Le p'tit moineau (1)

Louve

Après cinq longues années passées en prison, Gaëlle sort enfin. Elle n'a qu'une valise à la main, un peu d'argent gagné en travaillant pour ne pas mourir entre les hauts murs glacés. Il est là ...

...Il est là, à quelques mètres, elle le découvre enfin. Va t-il correspondre à ses attentes, la rendre meilleure. Elle ne sait presque rien de lui, sinon qu'il a beaucoup souffert comme elle.


Il fait un froid glacial ce matin là, le printemps n'a pas encore réussi à s'imposer pleinement, mais le soleil est quand même au rendez-vous. Il joue sur les arbres encore en bourgeons, fait étinceler l'herbe trempée de rosée qui envahit les trottoirs délaissés, mais peine à réchauffer la lourde porte sévère cernée de hauts murs, non moins sévères, qui cachent férocement la haute bâtisse grise et sinistre au bout de cette rue sans âme.

Un grincement dans l'air encore figé et l'imposante porte de cette prison de banlieue s'ouvre comme à regret sur un petit bout de femme, toute menue, paraissant si fragile. Mais lorsque l'on s'approche, on découvre dans le regard brun, une détermination farouche, une volonté hors du commun. Gaëlle, après cinq longues années passées en prison redécouvre à nouveau le monde en même temps que sa liberté. C'est une renaissance, un gigantesque bol d'air, qu'elle aspire soudain à pleins poumons. Elle ferme les yeux un moment, étourdie par la lumière de ce matin d'espoir, par les bruits qui l'assaillent. Tout lui semble excessif : les couleurs, les sons, la blessent, l'enchantent à la fois. Un instant, elle plaque ses mains sur ses oreilles. C'est un tableau pathétique que cette très jeune femme, elle n'a que 23 ans ; brunette coiffée à la garçonne, dont le corps presque trop mince disparaît sous un pantalon de toile écrue et un pull difforme et bien trop large pour elle. La laine a glissé sur l'épaule et découvre une peau mate et lisse, qui paraît douce comme de la soie.

Lorsqu'elle ouvre les yeux, elle l'aperçoit enfin. Il est là, il est venu, il n'a pas failli à sa promesse. Elle note encore qu'il a bien le visage de la photo. Romain, c'est son prénom, s'approche alors tranquillement et en guise de salut s'empare de la petite valise aux pieds de Gaëlle, le seul bien de la jeune femme.

-Viens, quittons cet endroit, murmure t-il, tout en entourant d'un bras protecteur l'épaule dénudée. Romain était aussi grand et fort qu'elle était menue et petite. Il avait les yeux bruns comme elle, mais aucune révolte ne se lisait dans son regard, seulement beaucoup de douceur. On le sentait à la fois équilibré et serein.

-Allons prendre un café ou autre chose reprit-il avec plus d'assurance, si tu veux bien ! Après, je t'emmènerai dans mon antre, continua t-il en riant presque. Gaëlle ne répondit pas, tant elle était occupée à observer tout ce qui l'entourait. Elle s'en "mettait plein la vue", cela faisait si longtemps ! Cinq ans ! Tant d'années perdues !


Malgré l'heure matinale, ils s'installèrent à la terrasse d'un café situé à l'angle d'une rue très passante. La jeune femme nota le même flot abondant de voitures, elle connaissait la petite ville depuis bien longtemps déjà. Seul changement évident et flagrant, la variété des nouvelles marques de voitures. La mode aussi avait évolué, tout cela était normal. Mais qu'il était difficile de se réhabituer à toute cette agitation. Elle se sentait vraiment toute petite. Les hauts murs qu'elle avait eu si souvent l'envie de franchir avaient tissé, petit à petit, une efficace protection contre l'extérieur. Elle tremblait à la fois de froid et d'appréhension. Romain le comprit et, pour détendre l'atmosphère, se mit à lui raconter quelques anecdotes sur sa vie, son travail. Elle savait déjà, par ses lettres, qu'il était dessinateur industriel, qu'il travaillait dans un bureau d'études où l'ambiance était vraiment très agréable. Ses heures de loisirs, il les partageaient entre son violon d'Ingres ; la peinture, et quelques copains. Son fils Rémi, qu'il avait eu d'un mariage malheureux, venait lui rendre visite de temps à autre. Romain, a 40 ans, avait déjà bien "bourlingué". Après le départ précipité de sa femme qui l'avait longtemps empêché de voir son gamin, il s'était étourdi dans les fêtes et l'alcool. Depuis, il avait repris, heureusement, pied, c'était du passé tout ça !


Par le biais d'une association, il s'était proposé pour écrire à un prisonnier, car, souvent, lorsqu'il passait le long des hauts murs crasseux de la maison d'arrêt, il pensait à tous ces hommes et ces femmes, enfermés là, privés de cette liberté si précieuse. Il ne nageait pas dans le bonheur, mais au moins lui, était-il libre de toute entrave. Bien sûr, il approuvait que certains, très nuisibles ou dangereux, y restent pour le bien-être de la société, mais les autres, ceux qui avaient eu un instant de faiblesse, qui s'étaient trouvés happés dans un engrenage d'où ils ne parvenaient pas à s'extirper ! Il avait eu envie de leur tendre la main. Et, un jour, une lettre était arrivée, la première, et c'était celle d'une prisonnière. Il n'avait pas précisé, peu lui importait, il avait laissé le hasard décider. Mais elle, il le sut tout de suite, avait choisi. Au fil des lettres, l'amitié s'était installée. D'abord un fil ténu, et puis le lien s'était consolidé, plus fort de jour en jour. Il y eût des confidences de part et d'autre, mais curieusement, elle refusa dès le départ, de le voir au parloir. Elle savait qu'elle sortirait un jour, elle n'était pas une criminelle, juste une petite braqueuse et elle voulait vraiment faire sa connaissance dehors, une fois libre ! Pas derrière les barreaux d'une cage, comme un pauvre animal de foire !

  • Coucou,
    Je ne suis pas venue te rendre visite depuis longtemps, ça part bien cette histoire !

    · Il y a presque 9 ans ·
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    miss0

    • Coucou Miss ! Ravie de te lire. Ma petite histoire t'a accroché, on dirait. Tu es mon premier et peut-être seul commentaire mais bon, lorsque l'on couche des mots sur le papier, si virtuel soit-il, c'est déjà que l'on a soi même une envie. Pour cette histoire que j'ai retrouvé dans tous mon "fatras" j'ai eu un petit coup de cœur. Avec le recul, ça arrive parfois.(Il y a 4 épisodes, j'ai oublié de numéroter le dernier)

      · Il y a presque 9 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • En fait il y a 5 épisodes, donc c'est le 5ème que je n'ai pas numéroté.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Je vais aller voir ca !

      · Il y a presque 9 ans ·
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      miss0

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