LE SANG CHAUD DE LA VENGEANCE
hell-ea
Elle
J'ai décidé d'arrêter.
L'autre
Arrêter ? Arrêter quoi ?
Elle
D'aimer.
L'autre
D'aimer quoi ?
Elle
Le théâtre. D'aimer le théâtre. J'ai décidé d'arrêter d'aimer le théâtre.
L'autre
Et tu décides ça comme ça ? Tu penses que tu peux décider d'arrêter d'aimer aussi vite que ça ?
Elle
Oui.
L'autre
Pourquoi ?
Elle
Pourquoi quoi ?
L'autre
Tu aimes ça.
Elle
J'aimais ça.
L'autre
Tu adores ça.
Elle
J'adorais ça.
L'autre
Un jour tu m'as dit que tu ne te sentais vivante que quand tu étais sur scène.
Elle
C'était le cas. Ils m'ont tué. Ils m'ont tué comme ça.
L'autre
Tu dramatises, tu dramatises toujours tout.
Elle
Je dramatisais toujours tout. Maintenant je tragédise.
L'autre
Ça n'existe pas.
Elle
Quoi ?
L'autre
Tragédiser. Ça n'existe pas, dramatiser oui, tragédiser non.
Elle
C'est débile. Ça devrait exister. Je ne dramatise pas. Je tragédise.
L'autre
Tu ne peux pas dire que la langue française est débile.
Elle
Pourquoi pas ?
L'autre
Parce que, parce que le respect. Voilà pourquoi. Des gens ont travaillé pendant des années pour la construire et toi, parce qu'un mot n'existe pas tu la trouves débile.
Elle
Le respect, je l'emmerde. Tu crois qu'ils m'ont respecté ? Tu crois qu'ils m'ont respecté, moi ? Tu crois que quand j'ai levé mes yeux graves sur eux et qu'ils m'ont regardé avec mépris et qu'ils ont prononcé leurs mots infâmes ils m'ont respecté ?
L'autre
Je ne te parle pas du jury.
Elle
C'est la même chose, c'est une institution, c'est une communauté minoritaire qui décide de ce qui est devrait exister ou non. J'ai plus en commun avec le verbe "tragédiser" qu'avec le jury qui est censé être constitué d'êtres humains.
L'autre
Mais ça n'existe pas.
Elle
Comme moi, je n'existerai plus non plus.
L'autre
Tu dis ça parce que tu es en colère.
Elle
Je le suis, oui.
L'autre
Ils n'ont fait que leur travail.
Elle
C'est bien ce que je leur reproche.
L'autre
C'est injuste.
Elle
Ce qui est injuste c'est devoir écouter des gens t'expliquer par A+B que tu ne prends pas le théâtre au sérieux.
L'autre
S'ils le disent c'est que ça doit être vrai.
Elle
Non. C'est faux. C'est la vie que je ne prends pas au sérieux.
L'autre
Arrête d'être grave. Ce n'est pas grave. Il y a bien pire dans la vie. Tu as la jeunesse. Tu as la santé.
Elle
Et pourtant je vais mourir ce soir.
L'autre
Tu ne vas pas mourir ce soir, arrête un peu.
Elle
Tu verras, tu verras tout à l'heure.
L'autre
Je ne verrai rien. Tu agis comme une enfant contrariée.
Elle
C'est marrant.
L'autre
Quoi ?
Elle
Tu parles comme eux. Ils m'ont dit que je ressemblais à une enfant de 12 ans.
L'autre
Ils n'avaient pas tort.
Elle
Je sais.
L'autre
Il faut que tu passes à autre chose.
Elle
Je ne peux pas.
L'autre
Tu ne veux pas.
Elle
Je ne sais pas.
L'autre
Il y a d'autres conservatoires, il y a d'autres cours, il y a d'autres professeurs.
Elle
Pas pour moi, non. C'est fini.
L'autre
Ne sois pas si catégorique. Ce n'est qu'une période. Ça te passera.
Elle
Pas cette fois, non.
Je ne lis jamais vraiment de théâtre et ici c'est tellement rythmé que j'apprécie beaucoup ce texte.
· Il y a environ 7 ans ·Aurore Rodi (Ancienne Alice Gauguin)
Merci mille fois pour ce commentaire, je suis vraiment contente d'avoir pu vous réconciliez (un peu) avec le théâtre.
· Il y a environ 7 ans ·hell-ea