Le Rire de l'Ange #2

maddie-perkins

Ils ne comprendront pas, ils chercheront à tout comprendre, ils seront déçus. Nous les dégoûterons — pas nos cadavres, non, mais ce que nous avons fait...

II


Il entre dans la maison, la porte claque, le verre tremble. Dans le couloir, il danse, jette sa veste au pied de l'escalier, puis entre dans la cuisine.

Elle sursaute, sa mère.

Le plancher craque.

—  « There goes my baby ».

Il lui tend les bras, la fait tournoyer, mais elle est raide, là, contre lui. Son jupon s'envole.

Il chante, se penche sur sa main, la baise.

La bouilloire siffle.

Madame Redmayne frémit.

— Tu t'écartes, maman..?

— Je dois éteindre le feu.

Elle s'empare du torchon. Il la regarde, ses yeux bruns s'élèvent lentement sous les cils.   

— Je t'ai préparé une collation, murmure-t-elle.

Sur la table, sur la nappe brodée, il y a une petite assiette avec deux sandwiches.

Il s'assoit, soulève la couche supérieure du pain, puis sourit.

— Vraiment, maman ?... Fudjie, viens ici bon toutou.

Alors que le vieux Fox mange bruyamment, madame Redmayne se retourne et pleure.

— Saloperie de chien, souffle Daniel.

L'animal se pourlèche, puis il s'écroule après quelques minutes.

— Je crois que le chien a vraiment apprécié ta... collation.  

Hellen Redmayne s'écarte vivement de son fils. Il sourit en se levant, les poings ferrés sur la table.

— Ne t'inquiète pas, maman, c'est encore mieux si tu es en vie.

Elle le regarde, crispée contre l'évier tandis qu'il sort de la cuisine en sifflotant.    


Dans la chambre, à l'étage, Daniel s'assoit sur le fauteuil. À la lueur de la lampe de chevet, il la regarde dormir. En attendant son réveil, il repose sa nuque, un livre ouvert sur les genoux.

Une mouche coure sur son front, il perçoit les pattes, vibrer contre sa peau. Il ne bouge pas, il se concentre, puis l'attrape fermement. Lorsqu'il desserre le poing, l'insecte oscille avant de s'effondrer dans les sillons de sa paume. Le vide est entré en lui, malgré la mouche, malgré la branche contre la fenêtre, malgré les bruits de la cave qui remontent par le radiateur. Alors, il croise les bras, percevant le plafond comme un sol nouveau — il lui semble se tenir à l'envers.  

Lorsqu'il redresse la tête, la jeune fille ouvre les yeux. Il étudie la courbe de son regard sur la chemise, les taches et les éclaboussures — tout ce sang…

Il se lève et observe le corps immobile, articuler difficilement les doigts.     

Cataplexie, dit-il, perte du tonus musculaire sans altération de la conscience. Il ouvre le livre et récite : « Le patient ne perd pas connaissance, il est éveillé, ses perceptions sensorielles sont normales. Il reste cependant incapable de réagir à toute stimulation, ceci entraînant une source de panique qui alimente la cataplexie ». Tu entends ça ? Ressens-tu une source de panique, Elizabeth ?

Si elle ne peut répondre par des mots, cette larme sur sa joue en est la réplique.

— Je sais quel effort ça te demande de soulever cet index… Cesse donc de t'acharner.  

En elle s'anime l'effrayante agitation, la crainte féroce ; elle voudrait rugir, mais n'extirpe d'entre ses lèvres qu'un maigre gémissement.    

— Tu vois cette chemise ? C'est un signe de ma bonne volonté. Le sang n'est pas une preuve de barbarie, je l'ai fait avec indifférence. Je l'ai fait pour toi, pour que tu comprennes qu'il y a des règles simples ; comprends-les. Tu as une place spéciale ici, tu devrais être reconnaissante. Au moins, tu n'es pas enchaînée au sous-sol.    

Elle l'écoute, les pieds menottés au lit.

— Je l'ai fait pour créer un exemple, pour t'offrir une vie agréable.

Il sourit, recule, grimace, puis fouille dans ses poches.

— Je dois le faire…

Alors, il avance, une paire de ciseaux à la main. Elle entend le cliquetis des lames qui s'entrechoquent. Lorsqu'elle ouvre les yeux, sa carte d'identité se trouve sur le sol en deux parties inégales.   

— C'est pour ton bien, assure-t-il, comme ce bain que tu vas prendre ; tu as besoin d'un choc pour retrouver tes facultés — comme disait mon père : « Rien ne vaut l'eau froide. »  

Il se penche et libère ses chevilles ; il fixe les marques.

— Ma sœur, elle t'attend dans la salle de bain.

Il la soulève, puis l'emporte.


* * *


Le parc de son enfance, c'est ce dont elle se souvient.

Il y a l'aire de jeux près de la seconde entrée, cette chaise sculptée dans le bois, le toboggan et la passerelle suspendue. Dylan est en bas — elle a le vertige.

Il tend les bras en la regardant.

Ses souvenirs se confondent, ils deviennent des images. Désormais, c'est une pièce blanche sans porte ni fenêtre ; son frère se tient devant elle sans dire un mot.

Ses oreilles bourdonnent comme on la relâche, d'autres mains viennent la hisser hors de l'eau. Elle ouvre la bouche et crache. Ses oreilles sifflent.

— Non, mais t'es folle ? T'étais en train de la noyer !

— Oh, ça va… Je m'amusais juste un peu. Et puis.., il n'a pas besoin d'elle.

Elizabeth se tient péniblement aux rebords de la baignoire, glacée et engourdie devant les deux femmes. L'eau froide lui a rendu son corps, mais également la douleur.  

— Si elle est ici, s'écrie celle qui vient de l'aider, c'est qu'il en a besoin !

Mary Redmayne sourit entre ses boucles brunes, le menton haut avant de claironner :

— C'est vrai, Daniel les aime en bon état. C'est étrange vu comme elles finissent.

— Sors, Mary, je vais m'occuper d'elle.

— Tu en es bien sûre, cousine ? Si tu lui dis pour le bain, il ne fera qu'en rire.

— C'est sa fille, pas la tienne !

Mary Redmayne sourit à nouveau.

— Ma pauvre Laura, répondant constamment à l'appel, toujours prête à sauver les âmes innocentes. Mais  attends.., non ! Toi et moi savons que ça n'est pas totalement vrai…  

Laura Adwr ne répond rien ; elle aide la jeune fille à sortir de l'eau.

— Tu peux les aider toutes, Laura, ça ne te rachètera pas.   

Mary Redmayne voudrait rire, car les traits de sa cousine sont désormais confondus et défaits. Pourtant elle ne rit pas, elle n'as pas envie de rire ; elle quitte la salle d'eau.

Lorsqu'Elizabeth redresse la tête, elle découvre le reflet de sa bienfaitrice. C'est une jeune femme un peu forte au visage éteint, encadré par un épais rideau de cheveux blonds en mauvais état.    

— Montre-moi ton épaule, dit-elle.

Les doigts de Laura Adwr parcourent son bras, brûlants.

— Tu n'as rien de cassé, c'est bon.

La jeune femme se tait, puis démêle les cheveux d'Elizabeth. Leurs regards se croisent dans le miroir, en silence.

Elle repose le peigne sur la vasque.

— Je suis désolée, souffle-t-elle, je suis sincèrement désolée de ce qui t'arrive.  

Elizabeth ne répond pas, elle fixe le reflet.

— Daniel n'est pas, reprend-t-elle hésitante, il n'est pas…

Sans jamais terminer sa phrase, elle soupire.

— Je ne suis pas la première, c'est ça ?

Devant ce silence assertif, les yeux d'Elizabeth se gonflent de larmes. Elle voudrait pouvoir hurler, mais au lieu de cela, elle demeure pleine de ses cris.

— Tu devras descendre pour le dîner, à sept heures… Et s'il te plaît.., ne sois pas en retard...  

  • Elisabeth s'est fait piéger et découvre qu'il y en a eu d'autres avant elle ! C'est glaçant !! Que va t'il lui arriver ?
    Et la mère qui a voulu éliminer ce fils, ce tueur...pauvre chien ...
    J'attends la suite avec impatience ! Vous (tu) savez nous tenir en haleine !

    · Il y a presque 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

Signaler ce texte