Le rien qui fait tout

clouds6

La chanson s'essouffle...

Réveil matin quatre heures
Les nuits sont courtes
Les journées sont courtes
Je vois des gens courir,
Même dans l'ombre ils courent
Pour fuir je crois
Pour vivre
Ils courent vite et loin
Ils volent presque
Pressés d'en finir avec le temps
Un sourire creux scotché au visage
Comme tendu par des fils ;
Jolies petites marionnettes

Mais les gens sont vides maman
La lumière est vide
Le monde est vide
Ne reste que cette odeur pestilentielle
Et moi j'suis quoi ? J'suis vide aussi
J'ai sur les lèvres encore le goût de poudre et la froideur du canon
Sur les paupières toujours le voile opaque et lourd
Mais maman les gens sont partis
Ils sont là, mais à l'intérieur il n'y a plus personne
Eh maman, t'es où toi maman ?
Les couleurs sont vides
Et les sons je ne les entends plus
Ma langue est sèche et aride
Ça fait mal maman
Ici tout au fond de moi
J'ai l'estomac vide aussi
J'ai cru que la rage pouvait me remplir la panse
Et quand j'y pense c'était con
C'est con maman
Parce que panser les choses toi seule a su le faire

Dans ma poitrine aussi, c'est creux
C'est glacial et jusqu'au bout des doigts,
Des phalanges jusque dans les veines
Plus rien ne coule, plus rien ne bat
Les regards sont vides
Vidés, souillés, dépouillés
Les poches trouées et le cerveau en vrac
Sommes-nous tous dans le même bateau
Ou bien est-ce mes yeux ternes qui se reflètent alentour ?
Je me sens me liquéfier
Puis aspirée par le siphon
Plus rien n'est palpable autour de moi

Parfois je me rappelle les soirs de liesse
Où ma main savait trouver la tienne
Que le temps était doux
Et l'odeur sucrée qui montait de la cuisine nous enrobait
Mais maman la maison est vide maintenant
Le ciel est vide et plus rien là-haut ne se reflète ici-bas
La Lune autrefois haute et brillante
Semble s'être dégonflée comme un vieux ballon de baudruche trois semaines après la fête
Mais c'est quand que tu reviens ?
Par où es-tu partie
Les formes s'estompent
Je ne sais plus ce qui fait qu'un oiseau peut voler
Qu'un corps peut respirer
L'ai-je un jour vraiment su,
J'en doute
Je n'ai fait que rester en suspens
Tantôt tranquille et sûre
Tantôt en décomposition totale
Mais maman tu n'as pas été la stabilité qu'il me fallait
Plutôt la couardise même
L'égérie des pleutres
La reine des fantômes insipides

Toi aussi tu es vide, maman
Tu es vide et voilà ce que tu m'as laissé dans les gênes
Du plomb qui cloue au sol
Du venin qui prend à la gorge
Étouffe et se déverse
Comme de la bile
Tu m'as laissé des balafres
Des poussières d'étoiles
Et ce vide, maman
Qui avale tout en lui
Les tripes et les gens tout entier
Ils disparaissent
Tout disparaît
Maman, même toi t'as disparue
Et si ton âme se promène quelque part
Alors la mienne viendra lui tenir compagnie
Peut-être pour l'avaler elle aussi
Ou bien pour lui cracher à la figure cette masse gluante qui bouillonne au fond de ma tranchée
Du goudron qui s'entasse, brûle,
T'enterrera tout contre moi

Mais mon monde est vide maman
Tout disparaît et tourne et tremble maman
Et je suis seule et repue
D'avoir trop bouffé mes doigts
Et grignoté mes chaînes
D'avoir versé trop de larmes pour toi maman
Ça me rend malade

Mais maman
Les souvenirs me brûlent
M'assaillent
Tu es une étincelle
Qui n'a jamais brillé
Tout tourne et tremble
C'est fou comme l'on se ressemble

Eh, dis-moi maman
Quand as-tu commencé à courir ?
Quand as-tu commencé à mourir ?
De chaud, d'envie, de chagrin
Tu as fini par t'envoler toi aussi.


Et depuis c'est le même refrain
Les frissons dans la nuque, les sueurs,
Les yeux ouverts en permanence
Et ces réveils matin quatre heures...

Signaler ce texte