Le Roi qui ne voulait pas d'esclaves

chevalier-neon

-Je vous vois…là, voilà, souverain,
prêt à régner au creux de mes reins.
Je vous invite dans ma personne.

-Je ne veux pas que ton heure sonne.
De quoi parles-tu, je ne comprends rien ?
Je ne suis pas un maître avec son chien.

-Mais, vous avez payé pour me voir ?

-Je ne veux te rayer, ni te boire.

-Là c’est moi qui ne comprends plus ;
il faut dire c’est mon destin de rien comprendre.
Venez contre moi ; il a plu,
votre corps doit être gelé à pierre fendre.

-Mais non, c’est ton cœur qui est fendu.
Regarde-toi, garçon suspendu
à mon bras et qui me couve du regard,
tentant de s’attirer de vilains égards.
Ma parole, tu es masochiste ?

- Moi je crois que vous êtes un schiste.
Vous essayez de me diviser en deux,
ou plutôt de me dédoubler.
Un moi humain aux côtés du miséreux ;
vous vous riez de me troubler ?

-Je ne me moque de nul en cette pièce,
mais je ne crois trouver là aucune liesse
à profiter d’un petit être en mal
d’affection qui sourit devant les mâles.

-Vous trouvez ça anormal de sourire ?

-Jamais lorsque dans le fond tu pleures.

-Je préfère ça plutôt que mourir.

-Moi je préfèrerais qu’on t’effleure
du bout des doigts, du bout des lèvres
plutôt que de te coucher,
plutôt que de te toucher,
te laissant délirer de fièvre.

-Alors que vous venez de le faire,
que vous m’avez touché, comment osez-vous le dire ?

-Moi ? Je n’ai bâti aucun enfer ;
je n’y ai jeté aucun ange pour le maudire.
De quoi m’accuses-tu, effronté ?
Prétends-tu que je t’ai attenté ?

-Vous m’avez touché ; vous m’avez ému ;
c’est ce que mes mots signifiaient.
Je suis si fauché, mais en moi remue
un cœur que rien ne gratifiait…


-Et voilà que tu t’effondres ;
Ciel, tu n’es en fait qu’une ombre…
Tu disparais quand tombe la nuit,
mais je vois quelque chose qui luit…

-Quelque chose qui luit ?

-Bien sûr, une flammèche, une lumière.

-Faut-il que je la fuie ?

-Pauvre fou ! Elle est ton futur et ton hier,
si tu la fuyais tu t’abandonnerais…

-Ce ne serait sans doute pas un drame.

-Peut-être que des sanglots résonneraient…

-Qui pleurerait une chose sans âme ?

-Mais je ne te reconnais pas dans cette description.
Toi tu te vois avec des yeux pleins de larmes.
Ma vision est précision ; je ne fais nulle omission
de ce qui est beau chez un guerrier sans armes.

-À la fin, j’ai cessé de vous suivre.
Moi je cherche juste de quoi vivre ;
je le prends de vos poches, et en échange
je m’allongerai dans ce lit sans langes.

-On dirait seulement que tu crains
de te voir soutiré par la violence
ce que tu caches dans un écrin ;
alors tu lui cèdes tout en silence.
Tu devances en somme les désirs du vice ;
mais je ne suis pas lui, je ne suis pas son fils.

-Dites-moi donc, qu’êtes-vous alors ?

-Rien qu’un peu de chair, puis un peu d’or.
Juste comme toi en fait.

-Je crois vivre une défaite ;
Un homme me paie pourtant me refuse…
Et de lui j’ai l’impression que j’abuse.

-M’abuser, moi, parce que tu tiens un peu d’argent ?
Petit idiot, ne me fais pas rire !
J’espérais faire quelque chose d’intelligent ;
en fait je veux te faire sourire…

-Alors ne me laissez pas seul ce soir,
parce qu’en fait j’ai peur… j’ai peur du noir.

-Et pourtant tu y vis constamment ;
un aveugle dans son élément
qui ne voit rien de ce et ceux qui l’enfoncent
dans les bras des hommes, épines des ronces.

-Mais vous pourtant, vous êtes bien un homme ?

-Ma foi, j’en suis un dans mes chromosomes…

-Et vos bras ne ressemblent pas à des ronces ;
on dirait presque un champs de fleurs…
Je crois percevoir leur senteur,
si bien qu’il semblerait que je m’y enfonce…

-Pourtant tu restes là, sans bouger, à me regarder,
et ce que tu appelles des fleurs reste bien gardé.

-Je voudrais en caresser les pétales,
les saisir délicatement par les tiges.
Mais Ciel ! Je me perds dans un tel dédale !
Je me sens déjà envahir d’un vertige…

-Peut-être ne te reste-t-il plus qu’à t’évanouir ?

-Si je le faisais, me rattraperiez-vous ?

-Et je te laisserais dormir, pour mieux t’épanouir.

-Ô, Seigneur, il faudrait que je vous avoue…
Si vous saviez, j’ai tant sommeil
mais nul jamais ne me laisse dormir.

-Alors dors donc, que je te veille ;
rêve librement d’un autre avenir.

-Est-ce que vous en ferez partie ?

-De ton rêve ? Comment pourrais-je le savoir ?

-Je parlais de mon futur, pardi ;
J’aimerais bien être sûr de vous y voir…

-…Mais enfin, tu es adorable,
que veux-tu que je te réponde ?
Tu as faim, si faim d’une fable
et espères que mon cœur fonde…
Ah, bien, je pense que tu as gagné ;
de toute façon, je crois, c’était couru d’avance.
Oublie ceux qui ne t’ont pas épargné ;
avec un peu d’amour, j’apaiserai ta souffrance.








(écrit le 29 novembre 2013)

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