Le relais aux alouettes

emilym

1.Hélène, son mari Antoine et leurs 2 enfants sont sur la route des vacances. Hélène ne supporte plus sa vie. Dans le relais routier, Hélène se retrouve prisonnière, au même titre que trois autres protagonistes Paul, l’octogénaire, Elise la jeune femme et Caroline, l’adolescente. Ils ne peuvent sortir et personne d’extérieur ne semble s’en soucier. Un bien curieux personnage, Jocelyn de Saint Hilaire, est celui qui mène le jeu. Hélène était celle qu’il attendait.

2.Hélène est complètement dépassée par la situation. Elle ne comprend rien à ce qui leur arrive.

Paul, le vieux monsieur, demande à Hélène de l’accompagner dans le vestiaire des employés. A peine entrés, ils basculent subitement dans un monde parallèle où Paul se laissera aller à son vice : l’alcool. Hélène tentera de l’aider à s’en sortir et à fuir de ce monde parallèle.

3.Hélène est revenue dans le relais. Elle est encore sous le choc de ce qui vient d’arriver à Paul. Hélène fait plus ample connaissance avec Elise, la jeune femme. Nous apprenons également ce qu’Antoine, le mari d’Hélène fait de son côté.

4.Hélène part rejoindre Elise dans les toilettes du relais pour la consoler. Une nouvelle fois, elle se retrouve dans un autre monde. Elle assiste à la métamorphose d’Elise et à son enlisement dans ce monde parallèle qui n’est que mensonge et artifice. Hélène tentera d’aider Elise à prendre conscience de ce qui réel de ce qui ne l’est pas. Le narcissisme d’Elise sera-t-il le plus fort ?

5.Hélène revient dans le relais, seule. Elle souffre, elle a peur. Nous en apprenons plus sur sa vie actuelle, sur sa fragilité, sur son histoire.

6.Hélène se sent obligée de s’occuper de Caroline, l’adolescente, car elles ne sont plus que toutes les deux dans le relais. De nouveau, elles se retrouveront dans un autre monde. Elles feront la connaissance de la sorcière d’Hansel et Gretel. Caroline sera confronter au mal qui la ronge : la boulimie. Arriveront-elles à se sauver ?

7.Hélène est maintenant seule. Elle est très en colère contre Jocelyn. Elle va tenter de se rebeller. Cette fois-ci elle va se retrouver seule, projetée de nouveau dans un monde parallèle. Elle n’aura qu’elle a sauvé cette fois-ci, en échappant au loup et en se méfiant une nouvelle fois des apparences.

8.Après une course effrénée pour sauver sa vie, Hélène ne se retrouvera pas dans le relais, comme les fois précédentes. Jocelyn l’attendra. A travers un miroir, Hélène sera transportée dans un nouveau lieu. Elle revivra sa vie passée. Elle se verra mourir. Nous commencerons à comprendre ce qui la relie à Jocelyn.

9.Jocelyn apprendra toute son histoire à Hélène et pourquoi il l’attendait depuis si longtemps. Nous comprendrons quel est ce monde dans lequel Hélène et les autres ont été prisonniers. Jocelyn lui demandera de faire un choix. Quelle sera la réaction d’Hélène ? Que décidera-t-elle ?

10.Nous retrouverons Hélène quelques mois plus tard, chez elle. Nous saurons alors si Hélène et sa famille ont réellement su échapper à l’emprise de Jocelyn.

-         Maman, maman ! Une autre ! Qu'est-ce qui est vert et qui monte et qui descend ?

Je n'en pouvais plus. Je m'en moquais de savoir ce qui est vert qui monte et qui descend dont la réponse est un petit pois dans un ascenseur. Mais comme ma fille ne sera pas satisfaite parce que j’aurai trop rapidement trouvé la réponse, je commençai alors une longue liste de choses vertes susceptibles - ou non - de prendre l'ascenseur. Mais quelle idée aussi de partir la journée ! Antoine voulait absolument faire la route de jour car je ne conduis pas la nuit, non par mauvaise volonté de ma part, mais parce que je n’y vois pas grand-chose et qu’il en avait assez de devoir assurer seul le voyage. Et puis Antoine voulait qu'Apolline - 6 ans - et Louis - 3 ans dans quelques jours - puissent observer le paysage. De guerre lasse, j'avais abdiqué et nous étions partis tous les quatre dans notre voiture familiale chargée à bâbord comme disait Apolline, pour une destination de rêve : Dailla ! Vous ne connaissez pas ce charmant village de l'Aude perdu au sommet d'une montagne à 600 m d'altitude où vivent d'irréductibles vieillards tous plus amers et désagréables les uns que les autres ? Et bien vous rater quelque chose. Il est vrai que sur la route, une fois sortis de l’autoroute A666, vous verrez de magnifiques paysages, mais en même temps, une fois qu'on a vu un torrent, une rivière et quelques flancs de montagne, on les a tous vus ! Mais surtout, il y a ces interminables routes en lacets. En plus, je suis malade en voiture tout comme Apolline. Bref, il était certain que le voyage de jour était préférable à la route de nuit. Mais le clou, le sommet de ces vacances épiques était que nous étions attendus par la sorcière du village. Pardon, je voulais dire la chère grand-mère de mon époux.

-     Un haricot vert ?

-         Nan dit-elle tout sourire.

-     Un brin d'herbe ?

-         Non.

-         Une souris ? lui proposais-je.

-     Bah non c'est pas vert une souris maman ! me répondit le plus sérieusement du monde    ma petite fille.

-         Tu ne connais pas la souris verte ? lui demandais-je taquine.

-         Maman ? m’interpella Apolline qui, comme tout enfant de son âge, se lassait vite et pouvait passer du coq à l’âne en quelques secondes.

-         Oui ma chérie ?

-         C'est quand qu'on arrive ? J’ai mal au ventre. J'ai envie de vomir ! geignait-elle maintenant.

-         Antoine ?

-         …

-         Antoine ! On s'arrête à la prochaine aire. Et ne me dis pas qu'on vient de faire un arrêt. Je te préviens que si Apolline vomit, tu te charges du nettoyage ! De toute façon il est 13 h. Les enfants doivent manger quelque chose.

-         Ok c'est bon ! Arrête de t'énerver tu m'agaces et tu vas réveiller Louis ! répondit Antoine tout en levant les yeux au ciel.

Antoine était concentré sur la route. Je lui jetai un regard à la dérobée. Que cet homme m’exaspérait ! Je remarquai que ses cheveux bruns avaient encore perdus du terrain – honteusement, je m’en réjouissais -  et qu’un pli amer entourait de part et d’autre sa bouche qui ne souriait que rarement lorsque nous étions ensemble. J’avais d’ailleurs coutume de dire qu’Antoine était du genre à ne rigoler que quand il se brûlait. C’est vous dire avec quel bonnet de nuit je vivais. Paradoxalement, Antoine était entouré de nombreux amis. En effet, en société, Antoine brillait par un humour décapant et par un sens de l’amitié sans faille. A cet instant, je me demandai une nouvelle fois, comment je pouvais encore le supporter. Il passait son temps à râler et à me dénigrer. Je pensais souvent à la séparation, mais nous étions parents de deux enfants, et ce genre de décision ne se prenait pas à la légère. Nous étions nous-mêmes enfants de parents divorcés et j’avais énormément souffert de la séparation de mes parents. Je n’avais alors que 10 ans, mais ce fut le premier drame de ma vie.


Enfin, je vis le panneau indiquant que le prochain arrêt se trouvait à cinq kilomètres. Ainsi donc, nous nous restaurerions au relais routier de l'aire de repos "Le miroir".

A peine garés, Louis se réveilla en pleurant qu'il avait mal au genou, Apolline avait toujours mal au ventre et Antoine... et bien, il était allé directement au relais prendre un café. Bon d’accord, à moi les enfants et je boirai mon café plus tard, après tout, moi je ne conduisais pas.

Je cherchai au fond du sac de médicaments un anti-douleur pour Louis et emmenai ensuite les enfants aux toilettes. Le bâtiment qui se dressait devant nous n’avait rien de très accueillant. Quatre murs percés de grandes baies vitrées sales et une porte à tambour représentaient l’unique décoration extérieure. Je ne m’arrêtai pas à ces détails et pénétrai dans le relais – que l’heureux propriétaire avait baptisé Le Relais Aux Alouettes – portant Louis qui ne voulait pas marcher et tenant Apolline par la main. Je rentrai avec les deux dans l’une des cabines des toilettes réservées aux femmes. Il était affiché que Rose était passée pour nettoyer les sanitaires à 11h30. Il était 13h30 et mon odorat me laissait croire que cette fameuse Rose était peut être passée à 11 h 30 mais cela devait dater de quelques jours !  Bon, nous étions dans un relais routier sur le bord de l’autoroute et pas dans un hôtel cinq étoiles à Dubaï. Apolline allait mieux, Louis aussi, mais maintenant ils avaient faim et soif. Je les laissai se laver les mains comme ils le pouvaient et je sortis chercher Antoine. Il était devant la machine à café et récupérait sa monnaie.

-         Antoine ! tu t’occupes des enfants s'il te plait, je vais aux toilettes. Ils ont faim et soif.

Je me sentais obligée de lui rappeler que, s’il ne voulait pas d’incident sur le reste du trajet, il fallait mieux éviter de leur donner du chocolat et des choses trop grasses, mais il ne m’écoutait déjà plus et était parti avec les enfants à la recherche de victuailles.

Le relais routier était presque vide. Il y avait une jeune femme derrière le comptoir qui semblait absorbée dans ses pensées. Dans la salle, un homme d’une cinquantaine d’année touillait son café. Il devait être chauffeur routier. En tout cas, il en avait l’air. Je n’échappais malheureusement pas aux stéréotypes installés dans l’inconscient collectif. Il consultait sa montre et semblait impatient de partir. Nulle trace d’une Rose quelque part.

Je retournai vers les toilettes. J’entrai dans la première cabine et m’affalai littéralement sur le siège, refusant de penser à tous les microbes et saletés sur lesquels je venais de m’asseoir. Je posai ma tête entre mes mains. J’étais fatiguée, tendue, lasse. Je soupirai et me tançai pour me lever et ne pas restée enfermée dans ce sanctuaire si calme mais si malodorant. Je sortis de la cabine. Les toilettes étaient vraiment très tranquilles. Pas âme qui vive, pas de femme en train de rectifier son maquillage, pas de mamans avec leur petit, j’étais seule. Je savourai ce moment. Je me lavai les mains et me regardai dans le miroir. J’avais vraiment mauvaise mine. Le peu de maquillage du matin avait quasiment disparu, mes cheveux blonds n’avaient pas vus le lisseur depuis le début des vacances et ma tenue ressemblait plus à un pyjama froissé qu’à une tenue correcte de voyage. Mais je m’en fichais. J’en avais marre. Marre de cette vie, marre de mon travail où j’occupais des responsabilités que je n’avais pas demandées, des enfants qui aspiraient toute ma force vitale, de mon mari pour qui je n’avais plus aucune considération et qui me tapait sur les nerfs. J’avais 36 ans et une vie qui ne me plaisait pas. Je voulais tout larguer, recommencer à zéro, ne plus avoir aucune responsabilité. Je n’en pouvais plus. Je savais que ces moments de désespoir aller m’emmener vers ce sentiment d’angoisse intense contre lequel je luttais depuis que j’étais enfant.

La première fois, je devais avoir sept ou huit ans. Je n’arrivais pas à décrire ce que je ressentais à ma mère qui tentait de comprendre ce que je lui disais.

-         Maman ma crise arrive.

-         Qu’est-ce que tu ressens ma chérie ? Explique moi !

Ma mère essayait tant bien que mal de me faire mettre des mots sur ce que je vivais. Mais trop petite, je manquais de vocabulaire, je n’arrivais pas à expliquer l’inexplicable.

-         Je ne sais pas maman, c’est dur à dire. Je suis moi et je ne suis plus moi. J’ai l’impression d’être comme dans un rêve et que tout autour de moi est irréel, même si je sais que c’est faux.

Cet état, que je ne saurais pas mieux expliqué aujourd’hui, me terrorisait. Mais, paradoxalement, je me sentais irrésistiblement attirée par cette sensation. Je me prenais même parfois à me concentrer pour entrer dans ce que j’appelais à mauvais escient « ma transe ».

Autant vous dire que ma mère, aussi attentive et aimante soit elle, se trouvait totalement désemparée. Les années passant, quand cette « crise » arrivait, ma mère m’apprenait à ne pas me laisser aller. Elle m’expliquait que mon esprit était le plus fort et que je devais dire non à cet état tant redouté. Je parvenais donc de mieux en mieux à me maîtriser. Ce mal n’avait jamais eu d’ailleurs d’autres conséquences que de m’angoisser et une fois adulte, je m’en amusais même. Cela ne changeait pas ma vie. J’avais juste une particularité que personne ne comprenait, pas même moi.

Je me fixai intensément dans le miroir, Ma vue commença à se troubler. Je sentis la sensation d’irréalité arriver, la boule au creux de l’estomac, l’angoisse sourde, la peur mais cette envie de me retrouver dans ce rêve éveillé. Ça y est, j’y étais. Qui suis-je ? Je le savais mais pourquoi suis-je moi ? Pourquoi cette vie ?

Soudain, une femme entra repoussant violemment la porte. Elle semblait affolée et rompit ma séance d’angoisse. Comme à chaque fois je me sentais vide. Oui une coquille vide, voilà ce que j’étais. Je n’avais pas envie de les rejoindre, eux, ma famille qui m’attendait. Je ne voulais plus gérer les pleurs, les gémissements, les reproches. Je voudrais changer de vie et tout plaquer. J’avais envie de pleurer. Ce n’était que le début des vacances, mais je voulais rentrer chez moi.

La femme ouvrait toutes les portes. Elle semblait chercher quelqu’un. J’adorais aider mon prochain, même quand il ne me le demandait pas, mais là, je ne voulais pas entendre son problème. Je me dirigeai donc vers la porte laissant Elise – j’apprendrai bientôt à la connaître – avec ses problèmes et partis vers les miens.

En sortant, je regardai autour de moi. Le relais ressemblait à un magasin de station service déguisé. A la place des néons, on avait suspendu des plafonniers qui devaient avoir pour fonction de donner un air plus chaleureux à ce lieu sans âme et les tables étaient couvertes de nappes à carreaux à l’air plus que douteux, peut-être dû au travail soigneux de Rose.

Je cherchai du regard Antoine et les enfants et les vis dehors près de la voiture. Antoine avait l’air impatient de repartir, mais je n’avais même pas encore bu mon café, alors il pourrait bien attendre encore un peu. Louis était barbouillé de chocolat et Apolline tenait dans sa main une glace qui dégoulinait le long de sa manche et dont le tee-shirt avait déjà goûté. Soupirant face au manque de responsabilité d’Antoine – en effet, je pensais que dans la composition d’un repas équilibré, le sucre et le chocolat n’arrivaient pas en première place, mais je n’étais sans doute qu’une rabat-joie. Après tout, c’étaient les vacances comme me le serinait Antoine depuis la veille sous prétexte de tout laisser faire aux enfants. Je me dirigeais donc vers la machine à café. Je glissai 1€60 dans la machine et commandai un cappuccino aux noisettes dont la machine vantait le goût authentique. Je regardai d’un air dubitatif la description, mais en bonne gourmande qui se respecte, je me laissai à croire que cette boisson chaude tiendrait toutes ses promesses. Subitement, un frisson me traversa le corps. Je me sentis mal, angoissée et me retournai, je me sentais observée. Effectivement, un homme derrière le comptoir - la jeune femme avait disparu, l’heure de la relève avait du sonner - coiffé d’un curieux chapeau haut de forme qui avait connu des jours meilleurs et vraiment déplacé dans un tel endroit, me fixait en souriant. Ce sourire ! J’étais fascinée. Ces dents étaient d’une blancheur éclatante et son sourire avait à la fois quelque chose de chaleureux et de carnassier. J’eus alors comme une impression de déjà vu qui s’évapora aussi rapidement qu’elle était apparue. Cet homme était accoudé sur le comptoir, très décontracté et je me dis alors que si son patron passait à ce moment là, il se ferait rappeler à l’ordre.

Mon attention fut soudain attirée vers la droite. La femme des toilettes était effondrée sur une table, la tête dans les bras et pleurait, ses épaules secouées par de gros sanglots. Au loin derrière les baies vitrées, je voyais s’éloigner vers un énorme camion l’homme à la montre. Près du kiosque à journaux, une jeune fille de 16 ans environ habillée et maquillée comme une gothique, genre apprécié de nombreuses adolescentes en quête de leur identité, semblait interloquée, et regardait à travers la vitre. Je m’approchai du comptoir qui formait un L, car j’avais repéré un petit gâteau qui me faisait de l’œil, et vis assis par terre un homme d’environ 80 ans, habillé en tenue du dimanche, sa sacoche serrée contre lui qui semblait assommé. Mais que se passait-il donc ici ? Je me sentais mal. Et l’homme au chapeau ne cessait de me regarder, semblant attendre quelque chose de moi. C’en était trop. Une voix intérieure m’intima l’ordre de partir et vite. Je me retournai vers les portes et commençai à avancer. A cet instant, la femme releva la tête et me regarda. La jeune gothique se tourna vers moi et l’homme âgé se leva d’un bond. Il n’y avait plus un bruit. Ou bien n’y en avait-il jamais eu. J’avais l’impression d’être au stade à Londres, juste au moment du départ du 100 mètres. Je me précipitai sans même m’en rendre compte et poussai la porte.

Je fis un pas à l’extérieur, j’étais dans mes pensées encore en train de me demander ce qui se passait dans ce relais routier et avançai … vers le comptoir et l’homme au chapeau toujours en train de sourire. Mais non ! J’avais poussé la porte pour sortir ! Non pour entrer ! Je me sentis un peu ridicule et me dis que décidément, je devais me reposer ! La femme, le vieil homme et l’adolescente n’avaient pas bougé et je me demandai s’ils respiraient encore. L’air de rien, je me dirigeai donc de nouveau vers la porte de sortie. Je voyais au loin Antoine qui commençait sérieusement à s’impatienter et les enfants qui ressemblaient à des bonbons collants. Louis s’essuyait la main sur le short de sa sœur qui pleurnichait et se plaignait à son père. Je poussai la porte d’un pas décidé et, bien attentive cette fois à ce que je faisais, j’avançai … vers le comptoir du relais. Je ne comprenais rien. Une angoisse sourde monta en moi. J’avais du mal à respirer. Je commençai à avoir peur. Je regardai autour de moi. La femme avait remis la tête dans ses bras. Le vieux était reparti dans ses pensées. Seule l’adolescente me regardait d’un air perplexe.

-         Y a pas d’sortie.

-         Quoi ?

Je m’approchai de la jeune fille à l’air rebelle. Elle m’avait parlé, mais ces mots n’avaient pour moi aucun sens.

-         Y a pas de sortie répéta-t-elle

Elle m’avait répondu en détachant bien chacun des mots, l’air blasé de devoir répéter quelque chose qui semblait évident.

-         Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sur qu’il y a une sortie !

-         Non y en a plus.

-         Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? D’abord, où sont tes parents ?

-         Mes parents j’en sais rien et j’m’en fous. Y m’saoulent de toute façon. Ce que je sais c’est que toi, elle, lui et moi on peut pas sortir et que lui là – elle me désigna l’homme derrière le comptoir – et ben il est bizarre, il ne dit pas grand-chose et y passe son temps à se marrer. Et pis y m’saoule aussi.

Elle mit son casque audio orné de têtes de mort sur ses oreilles et se retourna vers la vitre me signifiant ainsi que la conversation était close. « Je veux aller danser, pour tout oublier, fuir le temps qui passe, fuir le temps qui nous menace… ». La musique était si forte que je reconnus aussitôt qu’elle écoutait Dexter Omni, groupe de rock très en vogue que j’écoutais moi-même, fascinée comme une midinette par leur guitariste si charismatique.

Je me retournai alors vers le monsieur assis par terre. Il ne me regardait pas. Je m’approchai de lui et m’accroupis afin d’être à sa hauteur. Il eut un mouvement de recul et resserra son étreinte autour de sa sacoche.

-         Monsieur ?

-         …

-         Monsieur ? Vous allez bien ?

-         Je voudrais partir. Je devrais pouvoir partir mais Il ne veut pas ! répondit l’octogénaire d’un air désespéré.

-         Qui ? Qui vous empêche de partir ? On peut appeler la police ! m’exclamai-je, de plus en plus mal à l’aise.

A ce moment, la femme releva la tête et m’invectiva mais sans élever la voix :

        -  Que croyez-vous ? Qu’on vous a attendu ? Y a rien à faire ! Nous sommes Ses prisonniers !

Et elle se remit à pleurer. Je laissai là le monsieur et je jetai un coup d’œil au comptoir. Le chapeau était toujours en train de m’observer en souriant. Je n’osai pas lui parler. Il me semblait que lui adresser la parole me mettrait au rang de ces personnes qui semblaient complètement perdues. A travers la vitre, je voyais Antoine qui semblait bouillir. Il allait venir me chercher. Je le savais. Cette pensée me rasséréna. Je m’approchai de la femme.

Je m’assis en face d’elle et tentai de capter son attention. Je fouillai dans mon sac et lui tendis un mouchoir. J’en avais toujours un sur moi, héritage de ma chère mamie qui nous demandait toujours avant de partir pour l’école si nous avions bien notre mouchoir. La femme releva la tête et me remercia d’un regard. Je m’aventurai alors à lui demander de m’expliquer ce qu’il se passait.

-         C’est lui dit-elle dans un souffle.

Elle jeta un regard vers le comptoir très discrètement et elle rebaissa aussitôt la tête.

-         Lui quoi ? Que se passe-t-il ici ?

-         Il nous retient prisonniers.

-         Mais c’est insensé ! Nous sommes ses otages ? La police interviendra bientôt. Mon mari est dehors, je ne suis pas seule !

-         Non vous ne comprenez pas.

Je dus tendre l’oreille car maintenant, elle chuchotait. Elise, c’était donc son prénom, m’expliqua qu’ils étaient ici depuis un certain temps – elle était incapable de savoir depuis quand – et que personne n’était venu les secourir. Soudain, elle se tut et plongea la tête dans ses bras. L’homme s’approchait en sautillant, tout sourire. Arrivé à ma hauteur, il fit une révérence en ôtant son chapeau et me dit d’une voix grave et suave :

-         Je suis ravi de vous retrouver Hélène ! Tellement heureux. Mais je suis impoli, je ne me suis pas présenté. Je suis Jocelyn, Jocelyn de Saint Hilaire. Hélène, ce jour est le plus beau jour de ma vie ! Je vous souhaite la bienvenue chez moi.

Il me tendit la main que je pris spontanément. Je regrettai aussi mon geste. L’homme serra sa poigne et m’attira brusquement à lui. Il planta son regard dans le mien. J’eus l’impression que cela dura de longues minutes, mais cela dû en fait être bref car, lorsqu’il me relâcha, je n’avais pas eu encore le réflexe de m’éloigner de lui.

-         Très heureux. Vraiment très très heureux répétait-il en me détaillant de la tête aux pieds.

Et il sauta sur place en claquant des mains comme un enfant. J’avais peur, très peur. Je pensai aussitôt que j’avais affaire à un fou furieux, un malade échappé de l’asile qui n’avait pas pris son traitement. Je regardai autour de moi. Je cherchai de l’aide mais les personnes présentes regardaient toutes ailleurs.

-         Mais qui êtes-vous ? Je dois partir. Je vais partir. Ma famille m’attend sur le parking.

Pour appuyer le fait que je n’étais pas seule, je me retournai vers le parking où Antoine et les enfants étaient toujours en train de m’attendre.

-         Mais non Hélène. Vous ne pouvez pas déjà nous quitter ! Vous venez à peine d’arriver ! Et je vous attends depuis si longtemps !

-         Vous devez faire erreur ! Je ne vous connais pas ! m’exclamai-je au bord de l’hystérie.

-         Mais moi oui ! répondit l’homme au chapeau.

Et il se mit à sourire de toutes ses dents.

Signaler ce texte