le sofa et les canards.

Aujourd'hui c'est dimanche, et comme tous les dimanches maman reçoit sa tante Hortense. Moi je l'appelle mémé Hortensia et je l'aime beaucoup mais elle sent un peu fort. La peau de ses joues quand on l'embrasse c'est un peu comme si je me léchais entre les doigts de pieds à la fin de la journée, quand plein de petites peluches de chaussettes sont collées sur mes ongles. Je préfère aussi quand c'est maman qui va lui ouvrir la porte parce que comme ça c'est elle qui lui fait la bise en premier ce qui fait que j'ai moins de jus sur la joue quand elle me fait la bise à mon tour. Une fois un lundi je suis allée à l'école avec des petites cloques sur les deux joues, le docteur a dit que j'avais fait une réaction allergique après avoir été mise en contact avec un produit toxique.

Mémé Hortensia adore raconter ses maladies, dès qu'elle s'assoit sur le canapé, où qu'elle essaie de le faire, c'est une longue série de cris et de gémissements qui accompagne sa lente descente puis sa lourde chute sur le sofa. C'est mémé qui dit "le sofa", c'est un mot qui était à la mode quand elle était encore une virevoltante quadragénaire. Pour elle le sofa se trouve dans le living-room, ça aussi c'est étrange le living-room, la pièce où l'on vit. Après avoir regardé dans le dictionnaire ce qu'était un living-room j'ai tout de suite eu très peur dès que je me suis retrouvée dans le couloir : car en effet, où se trouvait la dying-room qu'il fallait absolument éviter? C'est papa qui l'a trouvée la pièce où l'on meurt. C'était un dimanche il y a quatre ans quand mémé au cours d'une digestion difficile toussa si fort qu'elle en fit dans sa culotte, papa que ça a tellement amusé en est mort de rire. C'est d'abord un petit bout de cerveau qui est mort éclaté puis tout le reste. Le plus étrange c'est que maintenant quand mémé pète je pense à mon papa.

Aujourd'hui c'est dimanche, et comme tous les dimanches maman fait sa fameuse recette de purée en flocons de pommes de terre. Elle ouvre précautionneusement les petits sachets argentés qui contiennent la fameuse poudre magique de chez Vico ( un monsieur patate avec une couronne, complètement débile ! ) et les verse dans un saladier qui va finir au micro-ondes. C'est un plat surprise car après cuisson c'est devenu soit de la soupe bouillante soit un emplâtre froid. Quoi qu'il en soit ce n'est jamais bon et les saucisses orange éclatées qui accompagnent font de ces dimanches midi les fondations de mes futures angoisses et dépressions d'adulte.

Ça y est, le repas dominical est terminé. Mémé mange son yaourt chocolat liégeois et j'entends maman dans le couloir qui se prépare déjà pour aller promener mémé et moi au parc aux canards. C'est nul les canards, ça passe sa journée à flotter dans une eau froide en gueulant dès que ça en croise un autre, POIN-POIN-POIN (j'ai froid, j'ai froid, j'ai froid ! ) et à montrer son trou de balle dès que ça regarde sous l'eau pour voir comment bougent ses pattes. Une fois j'étais tellement triste que j'ai vomi au bord de l'eau. Les canards n'ont même pas voulu goûter à ma bouillie orange. J'ai pensé qu'on avait peut être les mêmes goûts alors je me suis jetée dans l'eau glacée.