Le signal d'ébène

_aylden_r


Un signal d'ébène ce matin a frappé mon œil.
Je le voyais très nettement, loin, et flamboyant dans le ciel de nacre, au plus profond de mon songe. Il y chantait, suspendu à une branche de brume, une mélodie à la fois âcre et veloutée. De celles qui envoûtent les marins, ou, peut-être, les dévorent...
Puis, il a soudain transpercé mon œil droit ! En poussant un cri strident et ensanglanté. Étrange créature, horrifiée par son propre geste, qu'elle essaya avec fureur de fuir en voulant se réfugier dans mon œil gauche. Quel culot !
À moins que ce soit aussi pour y voir sa propre image tant aimée...
Enfin, en dépit de la douleur sourde, mon regard s'est rendormi. Le cinglard, une fois le champ libre, a enroulé chacune de ses écailles, l'une après l'autre, dans un ordre méticuleusement respecté, autour de mon émeraude. Il a caressé ma pupille, plusieurs fois, pour la mettre en confiance, et une fois attendrie, il l'a pressée comme l'on écrase des morceaux de barbaque. Pour en extraire le sang des maux.
Goutte à goutte, le liquide d'ébène a entamé son voyage en orbite et dans les sous-sols prescrits par le fouet et le Saint Graal.
Tout est devenu claire, fluide, limpide - comme l'eau du ruisseau qui coule derrière la maison des enfances paisibles, à travers le vallon, le maïs et les tournesols.


J'aimais le roi car il était le père des dieux, car il était la plume de l'oiseau d'or. J'aimais le roi car il m'offrait la certitude d'être peu à peu indispensable... indétrônable... Et combien les asticots sont devenus orgueilleux !
De réel intérêt que dans ta cage, et pourtant je te voulais autrement libre... Et un jour, j'ai tout confondu, toi, les situations de la veille etc. A quoi l'on ressemble ? - ça n'a plus d'importance. Je n'ai plus d'appétit. - Quelle heure est-il ?

Que c'est dommage... Les lys sur le marbre ont eu le temps de flétrir. Quelques moucherons flottent dans le vase. De la poussière, des plinthes au plafond. Comme ça fait mal...
Le rayon d'ébène fait s'écrouler les remparts du chateau de cartes. Le petit prince a perdu jusqu'à son visage- ça n'a plus d'importance ? Mes iris me démangent. Tout tremble. Tout s'engouffre. Tout bout et hurle à la surface. Ce vacarme me réveille. Voir, c'est comprendre ?
J'entrouve les yeux. La couleuvre glisse le long de l'Apollon sculpté dans la fontaine. S'arrête. Scrute. Et plonge. Les rires niais des jalousies cessent. Les rideaux s'ouvrent. Le matin fait son entrée. Tout est enfin calme. Une larme, aux pieds de ton ombre.
Signaler ce texte