la silhouette du palefrenier, chargée des seaux d'eau de la nuit. L'homme, bourru, faisait chaque soir le tour des boxs pour s'assurer que leurs précieux occupants ne manqueraient de rien après son départ. Aliénor l'observa craintivement s'immiscer dans sa stalle, et, le cœur battant, elle le vit déposer un seau dans le coin opposé à elle. Elle le regarda ensuite refermer la porte de sa prison, et se recoucha alors mornement sur sa paille. Une longue nuit allait commencer, sombre et inquiétante, avant de laisser la place à un autre jour, tout aussi chargé d'incertitudes.

Ce soir là, Francis était d'excellente humeur. Il avait passé une grande partie de sa journée à se détendre, comme il le faisait souvent depuis sa récente fortune. Les activités de ses journées et leurs déroulements tout entier étaient centrés sur les envies de sa petite personne, et il adorait ça. De cours de golf en week-end improvisés, il se délectait de sa nouvelle liberté, et vivait chaque journée dans l'attente impatiente de la prochaine.

Francis avait quitté femme et enfants quelque mois après son emménagement à Vincennes. Grâce à ses nouveaux revenus, il s'était rapidement lié d'amitié avec les propriétaires voisins, et sa famille lui avait alors paru terne et sans éclat face à celle de ses nouvelles relations. En quelques semaines, les vestiges de son ancienne vie avaient été balayés contre une coquette pension alimentaire, et Francis avait alors pu gouter aux plaisirs de l'argent couplés à ceux du célibat. Les garçons le visitaient encore un week-end sur deux, mais bien souvent, il n'était même pas là, et confiés à la garde d'une nourrice aguerrie. De parcs d'attractions en consoles hors de prix, ils ne s'en plaignaient guère. Son ex-femme, une gentille mère au foyer, avait été remplacée par Cindy, mannequin de dix-neuf ans à la plastique irréprochable et à la conversation aride. Puis Cindy avait été remplacée par Sonia, et Sonia par Alexane...Francis avait découvert avec bonheur les joies de la consommation sans limite : tout ce dont il rêvait, il pouvait se l'offrir: maisons, bijoux, femmes... Rien ne lui résistait. A quarante-deux, il était rentier, et son avenir était confortablement assuré, pour longtemps. La première année, il avait collectionné les liaisons avec des beautés célèbres ou inconnues. Avoir une nouvelle femme dans son lit tous les soirs lui procurait une sensation de jeunesse incroyable. Francis se sentait invincible, et ne regrettait pas sa vie passée. Le banquier bon mari et bon père de famille ne lui manquait pas, et il se demandait même parfois s'il avait vraiment été cet homme ordinaire, si totalement dénué d'envergure.

Désormais sa vie était une représentation permanente, de dîners en réceptions, il s'adonnait sans réserve à tout ce qui lui donnait du plaisir. Il n'avait conservé qu'une seule chose de sa vie d'avant: son goût pour les chevaux. Francis était un excellent cavalier, qui avait commencé à monter dès ses quatre ans. Originaire de Normandie, il avait fait ses armes dans un poney club familial, où son père était comptable. Ses parents, modestes, n'auraient pu lui payer des leçons d'équitation, et c'est grâce à un arrangement entre les propriétaires et son père que le garçon avait eu la chance d'être entrainé gratuitement par un des meilleurs professionnels de la région. A dix neuf ans, il avait même eu la chance de participer à La finale du Master Pro, à Fontainebleau. Hélas Alta Luna et lui n'avaient pas gagné, et la carrière hippique de Francis s'était arrêtée là. Le jeune homme s'était préparé pendant des mois à ce championnat, et la défaite avait fait naître en lui un lourd sentiment de déception. L'année suivante, il n'avait pas renouvelé son inscription à la FFE, et il s'était désintéressé de sa monture, jusqu'a ne plus la monter du tout.

Peu de temps après, il avait quitté la Normandie pour Paris, et avait définitivement tiré un trait sur son ancienne vie de cavalier. Il avait tout de même continué à suivre l'actualité sportive, et s'était même pris de passion, un temps, pour les courses hippiques. Puis il avait rencontré Annie, l'avait épousé, et le long parcours contre son infertilité avait commencé. Le couple en était ressorti parents, mais plus jamais amants. Sa vie de famille avait rapidement pris le pas sur sa vie d'homme, et il n'avait plus eu beaucoup de contact avec le monde du cheval. Même Annie ne savait pas grand chose de son passé de cavalier.

Alors quand Francis avait appris l'extraordinaire gain qu'avaient généré ses placements sur le web, il avait exulté. A quarante ans, il avait commencé une nouvelle vie diamétralement opposée à la précédente, et divinement plus intéressante. Les mannequins ayant malgré tout fini par le lasser, il s'était mis à collectionner les belles voitures. Mais la place avait manqué. Alors Francis s'était mis en tête d'investir dans le monde hippique, et de collectionner les plus beaux spécimens d'équidés qu'il pourrait se payer. Il avait acquis de superbes pièces; des pur-sang arabes, des mustangs, et mêmes quelques champions. Et la jeune jument qu'il s'était offert récemment n'allait pas démériter. Dès que Francis l'avait aperçu dans le pré, il l'avait voulu. Délicate et fine, la pouliche galopait avec élégance et force à la fois, si rapide qu'elle semblait flotter dans les airs. Au delà de son pedigree et de l'excellent investissement financier que représentait la jeune foal, Francis était tombé amoureux de son image: celle d'une nature conquérante, résolument libre. Quelques zéros plus tard, il en était devenu le propriétaire, et Francis avait donné ordre qu'elle rejoigne son cheptel le soir même.

Aliénor n'aimait pas sa nouvelle demeure. Sombre, humide, le box dans lequel on l'avait amené était inconfortable et froid. Seule, elle ne voyait pas ses congénères, mais elle respirait une foule d'odeurs entremêlées, et malgré son excellent odorat, elle n'arrivait pas à savoir qui partageait l'écurie avec elle. Certaines odeurs étaient musquées, d'autres douceâtres... Aliénor se sentait perdue, seule parmi des milliers. Le jour, le haras s'emplissait de sons et de parfums: du bruit de la forge aux fracas des sabots, en passant par une violente odeur de cuir, tout était vivant. Mais la nuit le haras ne résonnait plus que d'isolement et de silence. Le vacarme laissait place à un calme inquiétant, seulement brisé de temps à autre par un hennissement reflétant toute la tristesse et la solitude de son propriétaire. Tous les soirs, quand le soleil se couchait, Aliénor sentait ses forces la quitter. Prostrée, tétanisée, la pouliche était aux aguets, comme si à tout moment elle pouvait être attaqué. Les trois premiers jours qui avaient suivi son arrivée, elle s'était même jetée avec force sur les murs pour tenter de s'évader, mais blessée et confuse elle n'avait pu que constater que sa prison était solide. Désormais quand la nuit tombait, Aliénor se couchait tout au fond de la stalle, et attendait, angoissée et vigilante, en se mordant doucement les pattes avant, seule chose qui finissait par la rassurer et lui permettait de trouver enfin le sommeil, précaire, qui la mènerait jusqu'au lendemain.

Avant de se mettre au lit Francis regarda sa montre: minuit dix. La soirée avait été routinière, il avait diné en compagnie d'un couple de voisins et de sa nouvelle conquête, Solange, une jeune chanteuse de variétés. Après le départ de leurs convives, Francis et Solange avait pris un peu de bon temps, juste avant que la jeune fille ne s'éclipse pour une soirée de promotion bas de gamme qu'il jugeait sans intérêt. Francis avait ensuite pris un bain chaud, et s'était couché, seul. Assis dans son lit, il lisait. Il aimait ces moments de calme, la nuit, quand tous étaient couchés, et que plus aucun bruit ne venait polluer le silence. Loin de l'agitation de la journée et du faste des soirées, il pouvait enfin enlever son habit d'apparat, et se laisser aller, nonchalamment, vers un repos bien mérité.

Aliénor fut réveillé par une conversation humaine. La nuit avait été mauvaise: de jeunes hiboux avaient élus domicile aux environs du haras, et leurs hululements avait terrorisé Aliénor, qui ne s'était endormie qu' aux premières lueurs de l'aube, épuisée, les pattes en sang.

—Qu'est-ce-que t'as foutu? Le patron va débarquer d'une minute à l'autre! T'as vu dans quel état elle est? Qu'est-ce qu'on va lui dire?

Dans un demi-sommeil, Aliénor reconnut en l'homme qui se faisait sermonner le palefrenier qui lui avait apporté de l'eau la veille, et il lui sembla avait déjà aperçu, le premier jour de son arrivée, celui dont les cris venaient de la réveiller. Petit et maigre, d'aspect acerbe, c'était lui qui avait décidé de son placement. Le vieux palefrenier était visiblement gêné, et se mit à bredouiller quelques mots très vite:

— Je m'en occupe. Je vais la nettoyer, c'est pas profond, il verra rien...

Aliénor, fatiguée, fut emmenée, sans résistance, vers l'extérieur des stalles. L'homme se mit alors à l'asperger d'eau. Aliénor était épouvantée: à sa surprise se mêlaient effroi et colère. L'homme était en train de la noyer, de la frigorifier, de la tuer! La pression de l'eau sur ses flancs lui était particulièrement inconfortable, tout comme la température, glaciale. Maintenue par la force, Aliénor se débattait, furieuse. Hélas, plus elle ruait, plus l'homme augmentait la pression du jet, dru, sur son encolure. Quand enfin son supplice s'arrêta, elle était à bout de souffle et excédée. Elle fut alors emportée sans cérémonie sous le solarium, et à peine s'était-elle réchauffée qu'elle fut reconduite manu militari dans son box.

— Tu l'as pas pansé?

—Avec sa robe baie, on voit rien. Si je panse, le patron va voir qu'elle est abîmée, et il va nous passer un savon. A tous les deux.

Frédéric hocha la tête et fit signe au palefrenier de quitter le box.

Francis avait pris la Porsche pour se rendre au haras. Chaque matin, il s'enorgueillait de pouvoir choisir entre la Porsche ou la Ferrari, tandis que d'autres se demandaient avec indécision quelle cravate irait le mieux avec leurs chaussettes. Une des rares exceptions qu'il avait faite à son train de vie était le chauffeur. Francis n'en voulait pas. Il aimait trop conduire, surtout ce type de voiture. La Porsche était nerveuse, sportive. En la conduisant, Francis dépassait allégrement les vitesses autorisées, et en retirait un sentiment de toute puissance jouissif, trés proche de l'excitation sexuelle.

Dés que la Porsche jaune avait franchi le premier virage, tout le haras s'était mis en ébullition. Chaque employé vaguait désormais a ses occupations avec un étrange zèle, et toutes les bêtes, propres et soignées, semblaient sortir tout droit d'un tableau de Georges Stubbs. Frédéric était mécontent : la dernière bête que monsieur avait acquis était lunatique, un peu fêlée sans doute. Le palefrenier en charge de cette partie du haras était un vieux bonhomme qui n'avait rien vu, et voilà que la jour de la visite du patron le canasson avait les pattes en sang! Plutôt que de les panser, le bonhomme avait tenté de cacher les blessures, mais , si monsieur s'approchait de trop,; il les découvrirait. Et à voir la ferveur que le patron avait mis dans cet achat, il ne serait pas vraiment satisfait de découvrir la façon dont un pur sang de ce prix était traité!

Francis aimait débarquer sans prévenir. Bien sûr il n'était pas dupe: le haras se situait en haut de la colline, et il savait que dès que ses employés apercevaient la voiture, ils avaient exactement quinze minutes pour se mettre en place. Parfois Francis levait le pied, et leur laissait un peu plus de temps. Jamais moins. Quinze minutes étaient le temps nécessaire à ce qu'il n'ait pas de mauvaise surprises, et il le savait. A son arrivée tout était toujours trop parfait, et Francis se régalait de voir Frédéric, obséquieux, mimer l'étonnement à chacune de ses visites. Frédéric était un type détestable. Physiquement déjà, il ne donnait pas envie d'être connu. Il était cupide, fuyant, et n'inspirait aucune amitié à Francis. Mais c'était un fin connaisseur en matière de sports hippiques, et surtout un sacré négociateur. Francis voulait un bon cheptel , et pour cela il avait besoin d'un requin. C'en était un.

Ce matin-là Francis était venu visiter sa protégée. En se couchant la veille il avait potassé un livre sur les chevaux, et l'image d'Aliénor gambadant librement dans les prés s'était imposée à lui. Sans se l'expliquer, il voyait en elle la métaphore de sa propre conquête. Depuis son succès financier, il était comme ce pur-sang, impatient, impétueux, et maître de son destin. Il faisait volontiers le parallèle entre sa soif de plaisir et la fougue qui habitait les équidés : comme eux, il était désormais libre, presque sauvage. Frédéric tenta bien de le détourner du box, en le poussant à visiter d'autres jeunes foals, tout aussi prometteurs qu'Aliénor. Il insista lourdement sur les progrès d'Attila, un yearling de toute beauté...Mais Francis n'avait que faire de ses anciens achats. Comme toujours, c'était la nouveauté qui le faisait frémir, ce qu'il ne possédait pas encore, ou à peine. Il demanda à être dirigé vers la stalle de la pouliche. Aliénor...Il avait oublié son patronyme. Même son nom évoquait l'insoumission! Quand il pénétra dans le box, Francis était terriblement excité, ravi de faire face à ce qu'il croyait être son fier pendant équin.

Quand Francis s'approcha d'elle, Aliénor fut terrorisée. Elle n'avait aperçu l'homme que quelques minutes, dix jours auparavant, et n'en avait aucun souvenir. L'étranger qui s'approchait d'elle était de taille moyenne, légèrement bedonnant, avec des cheveux poivre et sel. Vêtu d'un costume bleu sombre et d'une chemise parme, c'est la couleur de sa cravate, d'un orange brutal, qui heurta en premier son regard. L'homme avait brutalement ouvert la porte de son box, sans un mot. Aliénor était debout, et effrayée, elle n'avait pas bougé d'un pouce. Francis s'était alors approché de son flanc, et l'avait poussé avec une longe, fermement. Aliénor avait tenté de résister à cette pression, et l'homme n'avait pas hésité à la frapper prestement, sur le nez. Subitement la frayeur de l'animal s'était muée en colère: d'une ruade, Aliénor s'était approchée de Francis, et l'avait coincé contre le mur du box. Face à un de ces sinistres humains qui la maintenaient captive et isolée, Aliénor se sentit un instant prête à en découdre, animée d'une rage que seules des nuits de détresse et de rancœur avaient pu créer. L'homme, qui la regardait jusque là avec un air de défi prétentieux, avait paniqué, et s'étais mis à crier. Aliénor avait alors retrouvé ses esprits, et les deux autres l'avaient maitrisé afin que l'énergumène puisse prendre ses jambes à son coup. La porte du box s'était alors refermée brutalement, mais Aliénor, furieuse, avait continué à ruer contre les murs du box, jusqu'à tomber d'épuisement.

Francis était en sueur. Choqué et exaspéré, il venait de se faire dominer par une pouliche comme un débutant, et son orgueil, écorné, ne supportait pas l'affront qui venait de lui être porté. Frédéric et Martin, qui étaient immédiatement intervenus pour maîtriser l'animal, savaient tous deux que Francis n'avait encouru aucun danger réel. Pourtant ils s'affairaient autour de lui avec empressement, et leurs attentions ne faisaient qu'augmenter la colère de Francis, furieux.

— Non, mais c'est quoi cette bestiole? Vous avez vu? Elle aurait pu me tuer! Pourquoi vous ne m'avez pas prévenu?

— Monsieur, je suis désolé, c'est la première fois qu'elle a ce type de réaction. Depuis dix jours qu'elle est ici, on ne l'a jamais vu comme ça, hein Martin?

Martin acquiesça, et ajouta:

— C'est clair, c'est pas le genre à charger d'habitude, elle est plutôt du genre craintive...

Francis n'écoutait pas les explications que lui fournissaient les deux hommes. Emporté par la colère, il ne songeait qu'à une chose: faire payer à l'animal son escarmouche, et lui imposer le respect qu'il pensait mériter. Le vieux palefrenier et le régisseur craignaient pour leur travail, et Francis les regardait sans les entendre parlementer de longues minutes sur la bête, sa folie passagère, et surtout leur absence de responsabilité dans cette histoire.

— Et pis elle se mutile aussi, comme quoi, elle est vraiment bizarre...

La dernière phrase que venait de prononcer Martin l'interpella. Sa fureur retomba subitement, et il  interrompit les deux hommes.

— Elle se mutile?

Martin, gêné, se dandinait maintenant en jetant des regards inquiets à Frédéric.

— Enfin, c'est à dire, je sais pas trop, c'est arrivé, oui, mais rien de grave...

Francis, sans un mot, s'éloigna d'eux et se dirigea d'un pas vif vers la partie nord du haras. Frédéric, interloqué, se mit à trottiner derrière lui, tandis que Martin tournait les talons dans la direction opposée, en marmonnant et en secouant la tête.

— Alors Frédéric, cet Attila, où est-il?

La visite du haras se poursuivit posément.  Francis visita quelques foals, s'attarda sur le jeune yearling prometteur, et jura de revenir monter l'un ou l'autre de ses acquisitions dans la semaine. Mais il n'en ferait rien, il le savait.

Au moment de monter dans son automobile, il se pencha vers Frédéric et lui glissa doucement:

—Je ne veux pas de bêtes malades, faîtes disparaître cette jument.

—Aliénor?

Francis ne répondit pas, mais Frédéric n'avait pas besoin de confirmation. Il regarda la Porsche jaune s'éloigner dans les virages, et retourna au bureau afin de prendre les dernières dispositions pour la pouliche.

Dans sa voiture, Francis fredonnait gaiement le titre qui passait en radio. Il était un peu déçu de son dernier achat: un cheval avec des problèmes mentaux, il avait fallu que ça tombe sur lui! Peu lui importait désormais ce que deviendrait sa protégée, le premier virage passé, il l'avait déjà oublié. Cet Attila, quel potentiel, pensa-t-il, en se penchant pour mettre un CD.

Dans la descente, la voiture roulait à vive allure, comme toujours, et la barrière de sécurité, fragile, céda sans effort quand la Porsche sortit de route. Du haras, Martin vit une tâche jaune s'envoler dans les airs, et dévaler la colline.

Le prix de la liberté.

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