Le réel et le vécu

leeman

réflexion, assez floue néanmoins. difficile de partir d'un point de vue, puis d'en montrer le paradoxe, pour surpasser ce même point de vue.

L'expérience est une intension proprement vécue. Ce qu'il faut comprendre par là, ce n'est pas l'acte de vouloir, qui s'écrit ainsi : intention. Mais plutôt que, dans les choses que nous connaissons dans notre quotidien, il y a des degrés d'intensité, et que ces degrés nous permettent, sur le long terme, de nous remémorer plus aisément des choses qui se sont ancrées en nous. De ce fait, il est véritable, voire légitimement véritable, de considérer que l'homme est voué à éprouver les choses ; mais que cette épreuve et ce ressenti ne seront jamais fixés, constants. Car dans l'épreuve de la vie, il y a bien des choses qui nous marquent davantage que d'autres, et cela, tout le monde y consentira. Ce que l'homme ressent, il ne le ressent jamais de la même manière pour tous les objets de son expérience vécue, tout autant qu'il ne le ressent jamais de la même manière qu'un autre individu. Il est donc primordial d'accepter le fait que l'expérience vécue est une intension pour tous ; mais je ne dirai pas qu'elle est en même temps une intention. Cela signifierait que tout un chacun souhaiterait épouser la forme du monde qu'il rencontre : "Nous sommes une matière qui épouse toujours la forme du premier monde venu." (Musil, L'homme sans qualités; ce premier monde venu, qu'est-il ? Plusieurs interprétations sont possibles. Mais ce premier monde venu, c'est en tous les cas le nôtre. Celui que nous avons voulu construire, par nos choix, par notre être, par notre paraître. J'ai dit "voulu", cela implique un acte de volition. Or, j'ai dit plus tôt que l'expérience vécue n'était pas le fruit d'une intention, donc, d'une volonté. Il faut ici faire la distinction entre le monde tel qu'il nous apparaît, celui de l'expérience, et le monde tel que je l'ai construit, de telle sorte qu'il m'est familier à chaque fois que je pense ou me meut dans ce monde. L'expérience vécue est d'une intension profonde et distincte d'autrui/de mon passé, mais elle n'est pas une intention au sens ou j'ai pu vouloir construire le monde. De telle sorte, poussons la réflexion encore plus loin, et voyons le paradoxe qui apparaît : l'expérience vécue peut être le fruit de notre intention ; et cela, nous allons tenter de le montrer de cette façon : considérez qu'il y ait, dans le monde, un objet que je désire, et un objet que je ne désire pas. S'il n'y a pas, dans l'ordre des choses, quelque cause qui me pousse à connaître l'un plutôt l'autre, comment puis-je ainsi choisir le premier, ou le second, si je ne veux pas le premier avant le second, ou le second avant le premier ? Le problème de l'expérience vécue repose sur cela ; c'est la raison pour laquelle nombreux penseurs considèrent que ce sont les sujets qui gravitent autour de la chose à connaître, tandis que d'autres considèrent à l'inverse que ce sont les objets qui gravitent autour du sujet, et que le sujet n'a rien à vouloir, puisque les choses viennent à lui. Il faut avouer que c'est un clivage délicat, et que prendre parti dans ce débat n'est point chose aisée. Vivre, c'est subir, ou recevoir comme appréciatives, plusieurs intensions différentes, d'objets différents. Mais pour vivre, il faut vouloir vivre  (je mets de côté le concept schopenhaurien) ; ce vouloir là nous emporte vers l'avant, et nous permet de connaître, intentionnellement, des choses d'intensions différentes ou similaires. Ainsi donc dans l'expérience vécue comme dans le monde de tout un chacun, l'intention et l'intensivité vont de pair, et ne cessent de fonder le réel que nous vivons. Je dirai, pour conclure, que le "premier monde venu", c'est celui que nous connaissons le mieux, et que, par l'expérience vécue, l'étrangeté, l'inconnu, passe en nous pour faire partie de ce monde, de notre monde, et pour devenir un objet de notre expérience familière. Le vécu devient le connu, comme s'il y avait là quelque passerelle liant l'inconnu au familier. Ce sont des choses que nous avons acquises, et qui font partie de nous ; ce que nous vivons, c'est notre monde. Or, j'ai voulu montrer, à plusieurs reprises que, le monde, notre monde, c'est nous.

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