Le riz Curry
Pierre Alain Malagal Nana
Le riz Curry.
Paris, paris a toujours été considéré comme l’une des plus belles villes du monde. Paris de jour est vraiment belle, quand la ville toutes ailes déployées s’offre tour à tour à tous ses pigeons. Ceux qui volètent, ici et là, sans but fixe, vagabondant au gré de la providence, ceux qui s’habillent en noir. Ici. Mi fortune, mi croque mitaine. Ou encore ceux qui picorent sans cesse, jamais rassasiés. Un bout de pain par ci, une cacahuète par là. Ce ne sont pas forcément les plus heureux, les pros de la carotte. Et puis il y a ceux que je déteste, ceux roucoulent, qui roulent des mécaniques, et qui nous tuent en faisant semblant de ne pas nous voir. Et puis il ya ses préférés, ceux qui l’admirent quand elle les détrousse, paris la belle, la seule qui ne changera peut être jamais. Paris de nuit, quand les petits oiseaux se couchent et que les sirènes d’Ulysse attaquent la ville, l’écho de leurs sabots scandant que biquette n’offrira sa belle toison, qu’au meilleur d’entre nous. Dans cette histoire, je me suis toujours demandé qui est la bête et qui est le chasseur.
Paris en automne, aux tuileries. Les feuilles qui tombent un peu partout, font ressembler la ville à un pot- pourri, l’odeur du curry en plus. Les enfants courent partout, derrière les canards. Même sans rien dire, les parents semblent expliquer à chaque instant la vie, comme s’ils l’avaient eux même comprise. Et les petits, toujours, font semblant de les écouter, car c’est l’assurance d’une bonne glace à la framboise. Ceux qui n’en ont pas, “Lucky us“, profitent du beau temps, en rêvant à des jours meilleurs. Dédaignant, l’orangerie, un photographe suédois, tient son expo dans un coin du jardin. Des photos en argentique. Le noir et blanc, va si bien avec la couleur du jardin, on devrait faire ça plus souvent. Non loin de là, une voix de stentor se lève avec force et trépignement. « Viens là Léopoldine, fais attention ma petite, je n’aimerais pas que tu glisses sur une feuille, on ne sait jamais ce qui peut arriver. »
Christophe Mallettre, était un vieux gâteux qui n’aimait pas grand-chose. Comme beaucoup de gens qui ont vécu. Ou plus exactement, il avait décidé de faire semblant d’être un vieux grognon. Le dernier plaisir qu’il pouvait s’offrir. Au moins c’était un plaisir qui durait longtemps. Quelques années déjà. Pour être précis, depuis qu’il était revenu s’installer à paris. Et puis ça faisait rire son épouse. Donc alors… Oui, ça faisait quelques temps déjà, qu’il était revenu. Non pas qu’il n’aimait plus le soleil de l’Afrique où il avait exercé sa fonction de diplomate, mais paris lui manquait. Et la première chose qu’il s’était demandé après s’être engueulé avec ce taxi qui le transporta de l’aéroport à chez lui : c’est pourquoi ? Quelle était cette violence qu’on sentait en permanence en l’air ? A qui était-elle destinée ? Aux espagnols du sixième étage ? Aux arabes ? Aux anglais ? Aux noirs peut être. Qui pourrait jamais répondre à cette question ?
C’est sa petite fille qui la deuxième découvrit son petit manège :
_ Arrêtes de faire l’Alceste grand père, je sais qu’au fond de toi, tu souris.
D’une vilaine perspicacité, la gamine. Le genre de petite fille qui est proprement énervante. A vous sortir des phrases du style, « les miroirs cassés sont les plus vrais, les plus proches de la nature humaine. » A 5 ans. Alors du coup, chaque fois qu’il peut, il traîne avec elle, il l’emmène dans des restaurant à bisque pour homards, il l’entraîne dans de longues ballades à travers la ville, elle lui rappelle le vrai qui est en lui. Tout au moins, l’essentiel.
« Grand père, tu penses que Paris est la plus belle ville au monde ?
_ Ha, ma petite je ne sais pas, il y a autant de paris qu’il y a de belles villes dans le monde. D’un endroit à l’autre, paris n’est plus la même, je pense que plus que paris, ce sont les parisiens qui font la ville.
_ Alors ça veut dire que paris est moche.
_ Qu’est ce qui te fait dire ça ?
_ Ce n’est pas moi qui le dis, c’est toi qui dis tout le temps que les parisiens sont tristes et grognons..
_ Non, c’est sûr qu’ils sont stressés, voire fâchés, parfois lugubres, mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont moches.
_ Faudrait savoir Grand père, ils sont moches où ils ne le sont pas.
_ Comme je te l’ai dit, ça dépend des fois. Et des Saisons aussi.
_ Alors, c’est à cause des saisons, si à paris les gens tirent la tronche ?
_ Sûrement, un peu. Ce n’est jamais drôle quand on a froid, mais ma foi, ça remonte à bien plus longtemps que ça. A la naissance de la ville, au temps des rois et des maisons closes. Quand dans un délire quasi inconscient je dirais, paris prit la décision de mater son vice, et de supplanter enfin Rome qui avait sombré dans le sien. C’est là que nous avons été pendant longtemps. Coincés entre la catin et son preux chevalier, pas si pieux que ça. Tandis que la femme vertueuse, comme souvent était délaissée les nuits comme le jour, essayant en dépit de toute vanité, d’être autant un homme, que beaucoup d’hommes devraient apprendre à être un peu plus des femmes.
_ Mais pourquoi, les hommes préfèrent la catin, à la vertueuse.
_ Qu’est ce que j’en sais moi. Peut être parce que c’est le vice qui mène le monde. Ou alors, à cause de ce malin plaisir que prend la vie à prouver qu’il y a une catin en chacun d’entre nous. C’est là que nous sommes aujourd’hui, grâce à un homme : Mitterrand.
_ Alors, on devrait tous suivre le président ?
_ On pourrait, mais c’est ennuyeux un président. Et puis, les présidents c’est autre chose, c’est d’un pays qu’ils doivent s’occuper, pas d’une ville. Leur rayonnement est différent. Non, ce qu’il faudrait à paris, c’est un roi un peu comme ceux qu’ont connu New York, Tokyo, ou los Angeles à une époque. Quelqu’un qui donne l’impulsion. Le grand drame de cette ville, c’est que dans sa prise de conscience, elle ait sacrifié sa couronne.
_ Oui mais des rois, il y en a toujours grand-père. Il suffit de suivre intelligemment l’actualité.
_ En tout cas, moi je ne les vois pas.
_ Et les parisiennes Papy, tu en penses quoi ?
_ Toutes des putes, et des courtisanes. Elles crient au féminisme, et une fois qu’on est attendris elles montrent leur vrai visage.
_ Et c’est quoi le vrai visage de grand- mère.
_ Une Master- pute, La pire de toutes. Mais bon, elle je l’aime comme ça. Vas savoir pourquoi.
_ Moi, quand je serais grande. Je serai une vraie parisienne, et une pute doctorante. » Lui dit- elle avec un sourire espiègle.
_ Ecoutes, tu fais ce que tu veux de ton cul.
_ Mais il ne s’agit pas de cul, papy. Juste que dès qu’on vous laisse tous seuls, hé bien, vous faites n’importe quoi. Alors, plutôt que de vous mener à la baguette, on vous mène par la baguette. Même moi, je le sais.
_ Du moment que tu ne me ramènes pas un indien. J’ai horreur des indiens, ils sentent le curry.
_ Moi j’ai déjà décidé, mon premier mec sera un noir.
_ Encore mieux tiens. En tout cas, bon courage ! lui dit-il, en répondant à son sourire innocent par un sourire coupable, qui lui disait : “fais attention au premier. Beaucoup de rêves de vertu, se sont brisés contre ses crocs acérés. Et, s’il est un mythe qui est vrai, c’est que c’est lui le grand méchant loup. “
_ J’y arriverais, et quoiqu’il en soit, je ne serais pas comme madame Goran,
_ “Mme gros rats“ ? C’est qui ça madame “gros rats“ ?
_ Goran, pépé. La voisine du dessus, on l’a entendu parler ce matin quand on allait au marché avec maman, je crois qu’elle n’aime pas trop les noirs.
_ Haa ces étrangers. Qu’est ce qu’on va bien pouvoir faire d’eux ? Ca aussi, je crois que ça ne changera jamais. »
Et ils se sourirent. De concert cette fois- ci. Ils s’étaient compris.
« Et comment tu imagines paris plus tard, dans ta vie de parisienne.
_ Et bien, c’est très simple, je vois paris, toute de plâtre vêtue, comme dans une robe de mariée, du bitume aux façades. Avec partout, des perroquets de toutes les couleurs. Ce serait marrant, des perroquets.
_ Oui, certainement…